Audition au Palais Bourbon 20 mars 2019

Discours d’intro  de V. Roy

Tout d’abord, je tenais à remercier Clémentine Autain d’avoir bien voulu organiser cette audition, même si nous aurions aimé que davantage de députés soient présents. Car, quelle est la manière la plus sereine d’aborder un sujet de société si ce n’est de rencontrer les gens concernés. On en parle mal et on prend de mauvaises décisions quand on a peur d’un sujet et que l’on se soumet à l’inconnu et pire aux préjugés

En préambule des interventions de Thierry, qui vous parlera de la mission du collectif, et de 3 parents témoins vivants de la radicalisation d’un enfant Lydie, pascale et laurent, je voudrais dire quelques mots.

-Sachez qu’une recherche universitaire dans le cadre d’un doctorat en psychologie (2ème année) est en cours à l’université Paris 13 Villetaneuse, Laboratoire UTRPS. Elle a pour objet d’étudier la nature traumatique spécifique des familles touchées par le départ de leurs enfants pour la Syrie. Dans les premières pistes exploratoires, il apparait que la nature traumatique est inédite en raison de la brusque désaffiliation des enfants et en raison du maintien d’un lien de nature luiaussi traumatique plusieurs mois, voire plusieurs années. La constante proximité avec le discours déshumanisé de leur enfant vaut traumatisme en lui-même. L’opprobe sociale, la honte rend difficile une expression adéquate d’une large majorité des familles.

Nous espérons qu’un jour ce trauma subi sera reconnu pour que nous puissions aussi nous reconstruire.

-Au moment où je vous parle, 5 mineurs sont rentrés de Syrie et nous nous en réjouissons. Comme l’ont dit les familles et leurs avocats « ce sauvetage montre que la France peut faire de bons choix » malgré des volte-face sur le rapatriement des français depuis 6 mois et le silence de l’Etat . De nombreux enfants vulnérables sont morts (hier encore) et d’autres doivent être sauvés par la France accusée devant l’ONU d’inaction et de non-assistance & de traitement dégradants qui s’apparentent à la torture On est vulnérable même au-dessus de 5 ans, même avec sa mère, qu’on soit dans un camp ou orphelin dans la nature, ou bien encore dans les prisons irakiennes. Je parlerai aussi des mères et pères qui se sont rendus dans un état physique très critique (je pense aux dénutris, aux brûlés, aux blessés graves, aux amputés que ne peuvent et ne veulent pas garder les kurdes à terme); comment rendre la justice sereinement si ces adultes prisonniers de guerre ne sont pas soignés et traités dignement ? Et pour ceux qui en doutent encore, n’est- ce pas un désaveu de Daech que de se rendre à la justice des hommes au lieu de mourir quand on ne croyait qu’à la justice de Dieu, comme le martèle l’idéologie djihadiste , qui a touché & fragilisé nos enfants ici en France et brisé des familles?

Pour finir je voudrais vous dire que nous recevons de merveilleux témoignages de soutien d’anonymes mais aussi de victimes du terrorisme (Georges Salines, Arnaud lançon, Aurélia Gilbert…) et la pétition initiée par maitres Marie Dosé et maître Leclerc compte aujourd’hui plus de 5 000 signataires.

Aidez-nous à porter l’espoir et la parole auprès du gouvernement : nos compatriotes se désolidarisent des haineux et croient en la réparation La France en a les moyens, il suffit de le vouloir, même si c’est difficile ce n’est pas impossible. Oui les enfants doivent être protégés, « grandir en bonne santé, dans la paix et la dignité » (ex secrétaire général de l’ONU Kofi A. ANNAN) et ils n’ont pas à payer le poids des fautes qu’auraient commises leurs parents. On a laissé les familles désarmées devant la radicalisation de leurs enfants, ils ont fait ce qu’ils ont pu, il est encore temps de panser ensemble les plaies de la société

Notre  » Collectif des Familles Unies  » par T. Roy

Le Collectif des Familles Unies existe depuis près de 3 ans, il milite sur plusieurs fronts, et en particulier sur le regard et le traitement porté aux enfants de djihadistes. Je vais vous expliquer notre démarche et notre incompréhension par une mise à l’index des personnes peu ou pas fréquentables, alors que nous combattons de toutes nos forces cet extrémiste religieux qui sévit dans la France entière.

