Remarques à certains journalistes qui font des « reportages » dans les camps : Les camps de Roj et Al-Hol ne sont pas des zoos, ce sont des camps de prisonniers

Nous, familles d’enfants et de femmes détenus dans les camps de prisonniers du nord-est de la Syrie, nous vous demandons de garder la distance et le recul nécessaires qu’imposent leurs conditions de détention.

Camps de Roj
Camps de femmes et d’enfants prisonniers à Roj dans le nord-est de la Syrie

Vous êtes autorisés à accéder aux camps, pourtant interdits d’accès à nous, parents et grands-parents, oncles et tantes, mais aussi aux avocats, ou aux députés et eurodéputés français.

En recueillant la parole de celles que vous « interviewez » et mettez en scène, vous n’avez jamais fait mention de cette interdiction qui aurait pourtant dû vous interroger. Car depuis trois semaines, il s’agit bien de cela ; d’une mise en scène orchestrée par la propagande de ceux qui les détiennent à laquelle vous vous prêtez en toute connaissance de cause. La parole de ces femmes n’est pas libre, et vous le savez : elles sont prisonnières, et chacun de leurs mots est un risque qu’elles font peser sur leur sécurité et sur celle de leurs enfants. Elles sont tenues à la place que leur assignent leurs conditions de détention et leurs geôliers. Et quand vous les interrogez, vous ne pouvez oublier que c’est tout ce qui les entoure que vous interviewez : leurs gardiens, les autres femmes plus ou moins radicalisées, et finalement vous et votre recherche du scoop « quoiqu’il en coûte »… La presse est libre, mais leur parole ne l’est pas. Loin de nous la volonté de transformer ces femmes qui sont nos filles, nos sœurs, nos belles-filles en victime. Mais leur parole ne peut avoir de sens et de portée qu’en dehors de ces camps où plus rien n’est pensé, réfléchi et conscientisé : il n’est question, à Roj et Al Hol, que de survie. Quelles paroles et quelles images diffusez-vous exactement ? Celles du désespoir, de la souffrance, du malheur, ou celles qui vous sont offertes sur un plateau par ceux qui détiennent arbitrairement des enfants et leurs mères dans des camps de prisonniers en zone de guerre ? 

Nous, familles de ces femmes et de ces enfants, savons comment ces « interviews » sont menées. Les gardiens de ces camps décident de qui parlera aux journalistes : des mères sont emmenées jusqu’à vous, qu’elles le veuillent ou non, et certaines d’entre elles ont refusé de répondre à vos questions et s’en souviennent encore… Et vous, de retour en France, ne saurez jamais rien de leur silence et de ses conséquences.

Nous vous demandons de ne pas soumettre ces mères et leurs enfants à une pression médiatique qui répond davantage à la recherche d’un « scoop » qu’à la quête d’une information objective sur ce qui est : elles ne sont libres de rien. Elles sont prisonnières et les mots qu’elles prononcent appartiennent à leur pays qui refuse de sauver leurs enfants… Des images scandaleuses prises par une pseudo-journaliste dans le camp de Al-Hol aux photos de « mode » obtenues dans le camp Roj (qui ne reflètent en rien la réalité de la vie du camp), les paroles recueillies de ces femmes, à ce stade, les photos ou les films que vous prenez et diffusez en disent plus sur vous que sur elles. Attendez de les entendre dans une salle d’audience du Tribunal judiciaire de Paris pour faire résonner leurs paroles dans une autre enceinte que celle de l’arbitraire et de la violence que charrie cette incarcération. Depuis trois semaines, toutes ces femmes nous racontent à quel point elles ont l’impression d’être des animaux d’un zoo, et certaines d’entre elles ne sortent plus de leurs tentes de peur d’être « choisies » par vous : en avez-vous conscience ? Appelez-vous cela un « reportage » ? 

Arrêtons d’alimenter le pire. Il n’existe qu’une priorité, qu’une urgence ; celle de rapatrier ces enfants et leurs mères. Que les mots des enfants résonnent dans des cours d’école et que ceux de leurs mères nous donnent enfin rendez-vous avec leur histoire ; la nôtre. 

Le 31 mars 2021

Des proches des familles détenues dans les camps de prisonniers Roj et Al-Ho