Lutter efficacement contre le terrorisme exige de rapatrier les jihadistes français détenus en Irak

Alors que Gérald Darmanin avait annoncé le transfert de jihadistes français détenus en Irak, avant de rétropédaler, un collectif d’avocats plaide pour assurer le respect des instruments internationaux ratifiés par la France.

Tribune Libération par Marie Dosé, Chirine Heydari-Malayeri, Matthieu Bagard, Richard Sedillot, avocats à la Cour du 230525

Quatorze Français, douze hommes et deux femmes, sont retenus prisonniers en Irak depuis six ans au moins après y avoir été condamnés à l’issue de procès notoirement inéquitables. Tous ont demandé leur transfert en France, où des magistrats instructeurs antiterroristes instruisent leurs dossiers depuis dix ans. A leur arrivée sur le territoire français, les mandats d’arrêt émis à leur encontre leur seront notifiés, et tous seront mis en examen du chef d’association de malfaiteurs à caractère terroriste, avant d’être très probablement placés en détention provisoire. Au-delà de la question de l’exécution des peines prononcées par la justice irakienne (perpétuité pour les hommes, 20 ans pour les femmes), une seconde procédure judiciaire les attend donc en France.

Le 25 avril dernier, répondant aux questions d’un lecteur de La Voix du Nord, Gérald Darmanin, ministre de la Justice, a affirmé que ces ressortissants – spécialement trois d’entre eux originaires du département du Nord – devaient exécuter leur peine en France, à l’instar de beaucoup d’autres détenus à travers le monde. « J’estime qu’on ne peut pas demander à l’Algérie, au Maroc ou aux Etats-Unis de reprendre leurs nationaux touchés par une OQTF et refuser de faire revenir les Français détenus à l’étranger », a-t-il souligné, non sans raison.

Nous ne pouvons que souscrire à ces propos, étant rappelé que ces personnes :

– ont été condamnées à mort (peine commuée en réclusion à perpétuité) ou à 20 ans de réclusion criminelle, dans des conditions expéditives, après seulement quelques minutes de réquisitoire et de plaidoiries ;

– n’ont bénéficié d’aucun accès à leur dossier, ni d’aucune défense digne de ce nom ;

– sont détenues dans des conditions abjectes, caractéristiques de traitements inhumains et dégradants (112 hommes sont entassés dans une cellule de 55 mètres carrés, 80femmes survivent dans moins de 100 mètres carrés) ;

– subissent la violence récurrente de leurs codétenu(e)s ;

– n’ont pas accès aux soins les plus élémentaires et notamment aux soins que leur état de santé exige.

Les associations de défense des victimes d’actes terroristes, telles que l’AFVT ou Life For Paris, soutiennent ces demandes de transferts en France, afin que des procès dignes de ce nom puissent enfin s’y tenir. Les autorités irakiennes ont, quant à elles, manifesté leur souhait de voir ces prisonniers français transférés dans leur pays d’origine. L’Irak n’est certes pas signataire de la convention du Conseil de l’Europe de 1983 applicable en la matière dans 66 pays, et aucune convention bilatérale n’a été signée entre les deux Etats.

Toutefois, les transfèrements restent possibles en l’absence de toute convention internationale, à l’occasion d’un accord cadre ponctuel entre la France et l’Irak. Les ministères de la Justice irakien et français sont seuls compétents pour le définir, et Gérald Darmanin avait donc toute légitimité pour asseoir sa position en faveur du transfert de ces ressortissants.

Au lendemain de ces déclarations, le revirement de Gérald Darmanin n’a rien de surprenant : s’il est seul compétent en la matière, ce n’était pas à lui d’annoncer une telle mesure. A surcommuniquer sans cesse, nul ne s’étonnera que l’information soit souvent délivrée au mauvais moment, dans la précipitation et dans des conditions inappropriées. On ne pourrait cependant imaginer qu’un Garde des Sceaux, qui de surcroît fut ministre de l’Intérieur et qui, comme tout ministre, relit chaque virgule des interviews qu’il donne, ait pu révéler une information d’une telle importance sans s’assurer de sa véracité. La France ne peut exiger des pays étrangers ce qu’elle refuserait d’appliquer à ses propres ressortissants a affirmé en toute cohérence Gérald Darmanin. Conséquemment, il faut,dans les meilleurs délais, transférer les ressortissants français retenus prisonniers en Irak. Seul ce transfert permettra de garantir les droits les plus fondamentaux de ces détenus, dont l’état de santé est aujourd’hui très préoccupant, d’assurer le respect des instruments internationaux ratifiés par la France, parmi lesquels la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et d’assurer le respect des droits des parties civiles. La lutte contre le terrorisme défie notre propre humanité, et la protection des droits fondamentaux demeure le seul moyen de lutter efficacement contre le terrorisme.