Lettre à Monsieur Adrien Taquet Secrétaire d’État à la Protection de l’enfance

Monsieur le Ministre,

Notre Collectif des Familles Unies vous a déjà écrit pour attirer votre attention sur la situation dramatique des enfants français prisonniers avec leurs mères dans des camps du nord-est de la Syrie. Vous nous avez répondu en nous informant que vous transmettez notre courrier au ministre des Affaires étrangères. 

Nous nous permettons de vous écrire de nouveau, car nous considérons que la situation de ces enfants relève en grande partie des prérogatives de votre ministère : dans cette douloureuse affaire, il s’agit pleinement de la protection de l’enfance, de l’application de la Convention Internationale des Droits de l’enfant, de l’enfance en péril, d’enfants français en danger de mort.

Notre Collectif des Familles Unies, qui regroupe plus d’une centaine de familles dont les enfants, petits-enfants, neveux ou nièces, sont détenus dans des camps ou des prisons en Syrie et en Irak, milite depuis plusieurs années contre l’idéologie totalitaire et criminelle qui a poussé nos proches vers les zones de conflits et pour le rapatriement de tous les ressortissants français prisonniers, pour que les adultes soient jugés en France dans le cadre de procès équitables, et pour que les enfants innocents puissent retrouver une vie normale et être réinsérés dans la société française

L’évolution de la situation sur place, avec notamment l’offensive turque contre les Forces Démocratiques Syriennes, rend d’autant plus urgent un tel rapatriement, tant d’un point de vue sécuritaire, avec les risques de dispersion et d’évasion de prisonniers, que d’un point de vue humanitaire, si l’on considère la situation épouvantable dans laquelle se trouvent des centaines d’enfants français innocents, qui croupissent dans des camps insalubres, dans le nord-est de la Syrie.

La situation dans le nord-est de la Syrie est loin de se stabiliser, et la confusion règne sur le partage des différentes zones d’influence. Notre Collectif est particulièrement alarmé par le retour dans la région des forces de Bachar Al Assad, qui pourraient prendre le contrôle des camps ou pour le moins s’emparer d’un certain nombre de nos ressortissants, en particulier d’enfants, qui deviendraient une source de chantage ou une monnaie d’échange. 

Pour nous, permettre le transfert à ces forces d’enfants français, ou ne rien faire face à cette possibilité, serait un crime — quand on connaît la réalité des prisons du régime syrien, où meurtres, tortures, viols — y compris d’enfants — sont monnaie courante. 

En février 2018, M. Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, affirmait que les enfants français seraient rapatriés par le biais de la Croix-Rouge. Plus d’un an et demi plus tard, seuls quelques orphelins ont été rapatriés, et près de 300 enfants français sont toujours prisonniers dans les camps de Roj et de Al-Hol, sans soins, sans éducation, dans des conditions matérielles d’une extrême précarité. 

Cette politique attentiste adoptée par nos autorités enfonce les enfants français prisonniers (pour certains depuis deux ans), dont la majorité a moins de cinq ans, dans un malheur plus grand encore, dans une incertitude insupportable, dans un risque permanent de mort, de blessures, de maladie. Chaque jour supplémentaire passé dans ces camps ajoute une inexcusable charge traumatique aux graves traumatismes déjà vécus par ces enfants : cela fait des mois que notre pays a la possibilité de les ramener, et au lieu de cela on tergiverse au détriment des plus faibles, des plus vulnérables.

C’est bien le Droit, l’humanité, les valeurs de notre société qui demandent que les autorités françaises prennent sans délai cette décision courageuse du rapatriement de ces enfants français innocents de Syrie. La nécessité de ce rapatriement est aussi demandée par toutes les organisations humanitaires présentes sur le terrain, des différents comités en charge de la défense des droits humains et du droit des enfants de l’ONU et du Conseil de l’Europe, ainsi que la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme ou le Défenseur des Droits, sans oublier les experts internationaux de la lutte contre le terrorisme.

À présent, c’est l’UNICEF, au niveau national comme au niveau international, qui demande instamment aux gouvernements concernés de rapatrier les enfants. Dans une tribune publiée le 4 novembre, M. Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et membre du Comité de parrainage d’UNICEF France et M. Jean-Marie Dru, président d’UNICEF France, affirment que les enfants français retenus en Syrie « doivent être considérés comme des victimes » et qu’il « est urgent qu’ils soient rapatriés par leur pays et qu’ils soient accompagnés dans la construction de leur avenir. » Conformément aux dispositions de la CIDE, l’UNICEF demande que les enfants soient rapatriés avec leurs mères.

Nous nous permettons de joindre à notre lettre des photos de dessins d’enfants, la déclaration de MM. Cyrulnik et Dru, ainsi que celle de Mme Henrietta Fore, directrice générale d’UNICEF. 

La France des droits humains, la France qui fête cette année le trentième anniversaire de la Déclaration internationale des Droits de l’Enfant, s’honorerait de respecter ses propres principes et ses propres valeurs en rapatriant ses enfants innocents qui croupissent dans les camps syriens dans des conditions inhumaines. 

Nous ne voulons pas que ces enfants français meurent dans les camps kurdes ou dans les prisons de Bachar Al Assad, nous ne voulons pas qu’ils vivent un autre traumatisme dans les cages des prisons irakiennes : nous voulons qu’ils vivent, qu’ils reviennent, qu’ils aillent à l’école, qu’ils puissent avoir une vie d’enfant dans leur pays (ils n’en ont pas d’autres), dans notre société.

Nous vous demandons, Monsieur le Ministre, de porter la parole des enfants français prisonniers en Syrie, de ces enfants victimes, auprès du Président de la République. Nous sollicitons une nouvelle fois votre bienveillance pour être reçus.

En espérant que notre appel, qui s’unit à celui de tant d’autres, soit enfin entendu, nous vous prions de croire, Monsieur le Premier Ministre, à l’assurance de notre haute considération.

Le «  Collectif des Familles Unies » 

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