Recommandations

À tous les gouvernements dont des ressortissants sont détenus dans le nord-est de la Syrie et en Irak

Rapport de Human Rights Watch du 22 novembre 2022

·       Assurer de toute urgence le rapatriement de tous les ressortissants détenus de manière arbitraire dans le nord-est de la Syrie ou faisant l’objet de procès entachés d’irrégularités en Irak, en accordant la priorité aux enfants et à leurs mères, aux personnes qui ont besoin d’une assistance médicale d’urgence et aux autres détenus particulièrement vulnérables.

·       Veiller à ce que toutes les mères ou autres tuteurs adultes ainsi que leurs enfants puissent rentrer dans leur pays immédiatement, sauf preuve péremptoire de ce qu’une séparation serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément aux obligations juridiques internationales relatives à l’unité familiale.

·       Mettre à la disposition des personnes qui retournent dans leur pays des services de réadaptation et de réintégration, y compris un soutien médical et psychosocial. Mener des évaluations individuelles pour adapter l’assistance aux circonstances particulières de chacune de ces personnes, en tenant compte de son genre, de son âge, de ses besoins éducatifs, de sa situation familiale et de son profil culturel.

·       Réévaluer régulièrement les progrès de chaque enfant et apporter un soutien et des services supplémentaires sur une durée prolongée si nécessaire.

·       Veiller à ce que les personnes qui retournent dans leur pays obtiennent les documents appropriés, y compris un acte de naissance et une carte d’identité, et reçoivent le soutien nécessaire pour s’inscrire à des programmes de soins de santé et accéder à d’autres services sociaux.

·       Inscrire le plus tôt possible les enfants en âge d’être scolarisés dans un établissement scolaire ou préscolaire, et fournir des opportunités d’apprentissage accéléré, y compris des cours supplémentaires et de soutien, afin de permettre aux enfants de combler leurs lacunes et de se mettre au niveau de leurs camarades.

·       Veiller à ne pas séparer les femmes et les enfants une fois dans leur pays d’origine sauf si cela est absolument nécessaire, par exemple en mettant à disposition des logements supervisés lorsque des évaluations ou des enquêtes doivent être menées. Il pourrait par exemple s’agir de fournir aux travailleurs sociaux un accès sans restriction au logement en question à des fins d’observation.

·       Identifier suffisamment à l’avance ou dès que possible des solutions de placement de longue durée pour les enfants après leur rapatriement afin d’éviter une période de transition et de bouleversement inutile.

·       Chaque fois que cela est possible, accorder la priorité aux placements familiaux ; lancer et réaliser une évaluation des membres de la famille élargie, dans l’idéal à l’avance ou le plus rapidement possible après le rapatriement, afin que les décisions concernant la garde soient prises dans les meilleurs délais.

·       Faciliter dès que possible les contacts entre l’enfant et les membres de sa famille élargie au retour de l’enfant, y compris au moyen de visites supervisées, le cas échéant. Impliquer les membres de la famille élargie dans les décisions relatives aux soins et au placement de l’enfant.

·       Fournir aux familles d’accueil le soutien nécessaire, y compris de la part de travailleurs sociaux et d’autres professionnels dotés de la formation et de l’expérience requises pour accompagner les enfants affectés par la guerre.

·       S’il est inévitable de séparer l’enfant de sa mère, veiller à ce que la mère sache ce qui adviendra d’elle et de son enfant et comprenne qu’elle a la possibilité d’y préparer son enfant.

·       Dans les cas où la mère aurait commis des crimes liés à l’EI, envisager, dans la mesure du possible, des mesures non privatives de liberté au lieu d’une détention ou d’une incarcération si les préoccupations en matière de sécurité le permettent, afin d’empêcher que les enfants ne soient séparés de leur mère, sauf si une séparation est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Parmi les mesures envisageables figurent notamment une mise en liberté conditionnelle, une peine avec sursis, une limitation des mouvements ou un suivi assuré par les autorités policières.

·       Si la détention ou l’incarcération d’un parent est jugée nécessaire, veiller à ce qu’il puisse avoir des contacts fréquents par téléphone et vidéo avec l’enfant/les enfants, et veiller à ce que des visites en personne soient possibles fréquemment, d’une durée adéquate et dans un environnement adapté aux enfants. Veiller à ce que le parent soit détenu dans un centre situé aussi près de l’enfant que possible.

·       Traiter les enfants affiliés à l’EI d’abord et surtout comme des victimes, en reconnaissant que tout recrutement ou recours à des enfants de moins de 18 ans par des groupes armés non étatiques constitue une violation du droit international. Ne poursuivre en justice et ne détenir les enfants que dans des circonstances exceptionnelles et en dernier ressort, conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant, son Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés et les normes internationales relatives à la justice des mineurs.

