LA DÉFENSEURE DES DROITS DEMANDE AU GOUVERNEMENT LE RAPATRIEMENT, DANS LES PLUS BREFS DÉLAIS, DE TOUS LES ENFANTS FRANÇAIS RETENUS DANS LES CAMPS AU NORD-EST DE LA SYRIE

Défenseurdesdroits (vendredi 29 avril 2022)

La Défenseure des droits, Claire Hédon, chargée en particulier de défendre les droits des enfants, demande à nouveau expressément au gouvernement d’honorer ses engagements internationaux vis-à-vis de tous les enfants français retenus actuellement dans plusieurs camps dans le nord-est syrien.

Saisie depuis 2017 de réclamations par leurs familles, la Défenseure des droits rappelle que chaque jour passé dans ces camps met en danger la vie de ces enfants exposés à des traitements inhumains et dégradants qui engagent la responsabilité de l’Etat français.

Responsable de la défense des droits des enfants et garant du respect de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) par la France, le Défenseur des droits  a depuis 2019 formulé de nombreuses recommandations, contenues notamment dans les décisions 2021-201[1] et 2019-129, pour que soit mis un terme à cette situation d’autant plus grave et préoccupante qu’elle porte atteinte aux droits les plus élémentaires d’enfants particulièrement vulnérables.

Dans une décision du 23 février dernier, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a constaté la violation par la France du droit à la vie des enfants français retenus dans ces camps, de leur droit à ne pas subir de traitements cruels, inhumains ou dégradants, et de leur intérêt supérieur. En conséquence, le Comité considère que la France est tenue de prendre des mesures pour réparer les violations subies par ces enfants et prévenir toute nouvelle atteinte à leurs droits. Il recommande de donner, de manière urgente, une réponse officielle à chaque demande de rapatriement des enfants victimes et de prendre des mesures positives pour effectuer ce rapatriement.

La Défenseure des droits rappelle que la France est tenue de respecter ses engagements conventionnels, notamment ses engagements au titre de la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE) qu’elle a ratifiée. Elle souligne par ailleurs que la France est tenue de fournir au Comité, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures adoptées pour donner effet à sa décision du 23 février 2022[2]. La Défenseure des droits a interrogé à ce titre le président de la République.

Elle constate en outre la position isolée de la France sur cette question alors que la Belgique, la Finlande, le Danemark, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Suède ont procédé au rapatriement de la plupart de leurs ressortissants mineurs et, lorsqu’ils n’étaient pas isolés ou orphelins, de leur mère.

La Défenseure des droits considère que, dans l’intérêt supérieur des enfants, seule l’organisation du retour de l’ensemble des enfants avec leurs mères sur le sol français et leur prise en charge par les services compétents, est à même d’assurer leur protection et de mettre un terme à la violation actuelle de leurs droits fondamentaux.

Des rapatriements d’enfants ont précédemment été opérés par la France, démontrant que ces mesures sont réalisables. La Défenseure des droits appelle instamment à cesser l’examen au compte-goutte des situations et insiste sur l’impératif qui s’attache à la pleine effectivité des droits de ces enfants. Il n’est pas d’enfant dont il serait admissible que la protection ne soit que relative ou dégradée face à un risque pour leur vie, où qu’ils se trouvent, « qu’ils fussent à l’autre bout de la planète » comme l’a rappelé le président Emmanuel Macron le 14 mai 2019. 


Syrie : Les familles d’enfants de français détenus en Syrie demandent à Emmanuel Macron de les rapatrier en France

20 minutes le27 avril 2022

Plus de 200 enfants français sont retenus en Syrie. (illustration) — Omar Sanadiki/AP/SIPA

Le drame avait relancé le débat sur le sort des enfants de djihadistes, à quelques jours de Noël. Le 14 décembre 2021, une Française de 28 ans, diabétique, est morte dans un camp syrien réservé aux familles de djihadistes capturées, laissant derrière elle une orpheline de 6 ans. Candidat à sa réélection, Emmanuel Macron a ensuite affirmé que la protection de l’enfance serait au cœur des cinq années qui viennent. Désormais, les familles attendent que le président joigne les actes aux paroles.

« Il est grand temps de changer de direction, et de donner à ces enfants, qui sont aussi des victimes de Daesh, leur chance », indique dans un communiqué le collectif familles Unies, association regroupant une grande partie des quelque 80 femmes de djihadistes et 200 enfants français retenus dans des camps dans le nord-est syrien. « Il est grand temps de leur accorder la protection que méritent tous les enfants », « de se conformer à nos engagements internationaux, et de respecter notamment la Convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire », poursuit le collectif.

La difficile question des mères

Ces enfants sont des « victimes, reconnues comme telles par les Nations Unies, l’Unicef ou la Croix-Rouge » et ils vivent « sans protection, sans soins appropriés, sans accès à l’éducation, sans espoir » dans des camps de déplacés sous contrôle kurde en Syrie. Ils sont « privés d’enfance dans des prisons à ciel ouvert », insistent les familles.

Contrairement à ses voisins européens, dont l’Allemagne qui a rapatrié « une grande partie » des enfants, Paris maintient une politique de retours au compte-gouttes qui lui attire les foudres alors que les conditions de vie sur place sont « épouvantables », selon l’ONU, en raison de la question difficile du rapatriement des mères. Depuis 2016, 126 enfants français sont revenus de Syrie ou d’Irak, la plupart en bas âge.

Le Collectif des Familles Unies appelle Emmanuel Macron à commencer son second mandat « qui sera celui de la protection de l’enfance » en rapatriant tous les enfants français prisonniers en Syrie

Communiqué du Collectif des Familles Unies du 27 avril 2022

Enfants dans les camps de Roj aux nord-est de la Syrie

Emmanuel Macron vient d’être réélu pour un deuxième et dernier mandat.

