Environ 50 femmes et 120 mineurs vivent toujours dans des conditions précaires dans des camps au Kurdistan syrien, où les partisans d’un rapatriement de ces Français se sont rendus la semaine dernière.
Par Timothée Boutry du Parisien le 16 juin 2025 à 18h32

Il y a Ilies, emmené de force par son père il y a dix ans en Syrie avec sa fratrie. Aujourd’hui âgé de 22 ans, il a acquis sa majorité dans le centre « de déradicalisation » d’Orkesh, dans le nord-est syrien, où sont envoyés la plupart des garçons à l’adolescence. « Cela fait cinq ans et cinq jours que je suis séparé de ma mère et mes frères et sœurs, décompte-t-il. La vie n’a plus de goût ».
Il y a Adem, lui aussi 22 ans, lui aussi emmené en Syrie il y a dix ans, et lui aussi séparé du reste de sa famille. Lui a échoué dans la prison d’Alaya où, entassé dans une cellule de 25, il maintient son niveau en français en lisant les enquêtes du commissaire Maigret.
« J’ai hâte de vous revoir. Truc de ouf. Je vous aime de tout mon cœur », lance-t-il lorsqu’il découvre le courrier envoyé par sa cousine, rapatriée en France.
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Citons encore Youssef, 22 ans, arrivé en Syrie en août 2014 dans les bagages de ses parents, et désormais retenu à Orkesh. En janvier 2023, sa mère et le reste de la fratrie ont été rapatriés en France, mais pas lui, oublié.
Le visage de ce jeune homme souffrant de graves problèmes de santé neurologiques s’illumine lorsque son avocate Me Marie Dosé lui montre les cartes envoyées par sa mère. « J’en ai marre. Je ne comprends pas pourquoi toute ma famille est partie et moi je suis ici tout seul. Ça me tue », souffle-t-il.
Toutes ces séquences sont extraites de vidéos tournées la semaine dernière par une délégation qui s’est rendue au Kurdistan syrien, diffusées ce lundi lors d’une conférence de presse organisée dans les locaux du Conseil national des barreaux (CNB).
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Les membres de cette délégation composée d’avocats, de l’eurodéputé (Les écologistes) Mounir Satouri et de la productrice et présidente de l’Association Fraternité générale Fabienne Servan-Schreiber militent activement pour obtenir le rapatriement des enfants français de djihadistes encore retenus en Syrie, où ils grandissent dans des conditions exécrables. Pour certains, c’est la 6e mission depuis cinq ans mais la problématique reste patente.
Lors de la chute de la dernière poche de l’État islamique à Baghouz en mars 2019, quelque 110 femmes et 300 enfants français sont transférés vers les camps kurdes d’Al-Hol puis de Roj.
« Depuis, la France a procédé à quatre opérations de rapatriement pour un total de 57 femmes et 169 enfants, un chiffre auquel il faut ajouter les 200 à 300 enfants revenus en France sur la période 2015-2019, précise Me Matthieu Bagard, président du pôle expertise Syrie de l’ONG Avocats Sans Frontières France. La dernière opération remonte à juillet 2023. Or, depuis cette date, quantité de pays européens ou non européens, ont rapatrié leurs ressortissants. Même l’Ukraine, pays en guerre, l’a fait. Cette inaction est incompréhensible. »
« Les enfants déjà rentrés sont suivis et n’ont jamais suscité d’inquiétude »
Il resterait actuellement en Syrie une cinquantaine de femmes et environ 120 enfants français. « Je suis surprise par la position fluctuante de nos autorités », expose l’avocate Marie Dosé, particulièrement engagée dans ce combat.
« Le directeur de cabinet de l’ancien ministre de l’Intérieur m’a assuré qu’il suffisait qu’une seule mère demande le rapatriement pour qu’une opération soit organisée. Il y a deux mois, je me suis entretenu avec le Président de la République qui m’a indiqué qu’il n’était pas au courant de cette situation. J’ai envoyé toutes les informations à la conseillère en charge puis on m’a demandé d’arrêter en me renvoyant vers le quai d’Orsay…, déroule-t-elle.
« Sur le sujet, la France a été sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le comité contre la torture de l’ONU ou le tribunal administratif de Paris mais rien n’y fait. Les autorités invoquent des raisons de sécurité qui n’ont pas lieu d’être. Même des grands-parents ont réussi à se rendre sur place pour rencontrer leurs petits-enfants ! », conclut-elle.
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Afin de maximiser les chances de succès, les membres de la délégation sont venus une nouvelle fois recueillir les engagements des mères acceptant le rapatriement. Quatre mères et 11 enfants, dont un né dans les camps, sont concernés. Les cinq garçons (quatre jeunes majeurs et un mineur) retenus dans les centres de déradicalisation ou la prison d’Alaya sont également en demande. Au total, 23 personnes sollicitent leur retour.
« Il faut rappeler que toutes ces femmes font l’objet d’un mandat d’arrêt international. Elles seront mises en examen et très probablement incarcérées dès leur retour, rappelle Me Amélie Morineau, présidente de la commission Libertés et Droits de l’homme du CNB. Quant aux nombreux enfants déjà rentrés, ils sont suivis et n’ont jamais suscité d’inquiétude. »
« Ce n’est pas moi qui ai choisi de venir ici »
La délégation réclame donc une nouvelle fois l’organisation d’une opération de retour. « Maintenant, ça suffit ! peste l’eurodéputé Mounir Satori. Il n’y a aucune raison de laisser ces enfants continuer à vivre dans cet enfer. Il y en a ras le bol du manque de courage politique, du cynisme et des calculs électoraux. C’est une honte. Commençons par rapatrier immédiatement les 23 qui le demandent, sachant que nous serions en capacité de ramener tout le monde. »
Dans une lettre confiée à Marie Dosé, Amza, 22 ans dont dix en Syrie, confie sa peur de mourir en Syrie. « Ce n’est pas moi qui ai choisi de venir ici, livre ce jeune homme grièvement blessé après avoir sauté sur une mine en 2018. Par contre, j’ai choisi de partir en France. »