·       Si un parent est décédé, veiller à ce que les familles rapatriées soient éligibles et perçoivent les allocations de décès disponibles, même en l’absence d’un acte de décès formel.

·       En attendant leur retour, veiller à ce que les ressortissants détenus aient immédiatement accès à des services consulaires sans discrimination, et prendre toutes les mesures raisonnables pour protéger leur droit à la vie, leur droit de ne pas être soumis à la torture et à de mauvais traitements, et leur droit à une procédure régulière.

Aux entités des Nations Unies

Y compris au Secrétaire général, au Conseil de sécurité, au Haut-Commissaire pour les réfugiés (HCR), au Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), au Bureau des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme (ONUDC), à l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) et à la Représentante spéciale du Secrétaire général pour la question des enfants et des conflits armés :

·       Continuer d’exhorter tous les gouvernements concernés à rapatrier immédiatement leurs citoyens, en accordant la priorité aux enfants et à leurs mères ; à apporter une aide en matière de réadaptation et de réintégration ; et à poursuivre en justice les adultes de manière appropriée en veillant à une procédure régulière ;

·       Soutenir les réinstallations dans un pays tiers lorsqu’un détenu fait face à un risque de mort, de torture ou d’autres mauvais traitements, ou de procédure irrégulière s’il venait à regagner son pays d’origine ;

·       Chercher à améliorer immédiatement l’accès humanitaire et l’aide aux camps et prisons du nord-est de la Syrie afin de mettre un terme aux conditions déplorables et souvent à un risque de mort ;

·       Aider les autorités du nord-est de la Syrie à transférer les garçons détenus dans des prisons pour adultes vers des centres non militarisés en attendant leur rapatriement ou leur réinstallation dans un pays tiers, en veillant à ce qu’ils disposent d’un accès maximal aux membres de leur famille sauf si un tel accès est contraire à leur intérêt supérieur ;

·       Apporter un soutien en matière de poursuites en justice, de façon appropriée et conformément aux normes internationales garantissant une procédure régulière, aux adultes accusés de crimes graves liés à l’EI, dans le pays dont ils sont ressortissants ou à l’étranger.

Aux bailleurs de fonds et aux membres de la Coalition internationale contre l’État islamique

·       Étendre leur soutien aux pays d’accueil afin de rapatrier leurs ressortissants, en accordant la priorité aux enfants et à leurs mères, aux personnes nécessitant une assistance médicale d’urgence et aux autres détenus particulièrement vulnérables.

·       Renforcer l’aide humanitaire, l’aide médicale et l’accès aux camps et prisons dans le nord-est de la Syrie.

·       Exhorter les autorités du nord-est de la Syrie à ne pas séparer les enfants de leur mère et à s’abstenir de transférer les garçons vers des prisons ou des centres de détention pour adultes, en reconnaissance du risque accru de radicalisation.

·       Prendre des mesures urgentes pour aider les autorités du nord-est de la Syrie à transférer les garçons détenus dans des prisons pour adultes vers des centres non militarisés en attendant leur rapatriement ou leur réinstallation dans un pays tiers, en veillant à ce qu’ils disposent d’un accès maximal aux membres de leur famille sauf si un tel accès est contraire à leur intérêt supérieur.

·       Prendre des mesures urgentes pour veiller à ce que tous les détenus aient accès à un tribunal pour contester la légalité et la nécessité de leur détention, et collaborer avec les autorités détentrices locales afin de libérer rapidement et en toute sécurité ceux d’entre eux qui sont détenus de manière arbitraire.

Méthodologie

Human Rights Watch a réalisé les travaux de recherche aux fins de ce rapport de février à septembre 2022. Nous avons basé nos conclusions sur des entretiens réalisés avec des membres des familles d’enfants rapatriés de camps de détention, dans le nord-est de la Syrie, réservés aux personnes soupçonnées d’activités liées à l’EI et à leurs familles, ainsi que sur des enquêtes en ligne auprès de membres de familles, de familles d’accueil, d’enseignants et d’assistants sociaux. Human Rights Watch a également mené des entretiens avec deux juristes, un tuteur légal, deux assistants sociaux, deux professionnels suivant les cas d’enfants retournés ou rapatriés et deux professionnels de la santé mentale qui travaillent auprès de ces derniers.

Les enquêtes et les entretiens représentent un échantillon raisonné, et non aléatoire, les membres des familles, les familles d’accueil, les enseignants, les assistants sociaux et autres entités ayant été identifiés sur recommandation de juristes, d’intervenants locaux et d’organisations travaillant avec des femmes et enfants rapatriés. Les conclusions sont donc susceptibles de ne pas être représentatives de la situation de tous les enfants rapatriés.