Durant son premier quinquennat, de 2017 à 2022, des enfants français ont été maintenus dans des camps de prisonniers sordides, au nord-est de la Syrie. Des adultes de nationalité française, pourtant poursuivis et réclamés par la justice française, sont restés incarcérés dans une zone de non-droit, au secret, sans avocat, sans perspective de jugement et sans accès à quelque forme de justice que ce soit. Certains d’entre eux ont même été transférés illégalement en Irak, avec la complicité des autorités françaises, pour y être condamnés à mort, en violation flagrante de nos engagements internationaux. Durant le quinquennat qui vient de s’achever, la France a traité les hommes et les femmes qui avaient rejoint l’État islamique, mais également leurs enfants, en violation de ses engagements internationaux, de la Convention internationale des droits de l’enfant et de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a en effet délégué l’incarcération de ses ressortissants, même mineurs, à un acteur non étatique, et les a donc tous maintenus en détention arbitraire. Notre pays n’a donc pas agi en État de droit digne de ce nom.

En mai 2017, quand Emmanuel Macron accède au pouvoir, quelques enfants français seulement sont détenus avec leur mère dans les camps du Nord-Est syrien. À partir du deuxième semestre 2017 et durant l’année 2018, ce nombre va s’accroître progressivement jusqu’à représenter plus de 200 enfants en mars 2019 après la chute du dernier bastion de l’État islamique en Syrie, à Baghouz.

Au début de l’année 2019, une opération est organisée en vue de rapatrier l’ensemble de nos ressortissants avec l’aide des États-Unis, mais Emmanuel Macron l’annule au dernier moment. Depuis, c’est la doctrine indigne, dite du « cas par cas », qui s’applique, et que revendique Emmanuel Macron. Elle vise à trier des enfants, en choisissant d’en rapatrier certains, mais surtout d’abandonner le plus grand nombre dans ces Guantanamo pour enfants. Ainsi, 35 enfants ont été rapatriés depuis 2019 : des orphelins, mais aussi des enfants arrachés à leur mère et à leur fratrie restées dans le camp.

Depuis 2017, et durant tout le quinquennat qui vient de s’écouler, des enfants français ont survécu dans les camps de prisonniers Roj et Al-Hol, sans protection, sans soins appropriés, sans accès à l’éducation, sans espoir. Des enfants français ont été privés d’enfance dans des prisons à ciel ouvert. Certains ont passé des mois enfermés avec leur mère dans des cachots, sans lumière, sans hygiène, sans nourriture suffisante. Ces enfants, dont la plupart sont rentrés dans ces camps alors qu’ils n’avaient pas 6 ans, sont des victimes, reconnues comme telles par les Nations Unies, l’UNICEF ou la Croix-Rouge. Mais l’État français, lui, a fait le choix de les traiter comme des coupables, de les maintenir parqués, de laisser ces enfants blessés, malades et traumatisés derrière des barbelés durant des années. Il a même choisi d’y maintenir des orphelins, livrés à eux-mêmes depuis trois ans, d’y laisser mourir une femme, décédée faute de soins en décembre dernier en refusant obstinément son rapatriement sanitaire et de fabriquer ainsi une orpheline de 6 ans, qui n’est toujours pas rapatriée.

Les autorités françaises ont usé de tous les arguments les plus malhonnêtes et les plus mensongers possibles pour justifier cette ignominie, arguant de l’absence de relations diplomatiques, de l’extrême dangerosité des missions de rapatriement, alors même que des dizaines d’autres pays rapatriaient des centaines d’enfants et leurs mères. Emmanuel Macron, durant ces années, est resté sourd aux appels au rapatriement des familles, des Nations Unies, du Conseil de l’Europe, du Parlement européen, de l’UNICEF, de la Croix-Rouge. Il est resté sourd aux demandes de la Défenseure des droits, de la CNCDH, du coordonnateur des juges antiterroristes français, des organisations de défense des droits humains comme la LDH, la FIDH, Human Rights Watch, Amnesty. Il est resté sourd aux appels de centaines de personnalités, de parlementaires. Il est resté sourd aux appels au rapatriement de l’Administration kurde elle-même… Cette incarcération prolongée d’enfants français dans des camps est la tâche la plus honteuse sur l’histoire du quinquennat qui prend fin. Elle est une faute morale, un déni d’humanité, mais aussi et surtout une violation des droits des enfants, une violation de leur droit à la vie et un mépris glacial pour leur intérêt supérieur, comme le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies l’a asséné en février dernier.

Emmanuel Macron vient d’être réélu Président de la République. Il a déclaré, à la fin du débat télévisé du second tour : « La protection de l’enfance sera au cœur des cinq années qui viennent. » Il a assuré, peu de temps auparavant : «Nous ferons en sorte que tous les enfants de France aient les mêmes chances. » Il est grand temps de changer de direction, et de donner à ces enfants, qui sont aussi des victimes de Daech, leur chance. Il est grand temps de leur accorder la protection que méritent tous les enfants. Il est grand temps de se conformer à nos engagements internationaux, et de respecter notamment la Convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire. 

Nous savons maintenant que le jugement des adultes sur place est impossible, et qu’il n’y aura pas de procès (et a fortiori de procès équitables) en Syrie ou en Irak (pays qui vient de réaffirmer son refus de « recevoir » et de juger des détenus étrangers), comme nous savons qu’il n’y aura pas de tribunal international sur zone. Les adultes, les mères de ces enfants, ne sont judiciarisés qu’en France, et l’intérêt supérieur des enfants, qui doit être une considération primordiale, exige qu’ils soient rapatriés avec leurs mères. La séparation dans les camps des enfants et de leur mère restée sur place, la séparation de fratries, sont des horreurs qui n’auraient jamais dû être acceptées : aucun autre pays de l’Union Européenne n’a osé aller jusque-là, aucun. La France, dans cette nouvelle étape, doit respecter les droits humains, les droits de l’enfant et le droit international : plusieurs pays européens — la Belgique, l’Allemagne, le Danemark, la Suède, la Finlande… — ont entrepris de rapatrier les enfants avec leurs mères. La France doit faire de même et cesser de s’isoler en choisissant l’inhumanité.

Le Collectif des Familles Unies appelle Emmanuel Macron à rapatrier les ressortissants français détenus en Syrie et en Irak, afin que des procès soient organisés en France, parce qu’un Président de la République ne peut continuer à se défier de notre justice. Le rapatriement des ressortissants français est la seule solution conforme à l’humanité, aux droits humains, à l’État de droit, à la justice et à la sécurité.