Le Collectif des Familles Unies est exclusivement composé de familles victimes de la radicalisation religieuse violente. Cette idéologie mortifère a entraîné nos enfants dans la zone de conflit Syro-Irakienne pour les sacrifier en première ligne, alors qu’ils n’auraient pas dû se sentir concernés par cette guerre.

Le nombre de personnes adhérentes s’élève à près de 80 ce qui peut être peu par rapport aux 1700 départs (nombre donné par le ministère de l’Intérieur). Néanmoins c’est un chiffre considérable au regard des autres associations qui partagent avec nous ce destin tragique.

Les familles touchées sont issues de toutes les classes sociales et s’investissent dans la société avec des métiers aussi variés qu’avocats, gendarmes, artistes, ouvriers, chauffeurs livreurs, chauffeurs de taxi, cadres supérieurs de la fonction publique et privée, chefs d’entreprise, enseignants, ingénieurs, infirmières, médecins…

Et pourtant l’embrigadement idéologique qui a touché leurs enfants au point de les faire partir en quittant tout ce à quoi ils étaient attachés, a été plus fort que l’éducation et les valeurs qu’ils ont données.

Refuser de regarder en face ce mal qui nous touche, qui s’est répandu et se répand dans toute la France, c’est ne pas réaliser l’ampleur du mal qui pourrait nous anéantir si nous continuons à ne rien faire.

Et ne rien faire c’est précisément ce que le collectif des familles unies ne veut pas faire. 

À travers nous, la famille qui est la plus petite entité de notre société, cette idéologie attaque les fondements sur lesquels nous nous sommes construits tout au long de notre histoire avec nos valeurs nos coutumes et notre droit. Elle cherche à exclure et détruire tout ce qui ne lui ressemble pas ou qui n’adhère pas à ses principes politico-religieux.

Pourtant, durant ces dernières décennies, les personnalités se réclamant de ces mouvances extrémistes ont été accueillies en France comme un signe de bonne coopération entre 2 pays ou comme demandeur d’asile, sans qu’on se soucie de leurs intentions à notre égard, quand bien même notre arsenal juridique aurait pu nous protéger de tous ces excès. 

Ne pas appliquer nos lois, qui auraient dû nous protéger, a eu des conséquences désastreuses. Nous avons laissé propager dans la France entière des discours communautaires et haineux reposant sur l’obligation de l’individu à se conformer à ces doctrines extrémistes, ce qui aurait dû être sous le coup de la loi :

J’ai pour exemple ce fameux tract qui circulait dans de nombreuses villes pendant les élections municipales de mars avril 2014 : « PRÉSERVE TA FOI, NE VOTE PAS, LA FITNA C’EST PLUS GRAVE QUE LE MEUTRE » a été considéré par le maire de notre commune comme un fait marginal sans importance, tout comme l’imam qui est passé à l’émission « C polémique » du dimanche 19 février 2017.  

En décembre 2014 nous avions soumis au Député Sébastien Pietrasanta, un des rapporteurs spéciaux sur les moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme, qu’un rôle décisif peut-être joué par le maire pour prévenir la population d’un danger imminent survenant dans sa commune. C’est une pratique courante en cas d’intempérie ou de pollution par exemple. Cette suggestion est restée lettre morte alors qu’elle aurait permis aux familles touchées par cette radicalité d’être averties de l’imminence de ces dangers.

Oui, les familles sont les premiers maillons touchés par ces extrémistes politico-religieux qui gangrènent notre pays et le rôle de l’état & ses représentants aurait pu être primordial pour limiter ces départs dont la conséquence a été de renforcer cette idéologie mortifère et de causer des traumas familiaux énormes.

Pour rappel à la fin de la Seconde Guerre mondiale nous avons eu une attitude très ferme à l’égard de l’idéologie nazie. Est-il nécessaire de rappeler les similitudes qui existent entre ces 2 idéologies ?

Pourtant, les familles, victimes de cette radicalisation religieuse violente, ont collaboré sans faille avec toutes les instances de la République : la police, la justice, le ministère de l’Intérieur… Nous avons alerté des députés de nos circonscriptions et les maires de nos communes sans que ce soit pourvu d’effet.

Je rappelle que certains d’entre nous font partie des premières personnes ayant participé activement à la lutte contre ce fléau expérimenté au niveau national par le biais de la campagne de communication « Stop djihadisme », à l’échelon du département sous le patronage du ministère de l’Intérieur et des préfets, cela n’a pas suffi pour être écoutés et reçus.