Les entretiens et les enquêtes en ligne réalisés auprès de prestataires de soins, d’enseignants et d’assistants sociaux nous ont renseignés sur une centaine d’enfants étrangers détenus en tant que membres de la famille de personnes soupçonnées d’être liées à l’EI dans le nord-est de la Syrie ou en Irak et qui vivent aujourd’hui dans l’un des sept pays suivants : l’Allemagne (6), la France (6), le Kazakhstan (39), l’Ouzbékistan (22), les Pays-Bas (4), le Royaume-Uni (1) et la Suède (26). Les enquêtes en ligne ont été remplies par 81 personnes, dont 66 membres de familles d’enfants rapatriés, 7 assistants sociaux, 6 enseignants et 2 membres de familles d’accueil. Des entretiens ont également été menés en Suède, en France et en Allemagne avec sept membres de familles qui ont la charge de 24 enfants au total.

Les différents enfants concernés par nos entretiens et enquêtes étaient âgés de deux à 17 ans et étaient arrivés dans leur pays de résidence actuel entre 2019 et 2022. Des entretiens réalisés avec une juriste et un psychiatre en France renseignent également sur le vécu d’enfants et de mères qui ont fui la Syrie en 2018 et ont été expulsés de la Turquie vers la France en 2018 et 2019.

L’enquête en ligne comprenait des questions sur la famille biologique de l’enfant, son cadre de vie actuel, sa scolarité, ses activités, ses compétences linguistiques, ses contacts avec d’autres membres de sa famille, son bien-être émotionnel et psychologique perçu et la façon dont il s’adapte à son pays d’origine. L’enquête portait également sur les services à la disposition de l’enfant ainsi que sur les autres services souhaitables. Chaque enquête visait à recueillir des renseignements sur un seul enfant ; certains répondants qui interagissaient avec ou étaient chargés de plusieurs enfants ont complété plusieurs enquêtes. Les questions n’étaient pas toutes pertinentes pour chaque répondant et les réponses étaient facultatives, par conséquent le nombre de réponses obtenues à chaque question va de 70 à 81.

Human Rights Watch a mis à disposition des enquêtes en allemand, anglais, français, kazakh, ouzbek, russe et suédois. Les répondants ont été informés de l’objectif de l’enquête et y ont répondu de manière anonyme et volontaire. Dans certains cas, l’enquête a été gérée par un défenseur local au moyen d’un appel téléphonique avec le répondant.

Les chercheurs de Human Rights Watch ont mené des entretiens par téléphone et vidéo en ligne en allemand, en anglais, en français ou en suédois, avec une interprétation vers l’anglais. Nous avons expliqué à toutes les personnes interrogées la nature et l’objectif de cette étude, en précisant que les entretiens étaient volontaires et confidentiels, et qu’ils ne dégageraient aucun service ou bénéfice personnel de leur contribution. Nous avons obtenu le consentement verbal de chaque personne interrogée.

La plupart des membres des familles ont demandé à Human Rights Watch de ne pas divulguer d’informations permettant de les identifier, telles que leur nom et le lieu où il se trouvent, ce afin de protéger la vie privée des enfants dont ils sont chargés. Dans certains cas, le pays de résidence de la personne interrogée n’est pas indiqué car les enfants rapatriés vers ce pays sont si peu nombreux que cette personne pourrait facilement être identifiée.

Human Rights Watch a également passé en revue des documents pertinents provenant de sources secondaires, y compris des reportages médiatiques, des déclarations de gouvernements et des rapports des Nations Unies et d’organisations non gouvernementales.

Human Rights Watch a adressé un courrier aux gouvernements de l’Allemagne, de la France, du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la Suède pour demander des renseignements sur leurs politiques et stratégies en matière de rapatriement de femmes et d’enfants. Au 15 octobre 2022, les gouvernements allemand, néerlandais et suédois avaient répondu à cette requête. Les informations qu’ils ont communiquées sont reflétées dans ce rapport.

Terminologie

La plupart des enfants dont il est question dans ce rapport ont été formellement rapatriés par le pays dont ils détiennent la nationalité, avec la coopération de l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie et, dans certains cas, par des tiers ou avec leur assistance. Certains, cependant, ont été emmenés des camps du nord-est de la Syrie par un parent ou un tuteur, généralement par l’intermédiaire de trafiquants qui les ont acheminés vers le pays dont ils sont ressortissants ou un pays tiers. Pour des raisons de simplicité, les termes « enfant retourné » et « enfant rapatrié » peuvent faire référence à des enfants qui ont regagné le pays dont ils détiennent la nationalité soit à l’issue d’un rapatriement officiel, soit par d’autres moyens. Ces termes désignent aussi les enfants nés en Syrie qui vivent aujourd’hui pour la première fois dans le pays dont ils détiennent la nationalité.

Conformément aux normes internationales, le terme « enfant » désigne une personne de moins de 18 ans.