Le Collectif des Familles Unies appelle Emmanuel Macron à rapatrier d’urgence TOUS les enfants français et leurs mères détenus dans les camps du Nord-Est syrien.

Le 27 avril 2022
Le Collectif des Familles Unies 

RÉÉLECTION D’E. MACRON : LES DROITS HUMAINS DOIVENT DEVENIR UNE PRIORITÉ

COMMUNIQUÉ DE PRESSE D’AMNESTY INTERNATIONAL DU 25 AVRIL 2022

À l’issue de sa réélection face à une candidate dont le programme, incompatible avec les engagements internationaux de la France, laissait craindre une régression sans précédent du respect des droits humains dans le pays, le président Emmanuel Macron sera confronté pour son second mandat à des défis cruciaux, dans des contextes nationaux et internationaux incertains. Amnesty International France sera vigilante et exigeante sur le respect des droits humains, qui ne doivent jamais être sacrifiés au bénéfice d’intérêts économiques ou stratégiques.

« Le premier quinquennat n’ayant pas été exemplaire sur les droits humains, nous appelons solennellement le président de la République, réélu pour un second mandat, à faire en sorte que le second le soit. Nous serons particulièrement vigilants et exigeants pour que les politiques menées par le président, en France comme à l’international, soient respectueuses des droits fondamentaux et du droit international », a déclaré Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France, précisant « Nous souhaitons dès à présent engager un dialogue constructif autour d’un certain nombre de demandes ».

PROMOUVOIR LE RESPECT DU DROIT INTERNATIONAL ET LA PROTECTION DES POPULATIONS CIVILES

Tout d’abord, alors que la collecte des preuves de potentiels crimes internationaux est engagée en Ukraine et que plusieurs États européens ont récemment pu juger des criminels de guerre syriens au nom de la compétence universelle, la loi en France comporte toujours des verrous restreignant très fortement les possibilités de poursuite par ses juridictions. Il est temps de rompre avec une législation ambigüe et d’effectuer les adaptations nécessaires pour se donner tous les moyens juridiques de juger en France les auteurs présumés de crimes internationaux.

Par ailleurs, la France doit cesser les ventes d’armes, à destination de l’Arabie saoudite et des Émirat arabes unis, des pays engagés dans une coalition soupçonnée de crimes de guerre au Yémen. Alors que le Traité sur le commerce des armes interdit les transferts dès lors qu’il existe un risque majeur que soient commises de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire, il est temps que la France mette un terme à l’opacité de ses ventes d’armes et instaure un réel contrôle parlementaire.

D’autre part, nous demandons que les 200 enfants français détenus en Syrie, au mépris de toutes les règles de droit, puissent être rapatriés sans délais, ce vers quoi s’acheminent de plus en plus d’États européens.

RESPECTER LE DROIT DES PERSONNES EXILÉES

 Si nous saluons la manière dont, ces dernières semaines en France, les réfugiés ukrainiens ont été accueillis, dans les discours comme dans les actes, la situation des personnes exilées s’est toutefois dégradée ces cinq dernières années dans l’hexagone, notamment dans le Calaisis et à la frontière avec l’Italie.

Que ce soit sur son territoire, dans le cadre européen et international, ou en lien avec ses accords avec le Royaume Uni, nous appelons la France à ne pas considérer les personnes qui fuient les conflits et les persécutions comme des « flux migratoires irréguliers » et à leur donner accès à la protection à laquelle elles ont droit au titre des engagements internationaux de la France, dont le respect de la Convention de Genève de 1951.

LUTTER CONTRE LES DISCRIMINATIONS

Constatant l’inaction des autorités françaises dans la lutte contre les contrôles d’identité discriminatoires, six ONG, dont Amnesty International France, saisissaient le Conseil d’État, le 22 Juillet dernier, afin que la justice contraigne l’État à agir. Le président réélu doit absolument prendre la mesure des conséquences désastreuses de telles discriminations systémiques et entamer une réforme en profondeur des pratiques policières.

Nous lui demandons par ailleurs de s’engager à abroger les mesures que nous avions dénoncées dans les lois « lutte contre le terrorisme et renseignement », et celle « confortant les principes de la République », parce qu’elles favorisent un amalgame dangereux entre Islam et terrorisme et comportent des risques d’application discriminatoire à l’encontre des personnes musulmanes.

RENOUER AVEC LE DROIT DE MANIFESTER PACIFIQUEMENT

Les cinq dernières années ont été marquées par des atteintes à la liberté de manifester pacifiquement en France. Non seulement les manifestants ont été exposés à un usage excessif de la force lors d’opérations de maintien de l’ordre, mais les autorités ont aussi instrumentalisé des lois contraires au droit international pour verbaliser, arrêter arbitrairement et poursuivre en justice des personnes n’ayant commis aucune violence. 

Aussi, nous demandons une réforme structurelle des stratégies de maintien de l’ordre afin de favoriser des logiques de concertation et de désescalade plutôt que de confrontation et de répression. Les dispositions trop vagues de certaines lois doivent être abrogées car elles ouvrent la voie à l’arbitraire. Enfin, le recours aux grenades assourdissantes et de désencerclement doit être interdit et l’usage des LBD40 suspendu.

SURVEILLANCE DE MASSE

Autre sujet de préoccupation croissante, le futur gouvernement devra également veiller à ce que les progrès technologiques soient rigoureusement encadrés pour ne pas faire basculer nos sociétés dans la surveillance de masse. Nous resterons par exemple vigilants sur le développement de l’utilisation des drones par les forces de l’ordre pour surveiller les manifestations. 

Nous continuons par ailleurs à demander l’interdiction de la reconnaissance faciale à des fins d’identification, car elle est incompatible avec le respect du droit à la vie privée.

CLIMAT : TROIS ANS POUR AGIR

Le président Macron ne doit pas oublier que la France a été condamnée le 14 octobre 2021 par le Tribunal administratif de Paris pour son inaction climatique. 

Le GIEC continue d’alerter sur les conséquences catastrophiques d’un réchauffement climatique qui ne serait pas contenu dans la limite de 1,5° par rapport à l’ère préindustrielle. Aussi, le président réélu devra tout faire pour que la France atteigne la neutralité carbone à l’horizon 2050 et pour peser sur la scène internationale en faveur d’une action immédiate et d’une ampleur planétaire, face à une urgence climatique qui menace l’humanité tout entière. 

