La France fait de la protection des enfants dans les conflits armés une « priorité absolue » et abandonne des enfants français dans des camps de prisonniers en Syrie…

Communiqué de presse du 16 février 2021

Il y a deux ans, l’État Islamique perdait à Baghouz, en Syrie, son dernier bastion, et la défaite territoriale de Daech était consommée en mars 2019. Dans cette bataille, des milliers de combattants ont perdu la vie comme des milliers de civils et d’enfants. Les femmes et les enfants qui ont survécu ont été envoyés dans le camp de Al-Hol, où la plupart d’entre eux sont toujours détenus.

Voilà deux ans que des dizaines d’enfants français sont détenus avec leurs mères dans des camps de prisonniers du nord-est de la Syrie. Pour d’autres enfants français, arrêtés avec leurs parents dès 2017 ou 2018 et envoyés dans le camp Roj, voilà trois ans, voire plus, qu’ils sont prisonniers. Des années donc que des détenus étrangers survivent dans des prisons qui sont des mouroirs, sans aucune perspective, sans accès à leurs familles, à un avocat, et sans aucun moyen de communication. Et voilà des années maintenant que des enfants français souffrent dans l’horreur de ces camps. Malades, blessés, traumatisés, ils attendent qu’on leur vienne en aide, mais personne ne veut entendre leur plainte. La souffrance de ces enfants ne semble pas atteindre celles et ceux qui ont le pouvoir et le devoir de les protéger, et tout particulièrement celui qui a le pouvoir et le devoir de les ramener.

Pourtant, l’ONU comme la Croix-Rouge ou l’UNICEF ont clairement insisté sur le fait que ces enfants sont des victimes, et qu’ils doivent être traités comme telles. Ce n’est pas le cas. Profitant honteusement du fait que ces enfants sont prisonniers dans une zone de non-droit entre les mains d’un acteur non étatique, l’État français s’arroge un droit de vie et de mort sur ces enfants : il laisse périr indéfiniment la plupart d’entre eux entre des barbelés, et en sauve discrétionnairement quelques-uns de temps à autre et au compte-gouttes. 

35 enfants français ont été rapatriés à ce jour : 17 en 2019, 11 en 2020, et 7 en janvier 2021.

Il en reste près de deux cents

Deux ans de détention, trois ans et plus pour des enfants dont les deux tiers ont moins de six ans. Des années sans droit, sans protection, sans école, sans soins appropriés, sans identité pour beaucoup. Des années à survivre dans des conditions épouvantables, et une situation qui ne fait qu’empirer. Des traumatismes qui s’accentuent, des maladies non soignées, des femmes et des enfants très gravement malades, des enfants qui ont peur, qui ont mal, à qui on vole leur enfance… Voilà le résultat des atermoiements de la politique française, de la « doctrine » française, de cette doxa qui justifie encore cette guerre faite à des enfants deux ans après la chute de Daech. Encore une fois, en ce début d’année, les organisations internationales se sont manifestées pour demander à de nombreux pays de rapatrier leurs ressortissants : l’ensemble des experts de l’ONU ont lancé un appel à 57 pays — dont la France — pour que soit organisé sans tarder le rapatriement des femmes et des enfants prisonniers des camps, estimant que la situation humanitaire et sécuritaire se détériorait de jour en jour. Le porte-parole du Secrétaire-Général de l’ONU déclarait le 11 février : « Vous savez que si nous laissons des enfants de 5 ans, de 10 ans, dans ces conditions, nous détruisons leur avenir et les exposons à un extrémisme potentiel. » De son côté, la nouvelle administration américaine a pris une position claire, par la voix de l’Ambassadeur Jeffrey DeLaurentis, appelant les pays à rapatrier en ces termes : « Au-delà d’être la meilleure option du point de vue de la sécurité, le rapatriement est également la bonne chose à faire. ». Mais rien, pas une réaction, pas un geste, ni un regard de la France pour ces appels à l’humanité et à la responsabilité.

En France, les prises de position sans ambages du Défenseur des Droits et de la CNCDH sont également restées lettre morte. Récemment, le Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU a précisé que la France avait juridiction sur les enfants français détenus dans les camps syriens, et avait la capacité et le pouvoir de les rapatrier contrairement à ce qu’elle assénait pour mieux échapper à sa responsabilité. Mais la France, par la voie de son pouvoir exécutif, persiste à s’abstenir, à laisser pourrir la situation et périr ses enfants.

Certains ministres français s’enferrent publiquement dans des déclarations approximatives et mensongères pour tenter, tant bien que mal, de justifier le parti pris honteux de la France d’abandonner en zone de guerre des enfants victimes à leur sort. Pour mieux expliquer ou justifier l’inertie française, des membres de l’exécutif osent ainsi assurer que des difficultés insurmontables en matière logistique et une extrême dangerosité de la zone concernée rendraient ces camps inaccessibles. Et pendant ce temps, de multiples délégations, des humanitaires, et des journalistes se rendent dans ces camps et nous alertent sur les conditions de vie dramatiques dans lesquelles ces enfants survivent. Et pendant ce temps, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan ou le Kosovo rapatrient des centaines d’enfants et leurs mères. 

