3 MOIS APRÈS L’ARRÊT DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME LES ENFANTS FRANÇAIS SONT TOUJOURS DANS DES CAMPS DE PRISONNIERS EN SYRIE

Enfants dans des camps de prisonniers en Syrie

Communiqué du Collectif des Familles Unies du 16 décembre 2022

Le 14 septembre dernier, la Cour Européenne des Droits de l’Homme condamnait la France pour violation du Protocole n° 4 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui stipule que « Nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant », et pour l’arbitraire de ses « décisions » de non-rapatriement des enfants français et de leurs mères détenus dans les camps syriens. La CEDH demandait à la France de mettre en place ou de désigner « dans les meilleurs délais » un organisme indépendant devant lequel l’État devra justifier ses décisions de non-rapatriement, en prenant en compte l’intérêt supérieur de l’enfant et les « circonstances exceptionnelles » qui entourent la situation dramatique des enfants français, détenus depuis des années dans des camps de prisonniers et des prisons du nord-est de la Syrie par « un groupe armé non-étatique ». 

Trois mois plus tard, la majorité des enfants français détenus depuis 2017, 2018 ou 2019 dans des camps sont toujours derrière les barbelés, en Syrie. Deux opérations de rapatriement ont eu lieu en 2022 : une première, en juillet, a permis de rapatrier 35 enfants et leurs mères ; une seconde, en octobre, 40 enfants. Ces opérations se sont déroulées après un an et demi d’absence totale de rapatriement français, tandis que, dans le même temps, nos voisins européens rapatriaient la plupart de leurs ressortissants détenus dans les camps. Alors que la France compte le plus fort contingent d’enfants dans les camps, notre pays a été le plus rétif à prendre des décisions conformes à ses engagements internationaux et à ses principes fondamentaux ; il a tout fait pour retarder les rapatriements et a employé les arguments les plus mensongers pour justifier l’injustifiable : l’abandon d’enfants dans un Guantanamo syrien et la violation systématique de la Convention internationale des Droits de l’enfant que la France a ratifiée il y a plus de 30 ans. L’arrêt de la CEDH avait été précédé, en février 2022, par la condamnation de la France par le Comité des Droits de l’enfant des Nations Unies, garant de l’application de la Convention des droits de l’enfant, pour violation des droits des enfants français détenus dans les camps, en particulier leur droit à la vie.

Car il s’agit bien de cela : du droit à la vie d’enfants français assignés à souffrir dans un pays en guerre, parqués sous des tentes dans des camps insalubres, affrontant des conditions de vie indignes depuis des années, sans soins appropriés, sans école, sans protection. Ces enfants sont des victimes innocentes d’un espèce de châtiment collectif qui leur est infligé pour des fautes commises par leurs parents. Et c’est ce pays, le nôtre, qui exerce cette vengeance ignoble sur des enfants dont la majorité n’a pas plus de 6 ou 7 ans, et qui prétend tout à la fois faire de la protection des enfants dans les conflits armés une « priorité absolue ». Jamais le fossé entre la noblesse des principes affichés sur la protection de l’enfance et l’ignominie du maintien de jeunes enfants en captivité n’a été aussi vertigineux. 

Des centaines de vies d’enfants ont été brisées par cette captivité qui dure et s’éternise. Nous ne rendrons pas ces années d’enfance perdues à ces enfants, mais nous pouvons leur donner dès à présent la possibilité d’avoir un nouveau départ, et l’accès à une vie où ils seront en sécurité, une vie à laquelle ils ont droit. Nous pouvons leur rendre leur droit à l’enfance en les rapatriant tout de suite, en arrêtant de tergiverser, en prenant une décision ferme et immédiate de rapatriement. C’est possible : quand la France rapatriait 35 enfants en juillet, le Tadjikistan en rapatriait 104 20 jours plus tard. 

L’hiver syrien arrive, avec des températures qui peuvent atteindre les moins 10 degrés. D’ores et déjà, il fait très froid la nuit, et la vie dans les camps devient un calvaire pour des enfants affaiblis par des années de captivité. Les enfants et leurs mères vont-ils affronter un quatrième ou un cinquième hiver à souffrir du froid sous des tentes ? Comment peut-on continuer à infliger cela à des enfants ? Comment nos dirigeants politiques qui condamnent année après année des enfants à subir de telles souffrances peuvent-ils encore se regarder dans une glace ?