À Roj, dans le nord-est syrien, géré par les Kurdes, des enfants français croupissent depuis trois ans dans un camp au milieu du désert. À franceinfo, qui les a rencontrés dans leur prison à ciel ouvert, ils témoignent de leur désespoir et se souviennent de leur vie d’avant.

Par Gaële Joly et Raymond Albouy – franceinfo Publié le 13/04/2022

Lisa est arrivée en Syrie il y a sept ans, laissant derrière elle sa vie de petite fille normale dans une grande ville de l’ouest de la France. (RAYMOND ALBOUY / RADIO FRANCE)

Depuis trois ans, Sophia, Lisa et tous les autres enfants de jihadistes français croupissent dans le camp de Roj, dans le nord-est de la Syrie, une région autonome gérée par les Kurdes, alors que la France rechigne, comme d’autres États, à les rapatrier, malgré les condamnations internationales et les pétitions.

Derrière les barbelés de cette prison à ciel ouvert, en plein désert, l’une des gardiennes kurdes nous conduit sous la tente de Sophia, 16 ans. Sophia est née en banlieue parisienne, elle avait 8 ans quand sa mère l’a emmenée en Syrie.

Aujourd’hui, Sophia vit toute seule, dans ce camp avec ses trois petits frères. Leur mère et leur sœur sont mortes. Au sol, trois matelas, une vieille télé et quelques couvertures. Abattue, Sophia a perdu tout espoir de rentrer un jour dans son pays. « C’est difficile, j’aimerais rentrer en France, c’est mon pays, je ne veux pas rester dans le camp,explique-t-elle, éteinte. J’ai plein de famille en France : mes tantes, ma grand-mère, mon grand-père. Je suis fâchée : cela fait longtemps qu’on croit qu’ils vont nous rapatrier et à chaque fois qu’on a l’espoir, eh ben on perd espoir. »

 » Cela fait presque quatre ans qu’on est dans le camp, seuls, sans mère. On n’a rien à faire ici. Pourquoi les gens disent que je suis un danger ? Je suis venue ici quand j’étais petite, avec ma mère. Je ne sais pas pourquoi je serais un danger. « 

Sophia, 16 ans à franceinfo

Un visage d’enfant, un corps tout frêle. Les orphelins se nourrissent des rations qu’on leur distribue : du riz, des lentilles, du sucre. Trois fois par semaine, ils vont à l’école : au programme l’arabe, l’anglais et les mathématiques. Pas loin, Lisa, 14 ans, a elle aussi perdu sa mère et ses deux frères dans la bataille de Baghouz, lors de la chute du califat. Gravement blessée, elle vit avec sa grande sœur Sarah chez une femme ouzbèke. « Lors de la guerre, là-bas, tout le monde mourait, décrit Lisa. Quand nous avons fui, dans la montagne, il y avait plein de bombes. Ma mère a reçu une bombe sur elle. Elle et mes frères sont morts. Puis il y a eu des balles sur moi, sur mon bras, et je suis tombée. Puis il y a eu des balles dans mes jambes. Après, des militaires sont venus nous porter et je suis venue ici à Roj. »

Un petit garçon joue dans le camp avec son camion. (RAYMOND ALBOUY / RADIO FRANCE)

« J’aimerais bien retourner en France dans ma famille. C’est dur, ici, dans le camp. Si ça avait été entre nos mains, jamais on ne serait venus ici. On était trop petits. On ne serait jamais venus là. »

Lisa, 14 ans, à franceinfo

À Roj, plus de 300 femmes et enfants sont rentrés l’année dernière dans leur pays : en Allemagne, en Suède ou en Belgique. La France elle n’a rapatrié que sept enfants en 2021. Paris refuse catégoriquement de rapatrier les mères, ce qui les oblige à un choix douloureux : se séparer de son enfant, avec qui elles vivent et dorment, pour lui offrir une meilleure vie en France. Dans le camp, elles sont encore 80 femmes, accompagnées de leurs 200 enfants français. Parmi elles, Celia mère jihadiste de 27 ans, qui se dit prête à se séparer de son fils, mais le cœur brisé.

« Mon fils me demande : ‘J’ai cinq ans, maman… Est-ce que j’irais à l’école ?’ « 

Célia à franceinfo

« Je lui fais l’école, poursuit Célia, la voix brisée par les sanglots, mais je n’ai aucun support. Un enfant de cinq ans, il va à la maternelle, il a une maîtresse. Alors il me dit :’Maman, même si je pars, toi, tu viendras et tu reviendras me chercher.’ Quand votre fils vous dit cela, vous avez votre coeur de mère qui est déchiré parce que vous aimez votre enfant plus que tout. Mais à côté de cela, vous voulez le meilleur pour lui. Pourquoi faire encore un traumatisme à un enfant en le séparant de sa mère ? Alors qu’on leur demande d’être rapatriées, et qu’on regrette, qu’on sait ce qui nous attend, qu’on paiera. On le sait. Mais en attendant, on est toujours là. »

Dans le camp, 80 femmes françaises et leurs 200 enfants attendent un signe de l’Etat français, qui refuse de les rapatrier ensemble. (RAYMOND ALBOUY / RADIO FRANCE)

La France a violé les droits des enfants français détenus en Syrie en omettant de les rapatrier (Comité de l’ONU)

©UNICEF/Delil Souleiman
Un garçon de 12 ans qui a fui vers le camp d’Al-Hol, dans le nord-est de la Syrie.

ONU info : L’actualité mondiale Un regard humain

24 février 2022Droits de l’homme

Au moins 62 enfants seraient morts dans les camps à cause de ces conditions depuis le début de l’année 2021

Le refus de la France de rapatrier des enfants français détenus dans des camps syriens dans des conditions mettant leur vie en danger depuis des années viole leur droit à la vie, ainsi que leur droit à ne pas subir de traitements inhumains et dégradants, a déclaré le Comité des droits de l’enfant de l’ONU jeudi.

Le Comité des droits de l’enfant (CRC) a publié ses constatations après avoir examiné trois requêtes déposées par un groupe de ressortissants français dont les petits-enfants, nièces et neveux sont actuellement détenus dans les camps de Roj, d’Aïn Issa et d’Al-Hol, qui sont sous le contrôle des forces kurdes.