Ces pays n’ont pas les moyens dont dispose la France, mais, contrairement à elle, ont trouvé le courage politique de prendre leur responsabilité : l’Ouzbékistan a rapatrié en décembre dernier 72 enfants et 25 femmes sans aucune difficulté logistique. Un MINISTRE a récemment évoqué l’existence de prétendus « accords internationaux » qui empêcheraient les rapatriements. Mais de quels accords internationaux parle-t-on ? De ceux qui prévoiraient le maintien d’enfants innocents en détention dans des conditions épouvantables, alors que les experts de l’ONU rappellent clairement à de nombreux pays, dont le nôtre, que le refus de les rapatrier est une violation claire du droit international humanitaire et de la Convention Internationale des Droits de l’enfant ? Enfin, on nous ressert en désespoir de cause et pour mieux justifier l’abandon des enfants détenus avec leurs mères l’argument selon lequel les adultes doivent être jugés sur place, mais comme l’affirme Fionnuala Ní Aoláin, Rapporteur Spécial de l’ONU, il ne peut y avoir de procès équitable ni en Syrie ni en Irak, et des acteurs non étatiques (comme l’Administration kurde du nord-est de la Syrie) ne peuvent pas organiser de procès au nom des États. Dire qu’il faut « les » juger sur place est une ineptie, un argument fallacieux et illusoire dont le pouvoir exécutif a parfaitement conscience. Aucun procès n’est à venir et ne viendra du Kurdistan, et la France le sait depuis des années désormais. 

Dans ce tragique abandon de leurs ressortissants, les pays de l’Europe démocratiques se sont distingués par leur inhumanité envers les enfants innocents et leur irresponsabilité sur le plan sécuritaire. Mais depuis quelques mois, l’Italie, l’Allemagne et la Finlande ont commencé à rapatrier des enfants avec leurs mères, jugeant que c’était l’intérêt supérieur des enfants qui devait être la préoccupation principale et que l’on ne pouvait pas, dans cette perspective, rapatrier les enfants sans elles. L’État français, malheureusement, s’échine à les voir rester sur place ou depuis peu, à acculer les femmes à se séparer brutalement de leurs enfants dans les pires conditions. Parce qu’on les arrache à leurs mères en quelques minutes au milieu du camp, parce qu’on sépare des fratries, parce qu’on en laisse certains sous la tente qui regardent partir les frères et sœurs, parce qu’on a fait en sorte que ces mères n’aient plus aucun espoir, pas même celui d’être jugées pour ce qu’elles ont fait, et qu’on veut les rendre responsables de ne pas supporter les cris de leurs enfants qui ne veulent pas être emmenés sans elles dans un pays qui prend le risque, depuis trois ans, de les voir tous mourir plutôt que de les voir rentrer. C’est faire peu de cas des droits et de l’intérêt supérieur des enfants. C’est aussi faire peu de cas de la justice française puisque toutes ces femmes sont judiciarisées en France et nulle part ailleurs, et qu’elles sont toutes sous le coup de mandats d’arrêt internationaux émis par des juges français. Ce faisant, l’État français agit contre l’intérêt des enfants, mais également et contre le droit international, et il le sait : il privilégie une sous-traitance sordide de prisonniers dans un nouveau Guantanamo peuplé d’enfants, interdit d’accès aux avocats et aux familles.

Nous, familles, n’en pouvons plus de voir nos petits-enfants, nos nièces et nos neveux dépérir dans ces camps, s’abîmer de plus en plus au fur et à mesure que le temps passe dans cet univers sordide. Nous n’en pouvons plus des atermoiements de ce pouvoir politique complètement sourd à la détresse des enfants, prêt à sacrifier la vie de dizaines d’enfants victimes et innocents pour satisfaire des intérêts purement électoralistes. En septembre 2020, des familles se réunissaient à Paris pour exhorter la France à rapatrier ces enfants et leurs mères, soutenues par l’appel de 67 parlementaires français appelant au retour de nos ressortissants.

Aujourd’hui, deux parlementaires en appellent à nouveau au pouvoir exécutif et exhortent leurs collègues du sénat et de l’Assemblée nationale à faire preuve d’un courage politique qui manque tant au président de la République qu’au gouvernement.

Cela n’a que trop duré : notre pays proclame à la tribune de l’ONU que la protection des enfants dans les conflits est une priorité absolue de la France, et condamne en même temps des dizaines d’enfants français à la détention dans des camps de prisonniers. Ce double langage est insupportable. Faites enfin ce que vous dites : protéger les enfants victimes des conflits armés, c’est rapatrier les enfants français de Syrie !

Le Collectif des Familles Unies demande une nouvelle fois au Président de la République de rapatrier les ressortissants français prisonniers en Syrie et en Irak, afin que les adultes soient jugés en France et que les enfants puissent être protégés, soignés et puissent avoir une vraie vie d’enfant et un avenir. Nous appelons également à la pleine applicabilité du protocole Cazeneuve, aujourd’hui mis à mal, pour que les femmes et les enfants français détenus en Turquie depuis des mois soient enfin expulsés vers la France. 

Le Président de la République a un pouvoir de vie et de mort sur ces enfants prisonniers en Syrie, parce qu’il a le pouvoir de les sauver en les rapatriant. C’est la seule issue possible, la seule qui respecte nos valeurs, celles que le Président de la République aime tant rappeler et appeler de ses vœux : celles de la justice, du droit, de la protection de l’enfance, de l’éthique, de l’humanité et de l’État de droit. 

Le 16 février 2021

Le « Collectif des Familles Unies »

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