Les bombardements turcs dans le nord-est de la Syrie ont touché les camps : à Roj comme à Al-Hol, les bruits des bombes effrayent les enfants et les replongent dans l’horreur de la guerre. L’offensive turque déstabilise la région, et Daech menace les camps et les prisons du Nord-Est syrien. Le commandant en chef des Forces Démocratiques Syriennes, forces pro-kurdes qui contrôlent les camps, a déclaré récemment qu’en cas d’offensive terrestre turque, « nos forces seraient occupées à protéger notre propre peuple et nous ne serions pas en mesure de garder les camps ». La catastrophe humanitaire et sécuritaire se poursuit et s’aggrave. Pendant que les enfants sont en danger, à la merci de la guerre et d’une attaque de Daech, la France attend et reste inerte. Face à cette situation, un pays soucieux des droits humains et de protection de l’enfance, soucieux également de préserver sa sécurité à long terme, aurait accéléré les rapatriements, au lieu de les retarder, de les reporter ou de les annuler. La France a rapatrié des dizaines de milliers de français coincés à l’étranger par le COVID. Elle a participé à l’évacuation de milliers de personnes de l’aéroport de Kaboul encerclé par les Talibans. Elle a su accueillir en un temps record des milliers d’enfants ukrainiens. Et elle ne pourrait pas rapatrier en urgence 150 enfants français en danger de mort ? La protection de l’enfance, en France, c’est toujours pour demain. 

Le quinquennat de la protection de l’enfance, promis par Emmanuel Macron en mai dernier, n’a toujours pas commencé pour les 150 enfants français parqués dans les camps de prisonniers syriens. Pour eux, ce n’est pas la protection de l’enfance que la France met en place, mais la destruction de leur enfance qui se poursuit année après année, mois après mois, jour après jour. 

Les familles des enfants français des camps les attendent depuis des années ; elles réclament depuis des années leur rapatriement, et elles se heurtent depuis des années à l’indifférence glaciale de l’État français pour la souffrance des enfants, pour les droits de l’enfant. Les condamnations de la France par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies et par la Cour Européenne des Droits de l’Homme ne laissent pourtant place à aucun échappatoire : c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit guider toute décision, et l’intérêt supérieur de l’enfant, de tous les enfants, ce n’est pas de mourir dans un camp de prisonniers, c’est d’être rapatrié, dans tous les cas et sans aucune exception.

Nos amis de l’association Repatriate the Children, qui ont œuvré en Suède et au Danemark pour le rapatriement des enfants et de leurs mères — la quasi-totalité des enfants suédois et danois ont d’ores et déjà été rapatriés — viennent de lancer cette semaine un appel à l’évacuation immédiate des enfants des camps de prisonniers du Nord-Est syrien et à leur rapatriement dans leurs pays d’origine. Nous nous associons avec force à cet appel : il faut rapatrier tous les enfants des camps, maintenant et sans attendre. Il faut rendre tout de suite leur enfance à ces enfants : la grande majorité des enfants déjà rapatriés se portent bien et retrouvent rapidement une vie « normale », comme l’a montré un récent et important rapport de Human Rights Watch.

Devant la lenteur intolérable de l’État français à rapatrier les enfants des camps et à respecter les injonctions du Comité des droits de l’enfant de l’ONU et de la CEDH, les familles, avec leurs avocats, vont maintenant saisir le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, et multiplier les recours devant les juridictions internes. Et si cette inertie persiste, nous sommes décidés à nous rendre en Syrie, à la rencontre de nos petits-enfants et demandons officiellement au gouvernement français de ne pas s’y opposer comme il l’a fait par le passé. 

L’ignominie et la « maltraitance d’État » contre nos petits-enfants, pour reprendre les termes du psychiatre Serge Hefez, doivent cesser : TOUS les enfants français détenus dans les camps en Syrie doivent rentrer, maintenant.

Le Collectif des Familles Unies

Le 16 décembre 2022.

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