Les trois cas concernent 49 enfants français. Certains d’entre eux sont nés en République arabe syrienne, tandis que d’autres y ont voyagé avec leurs parents français à un très jeune âge. Leurs parents auraient collaboré avec le groupe terroriste Daech.

Depuis que les proches ont porté leur cas devant le Comité en 2019, le gouvernement français a rapatrié 11 de ces enfants. Les 38 autres enfants victimes, dont certains n’ont que cinq ans, sont toujours détenus dans des camps fermés en zone de guerre.

Selon le Comité, « la France a la responsabilité et le pouvoir de protéger les enfants français dans les camps syriens contre un risque imminent pour leur vie en prenant des mesures pour les rapatrier ».

© UNICEF/Delil Souleiman
Une famille reçoit de l’UNICEF des vêtements pour l’hiver dans le camp d’Al-Hol, dans le nord-est de la Syrie.

Prendre des mesures immédiates

Le Comité a en outre considéré que la détention prolongée des enfants victimes dans des conditions mettant leur vie en danger « équivaut également à des peines ou traitements inhumains et dégradants » et conclu que la France « n’avait pas démontré qu’elle avait dûment pris en compte l’intérêt supérieur des enfants victimes lors de l’évaluation des demandes de rapatriement de leurs proches ».

Le Comité a exhorté la France à prendre des mesures urgentes pour rapatrier les 38 enfants victimes restants.

Dans l’intervalle, il a demandé à ce pays de prendre des mesures supplémentaires pour atténuer les risques pour la vie, la survie et le développement des enfants victimes pendant leur séjour dans le nord-est de la Syrie.

« Nous demandons à la France de prendre des mesures immédiates, car chaque jour qui passe crée un risque pour de nouvelles victimes », a souligné Mme Skelton.

La France a violé les droits des enfants français détenus en Syrie, selon un comité de l’ONU

France 24 le 24 février 2022

Une femme porte un enfant à Al-Hol, l’un des trois camps en Syrie où résident des enfants français.  © AFP archives

La France a violé les droits des enfants français détenus dans des camps en Syrie en refusant de les rapatrier, a affirmé jeudi un comité de l’ONU, après avoir examiné des requêtes concernant 49 enfants français. Le Comité exhorte la France à prendre des mesures urgentes pour rapatrier les 38 enfants victimes restants. 

La France a violé les droits des enfants français détenus en Syrie en omettant de les rapatrier, a affirmé jeudi 24 février un comité de l’ONU, après avoir examiné des requêtes concernant 49 enfants français.

« Le refus de la France de rapatrier des enfants français détenus dans des camps syriens dans des conditions mettant leur vie en danger depuis des années viole leur droit à la vie, ainsi que leur droit à ne pas subir de traitements inhumains et dégradants », a déclaré le Comité des droits de l’enfant, dans un communiqué.

Il a estimé que « la France a la responsabilité et le pouvoir de protéger les enfants français dans les camps syriens contre un risque imminent pour leur vie en prenant des mesures pour les rapatrier ».

Ce Comité est composé de 18 experts indépendants chargés de surveiller la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant par ses États parties.

Il a publié ses constatations concernant la France après avoir examiné trois requêtes déposées par un groupe de ressortissants français dont les petits-enfants, nièces et neveux sont actuellement détenus dans les camps de Roj, d’Aïn Issa et de Al-Hol, qui sont sous le contrôle des forces kurdes.

38 enfants toujours détenus en zone de guerre

Les trois cas concernent 49 enfants français, dont les parents auraient collaboré avec le groupe État islamique (ou Daech). Certains sont nés en Syrie, tandis que d’autres y ont voyagé avec leurs parents français à un très jeune âge.

Depuis que les proches ont porté leur cas devant le Comité en 2019, le gouvernement français a rapatrié 11 de ces enfants. Les 38 autres enfants victimes, dont certains n’ont que cinq ans, sont toujours détenus dans des camps fermés en zone de guerre.

Le Comité de l’ONU a estimé que « la France a la responsabilité et le pouvoir de protéger les enfants français dans les camps syriens contre un risque imminent pour leur vie, en prenant des mesures pour les rapatrier ».

Il a en outre considéré que la détention prolongée des enfants victimes dans des conditions mettant leur vie en danger équivaut également à « des peines ou traitements inhumains et dégradants ».

Les experts ont également conclu que la France n’avait pas démontré « qu’elle avait dûment pris en compte l’intérêt supérieur des enfants victimes lors de l’évaluation des demandes de rapatriement de leurs proches ».

En conclusion, le Comité exhorte la France à prendre des mesures urgentes pour rapatrier les 38 enfants victimes restants.

Dans l’intervalle, il demande aux autorités françaises « de prendre des mesures supplémentaires pour atténuer les risques pour la vie, la survie et le développement des enfants victimes pendant leur séjour dans le nord-est de la Syrie ».

Avec AFP

La vie de nos enfants à l’épreuve de la lâcheté politique : ignominie sans fin « Est-ce que t’as demandé à ma maîtresse si même elle, elle veut pas que je rentre ? »

February 22, 2022

ASSOCIATION DES DROITS HUMAINS DE LA SORBONNE

Source : IMAGO/epd, photo prise dans le camp de Roj

Le 15 février dernier, une conférence de presse était organisée au siège de la Ligue des Droits de l’Homme à Paris, réunissant nombre d’acteurs engagés en faveur du rapatriement des femmes et enfants français prisonniers dans les camps du Nord-Est Syrien. Etaient notamment présents Henri Leclerc, Patrick Baudouin (LDH), Bénédicte Jeannerod (HWR), Adeline Hazan (UNICEF), Marie Dosé, Sophia Aram, Marie Desplechin, Rachid Benzine, Serge Hefez…

Cette conférence de presse s’inscrivait dans la succession récente de prises de position de la part de personnalités politiques, de professionnels de l’enfance et de la santé, d’avocats, et de personnalités publiques d’horizons divers pour que soient enfin rapatriés ces 200 enfants français et leurs mères détenus en Syrie depuis 3, 4 et parfois 5 ans.

En quelques mois en effet, ont été publiées les tribunes de Bernard Cazeneuve et François Zimeray, d’Arthur Dénouveaux et Me Jean-Marc Delas, et de Serge Hefez et quatre autres pédopsychiatres de renom. Rachid Benzine, islamologue et écrivain, a consacré son dernier livre « Voyage au bout de l’enfance » à ce drame. Un collectif de marraines et parrains de ces enfants a été créé réunissant des artistes et intellectuels, et près de 200 parlementaires ont publiquement soutenu l’appel au rapatriement de ces enfants et de leurs mères.

L’actualité mortifère en Syrie a conduit à renforcer cette kyrielle de voix qui s’élève. Chaque jour, les conditions de vie dans les camps du nord-est syrien se dégradent : un enfant a été tué dans le camp d’Al Hol par un garde kurde, des tentes ont été incendiées dans le camp de Roj, et la Prison Al-Sinaa d’Hassaké a fait l’objet d’un assaut des combattants de Daech.

Lors de cette conférence de presse, les intervenants ont fait part de leur incompréhension et de leur profonde colère face au refus obstiné du gouvernement de rapatrier les femmes et les enfants français. Tous ont pointé les multiples incohérences d’une telle décision irresponsable et inhumaine.

Le refus de rapatrier : une ineptie sécuritaire

Adeline Hazan, vice-présidente d’Unicef France, a mis en parallèle l’impérieuse protection des droits de l’enfant et la sécurité nationale :  « il y a un article dans la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) qui concerne la protection des enfants dans les conflits armés. Le président de la république a indiqué que se battre pour les enfants c’était se battre pour les enfants se trouvant dans les conflits armés. Pour que l’Etat de droit soit respecté, il faut absolument que ces enfants soient rapatriés. Il en va des droits des enfants mais il en va également de la sécurité de la France. Ces enfants sont en danger de mort, de devenir des orphelins mais également en danger d’être embrigadés, de devenir des enfants ou adolescents qui vont détester leur pays. Il faut savoir que dans ces camps une fois que ces enfants ont atteint douze ans ils sont de fait transférés dans des prisons pour adolescents. Rapatrions ces enfants ils ne peuvent plus attendre ! »

Marie Dosé, avocate de nombreuses familles, a par ailleurs souligné que ces femmes étaient nées en France, qu’elles avaient grandi en France, avaient été scolarisées en France, et s’étaient radicalisées en France : « qu’on le veuille ou non, cette histoire est notre histoire et il va falloir la regarder en face. Elles ne sont judiciarisées qu’en France et ne peuvent être jugées qu’en France ». Précisant par ailleurs que certaines de ces femmes, de retour en France après avoir fui les camps, sont une source de renseignements considérable pour la DGSI et les magistrats instructeurs antiterroristes : « l’une d’entre elles est la colonne vertébrale de tant de dossiers, et tout particulièrement du dossier d’instruction consacré aux crimes perpétrés par Daech sur les yézidis ».

Et de rappeler, sur un registre plus sécuritaire, les propos qu’avait pu tenir Edouard Philippe en 2019 : « je préfère qu’ils soient jugés et condamnés en France plutôt qu’ils se dispersent dans la nature pour fomenter d’autres actions, y compris contre notre pays. »

Alors que se déroule en ce moment même le procès des attentats du 13 novembre 2015, Me Jean-Marc Delas et Arthur Dénouveaux, rescapé du Bataclan et Président de Life for Paris, association de victimes des attentats, ont signé une tribune dans le journal Le Monde, exhortant les autorités françaises à procéder au rapatriement de ces enfants et femmes français : « si nous sommes aussi sûrs de notre justice, et de l’efficacité du suivi judiciaire, alors ramenons les djihadistes français ou leurs veuves, jugeons-les et ayons confiance dans notre capacité à les maîtriser. Et prenons en charge leurs enfants, qui croupissent dans ces camps, pour les élever ».

Qui peut encore raisonnablement soutenir qu’il est plus pertinent de laisser des femmes – potentiellement dangereuses – dans des camps tenus par les kurdes qui appellent eux-mêmes les États à rapatrier leurs nationaux – que de rapatrier ces femmes sous le coup d’un mandat d’arrêt international français qui, dès qu’elles mettront un pied sur le territoire national, seront arrêtées, mis en examen et placées en détention provisoire ?

Et à ceux qui soutiendraient que la France n’a pas les moyens de prendre en charge ces femmes et ces enfants, « est-il plus coûteux de penser et mettre en œuvre un plan de rapatriement pour sauver nos enfants du pire plutôt que de construire sur mesure une salle d’audience hors norme qui accueillera des milliers de parties civiles endeuillées par des attentats qui auront été fomentés au sein de ces camps, la France ayant laissé faire ? » s’indigne Morgane Fanchette, Présidente de l’Association des Droits Humains de la Sorbonne.

Ce refus de rapatrier ne trouve aucune justification sérieuse et digne de ce nom sur un registre sécuritaire : il laisse en réalité entrevoir son caractère éminemment politique, pour ne pas dire politicien, dicté par une vox populi volontairement mal informée.

Un refus éminemment politique guidé par une opinion publique figée dans le pire

Marie Dosé confie sans ambages l’évolution de ses échanges avec le gouvernement : « que les choses soient claires, c’est l’Elysée qui bloque. J’ai été reçue à plusieurs reprises par le Quai d’Orsay, et on m’a dit il y a de cela un peu plus d’un an, le Quai d’Orsay c’est terminé. Cela se décide à l’Elysée. C’est une décision d’Emmanuel Macron donc votre interlocuteur ce n’est désormais plus que l’Elysée. C’est étrange car Emmanuel Macron s’est opposé à un moment précis et à juste titre contre la déchéance de nationalité. Or, de facto, c’est cette déchéance qu’il assume complètement aujourd’hui, de surcroît sur des enfants. On est dans plusieurs mensonges d’Etat. Et tout particulièrement lorsqu’on nous explique que les opérations de rapatriement sont beaucoup trop compliquées – ce qui a d’ailleurs été soulevé devant la Cour européenne de façon assez cavalière mais assumée. C’est un mensonge ! »

Elle continue, chiffres à l’appui : « 1844 étrangers ont été rapatriés dans leur pays depuis 2019, en grande majorité femmes et enfants. Du 1er janvier au 31 décembre 2021 :  331 femmes et enfants rapatriés dont 97 femmes et enfants européens, dont sept enfants français. Il n’y a plus de rapatriement organisé par la France depuis treize mois. On nous explique que c’est beaucoup trop dangereux pour la France alors qu’en février 2022, au moment précis où la situation sécuritaire sur place est désastreuse, le Pays-Bas a rapatrié seize femmes et enfants. La Suède quant à elle a rapatrié 26 femmes et enfants ces trois derniers mois. Donc lorsque l’on nous assène, à la télévision ou devant la Cour européenne, que ces opérations sont extrêmement dangereuses, que les militaires français ne sont quand même pas là pour risquer leur vie et sauver des enfants ; sachez-le, ce n’est dangereux que pour les français. »

Peut-on décemment expliquer qu’il est risqué pour les militaires français de se rendre dans ces camps alors même que les grands-parents se sont rendus à leurs abords par leurs propres moyens, et que les journalistes français y entrent et y sortent depuis des années sans la moindre difficulté ?

Et puis, l’avocate poursuit, assez émue en rappelant la mort de cette femme âgée d’à peine 28 ans, en décembre dernier, dont la petite fille, orpheline désormais, se trouve seule dans le camp de Roj : « A 42 reprises, j’ai demandé le rapatriement de cette femme qui était très malade, et qui est morte à 28 ans dans le camp Roj. J’ai envoyé les photos de ses bras à l’Elysée. Je suis allée à l’Elysée en expliquant qu’elle allait mourir si elle n’était pas rapatriée. En janvier 2021, la délégation française du Ministère des affaires étrangères qui est allée chercher sept enfants qu’elle a arrachés à leurs mères est passée à côté de cette tente où cette femme agonisait devant sa petite fille de six ans, et elle les a laissés là. Le 14 décembre, cette femme est morte. Cette petite fille est entrée dans le camp à trois ans, elle a regardé sa mère souffrir et s’éteindre pendant trois ans. Elle est toute seule depuis le 14 décembre alors même que les Suédois et les Néerlandais organisent le rapatriement des enfants et de leurs mères depuis trois mois. La France laisse seule cette petite fille. Cette histoire du cas par cas, du fait du Prince, c’est profondément inhumain ! »

Enfin, elle s’indigne des propos tenus par le Ministre des affaires étrangères : « Jean-Yves Le Drian a eu le culot de nous expliquer qu’en Irak les procès étaient équitables, je le cite « les procès équitables irakiens ». Tous condamnés à mort en 10 minutes, ça s’appelle un procès équitable à la Jean Yves Le Drian ! Sur cette question, on est en-dessous de tout. Tout cela est profondément choquant. Je ne peux plus entendre « si ces enfants sont là c’est parce que les mères ne veulent pas se séparer d’eux ». Je suis en contact avec des dizaines de femmes qui depuis trois, quatre voire cinq ans disent « Maître faites tout pour qu’on rentre » et elles restent là bas. C’est un choix dicté par une opinion publique que l’on fige dans le pire. »

Rachid Benzine, islamologue et auteur de Voyage au bout de l’enfance, paru en janvier 2022, confie les mots qu’avait pu tenir le Président de la République sur ce sujet  : « lors du grand débat qui a eu lieu à l’Élysée à l’occasion des gilets jaunes, j’avais eu l’occasion de poser la question à Emmanuel Macron sur le sort de ces enfants. Il n’a pas souhaité répondre. Quand je suis allé le voir, il m’a dit « tant que je suis Président, il est hors de question». »

Serge Hefez, pédopsychiatre, s’est occupé des adolescents qui tombaient dans les filets de Daech. Lorsque les premiers enfants dont les familles s’étaient enfuies par la Turquie sont revenus, un juge pour enfants de Bobigny lui avait demandé de les suivre et de les expertiser : « ce sont des enfants polytraumatisés qui pour certains avaient vu leurs parents mourir sous leurs yeux. Quand j’entends dire que l’on pourrait rapatrier ces enfants sans leurs mères, j’ai les cheveux qui se dressent sur la tête ! Je me dis mais dans quel pays on est, pour imaginer que ces enfants qui sont collés à leurs mères depuis leur naissance, qui ne connaissent qu’elles, qui n’ont qu’elles comme lien affectif… c’est comme si leur cordon ombilical était encore relié à leurs mères, dans quel pays est-on pour imaginer que l’on puisse comme ça, du jour au lendemain, séparer ces enfants de leurs mères ! Ça me parait juste ahurissant. Lorsque l’on dit qu’il n’y a aucune raison logique que ces enfants et femmes ne reviennent pas, il n’y en a qu’une : c’est une simple raison électorale. Il y a une telle hypocrisie autour de cela. » 

Peut-on sérieusement reprocher à un pédopsychiatre de se fourvoyer dans de l’angélisme inconsidéré ? Ou son analyse, nourrie par son expérience, ne devrait-elle pas être écoutée et prise en considération pour endiguer ce qui est aujourd’hui un désastre humain, et sera demain un fléau à combattre en France ?

Cette conférence de presse a également été l’occasion de rappeler que l’opinion publique n’était pas figée dans le temps, et qu’elle demeurait au contraire capable d’évolution. Si le gouvernement cessait de la figer dans le pire et faisait preuve de pédagogie, tel qu’il a su le faire à maintes reprises sur bien d’autres sujets, nombre de Français percevraient l’impérieuse nécessité de faire face à nos responsabilités.

Le regretté Jean-Yves Moyart écrivait dans son livre « Maître Mô » à propos de l’hypocrisie de l’opinion publique « et tous ceux, dans l’opinion publique, cette espèce de grande putain, qui osent soutenir ce type de décision uniquement sécuritaire ou censée l’être, sans réfléchir un instant à qui on va l’appliquer, et qui changeraient immédiatement d’avis si cette petite fille en ciré jaune trop grand était leur enfant ou leur sœur… »

Mais pour aller à l’encontre de « cette espèce de grande putain », encore faut-il faire preuve d’un courage politique qui manque singulièrement à ce gouvernement enclin à conforter les relents pseudo-sécuritaires les plus vils.

La vie d’un enfant est-elle moins importante qu’un point de sondage ? La politique politicienne nous a-t-elle gangrenés à ce point ?

Un désastre humanitaire

Il ne faut pour autant pas oublier que c’est avant tout un désastre humanitaire qui se trame dans ces camps.

Henri Leclerc a rappelé que le sort de ces enfants n’était finalement rien d’autre qu’une question d’humanité : « Par n’importe quel moyen, il faut faire revenir ces enfants en France. Ils ont des attaches familiales en France et en plus l’organisation de leur retour est très bien prévue, les ASE sont mobilisées. C’est un refus du gouvernement français incompréhensible. Il faut que nous commencions une bataille, il y a des enfants qui vont mourir nous le savons ! C’est un problème d’humanité tout simplement ! Il faut sur ce sujet réveiller l’opinion publique. »

Patrick Baudouin, avocat et Président d’honneur de la Fédération internationale pour les Droits humains (FIDH), quant à lui, précise « aucun argument sérieux à opposer au rapatriement des enfants français. Au contraire, tout milite en faveur de ce rapatriement. Voilà maintenant plus de trois ans pour la plupart de ces enfants que ceux-ci sont détenus dans des conditions qui peuvent être qualifiées de inhumaines et dégradantes. Ces enfants ne sont pas des coupables, ils sont des victimes. Ils n’ont pas choisi de partir en Irak ou en Syrie. Face à cette situation, la France utilise toute une série d’arguties pour expliquer qu’il n’est pas possible de procéder au rapatriement. Or, c’est totalement inexact. D’abord, il y a des conventions internationales qui font obligation à la France de protéger les enfants qui sont des enfants français, et il est évident qu’il y a une violation de ces conventions internationales. Ensuite, il y a eu des rapatriements qui ont été faits, trente-cinq exactement. Cela prouve qu’il est possible de rapatrier ces enfants et de procéder aux opérations de rapatriement. Pendant très longtemps, on nous a dit qu’il n’était pas possible de rapatrier car il n’y avait pas de contrôle de la zone par la France. C’est évidemment totalement faux. Et c’est d’autant plus faux que c’est un fardeau pour les Kurdes qui demandent à ce que ce rapatriement soit fait. C’est donc un argument purement fallacieux. Enfin, c’est absurde de dire que cela poserait un problème à la Justice française. La Justice française est parfaitement opérationnelle ! »

Un représentant du Collectif des Familles unies, « Marc », dont quatre des petits-enfants se trouvent dans le camp de Roj, a livré un témoignage poignant sur les conditions de vie à Roj et son désarroi face à l’obstination du gouvernement français de laisser périr des enfants : « depuis août 2020, les familles qui étaient à Al-Hol ont été transférées à Roj. Pendant ce transfert, les enfants ont passé des mois en prison où ils étaient les uns sur les autres, certains enfants ont pu assister aux interrogatoires de leurs mères, à leurs mises à nue. Nous sommes en contact avec eux, nous savons exactement ce qu’il se passe dans ces camps. En même temps, nous connaissons aussi leurs sourires et c’est ce qui nous fait tenir. On a envie de crier car nos petits-enfants, on est en train de les laisser mourir. Les premiers enfants sont arrivés dans le camp de Roj début 2017. En 2018, ce sont les premiers enfants français qui sont nés dans le camp de Roj. Ces enfants ont passé cinq ans dans des camps. Ces années qu’on leur a volées, on ne pourra jamais leur rendre. Cela devient purement et simplement de l’infamie. Il y a deux mois, des soldats sont arrivés et ont arraché une dizaine d’enfants à leurs mères et à leurs fratries pour les emmener dans des prisons. Le dispositif de retour des enfants est prêt, il fonctionne. Alors je dis simplement à Emmanuel Macron : arrêtez de faire la guerre aux enfants, rapatriez-les ! »

Sophia Aram a, quant à elle, expliqué l’opération de parrainages à laquelle une cinquantaine de personnalités publiques participent : « on voulait leur dire qu’en France, il y avait des personnes qui s’inquiétaient pour eux, qui réclamaient leur retour. On veut leur dire qu’on les attend, on connait leur histoire, leur visage. On a honte de ce qui est fait, de ce qui n’est pas fait. C’est symbolique mais c’est mieux que rien. On s’inquiète pour eux.Il faut arrêter de dire qu’ils sont des enfants de Daech. On condamne à mort ces enfants, à l’oubli et au néant. Nous on refuse et on ne veut pas les laisser croire que tout le monde est d’accord avec cela. Ils font partie de la République, ce sont de futurs citoyens. »

Marie Desplechin a lancé, légèrement offusquée : « il y a des millions de gens qui sont émus par des vidéos de chatons, franchement ce n’est pas possible que dans ces gens, il n’y en ait pas qui soient troublés par des enfants qui sont en train de mourir dans un camp ! »

L’urgence du rapatriement

Il y a urgence à rapatrier ces enfants, l’actualité du Nord-Est syrien le démontre un peu plus chaque jour et Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Watch Rights, s’est indignée face à l’immobilité du gouvernement : « que faut-il de plus pour que la France réagisse enfin, pour que le gouvernement français sorte de cette impasse et ramène les femmes et les enfants ? Faut-il qu’il y ait d’autres assauts et d’autres décès d’enfants pour qu’elle se décide enfin à agir ? ».

Ne relève-t-il pas de la folie humaine de préférer fabriquer des enfants soldats que d’éduquer de petits écoliers ?

Écouter ces grands-parents qui se battent chaque jour avec tant de dignité pour retrouver, serrer dans leurs bras, éduquer, offrir une enfance à leurs petits-enfants ; c’est chérir d’autant plus les souvenirs des bras réconfortants de nos grands-parents.

Nous n’espérons plus qu’une chose : que ces futurs brillants écoliers, qui ont, comme tous les enfants, une force de résilience extraordinaire, puissent connaître ces mêmes émotions, ce même amour de leurs proches, et que leur enfance ne rime plus qu’avec rêves et espoirs car elle n’aurait jamais dû être autre chose que cela.

Pauline Gamba-Martini, membre de l’ADHS