Nous ne comprenons pas qu’un constat d’échec reconnu contre la lutte dans l’« Histoire secrète de l’antiterrorisme » (du 13/11/2018) par de très hauts commis de l’État sur France 2 ne permette pas une remise en question pour une approche multifactorielle et pluridisciplinaire pour s’asseoir autour d’une table et étudier nos propositions.  

De plus, de nombreuses personnes nous ont utilisés à des fins personnelles et mercantiles et comme cela ne suffisait pas, il y a eu des tentatives d’escroquerie ou des sommes considérables ont été demandées aux familles.

Ainsi, notre collectif est né de cette nécessité d’aborder de front ce fléau qui ravage nos familles et la France entière, sans préjugés ni tabou avec un parler-vrai. Toutes nos interventions médiatiques l’ont été en ce sens et nous n’avons jamais fui cette actualité qui nous ne nous a pas épargnés depuis au moins 6 ans. 

J’ai une image : 

Si la politique exprime dans sa noble tâche ce que doit être notre vie de demain, les députés et le gouvernement s’apparentent aux médecins qui nous guériront des maux de la société. Si maintenant ces mêmes médecins refusent d’ausculter les traumatisés que nous sommes, nous les familles touchées par ces extrémistes religieux, nous ne bénéficierons pas d’un bon diagnostic et vos décisions, qui s’apparentent aux médicaments prescrits, ne seront pas adaptées, ce qui nous conduira inexorablement à un échec pour lequel il nous sera difficile de nous relever.

Déjà, de nombreux hommes, femmes et enfants ont quitté la zone de guerre Syro-Irakienne pour revenir en France. Si nous avons perdu du temps dans les rapatriements, faisons-le maintenant pour les enfants qui sont encore dans ces zones et les autres adultes qui rentreront, car les laisser là-bas sans les traduire devant notre justice, c’est renforcer l’idéologie et dire à leurs commanditaires et maîtres à penser qu’ils ont gagné sur notre Société.  

Les enfants sont notre éternité

Robert Debré


Parole de L., un père et un grand père pour le rapatriement de TOUS les enfants français prisonniers en Syrie :

Pour la première fois, cinq enfants français ont été rapatriés des camps syriens administrés par les forces kurdes. C’est bien évidemment avec une joie immense, beaucoup de soulagement que nous avons appris cette nouvelle.


Depuis qu’il y a des enfants français dans les camps en Syrie, c’est-à-dire depuis deux ans ou trois , il n’a avait eu aucun retour de ces camps. 85 enfants de djihadistes français ont été rapatriés en France depuis 2014, mais tous venaient de Turquie. Mais dans les camps kurdes, des camps de Roj, Aïn Issa et Al-Hol, des enfants français sont nés, des enfants français sont morts, mais aucun enfant n’était revenu jusqu’à présent.

Le rapatriement de ces cinq enfants orphelins prouve qu’il n’y a pas d’obstacle logistique pour les rapatriements, que la coopération entre les autorités françaises et les autorités kurdes qui détiennent les enfants et leurs mères fonctionne. L’argument si souvent invoqué auprès des familles par le Ministère des Affaires étrangères que l’absence de relations diplomatiques avec la Syrie empêchait toute action en faveur des enfants ne peut plus dès lors être employé.

Cette nouvelle est donc une nouvelle formidable. Cinq orphelins ont été rapatriés, cinq enfants qui étaient dans une situation d’extrême précarité, des enfants « particulièrement vulnérables ».

Mais est-ce à dire que si ces enfants avaient été avec leur mère, leur situation aurait été moins précaire ? Certes, ils auraient bénéficié d’une protection maternelle, mais leur situation matérielle, leur situation sanitaire, aurait été tout aussi effroyable, comme c’est le cas de tous les autres enfants qui restent dans les camps, et dont on nous dit que le retour n’est pas à l’ordre du jour.

La presse a parlé longuement ces derniers jours de la situation dans le camp de Al-Hol, où plus de soixante mille personnes s’entassent, civils syriens réfugiés, familles de djihadistes rescapées des combats de Baghouz – une immense majorité de femmes et d’enfants qui vivent dans des conditions insupportables, avec un accès aux soins, à l’eau, à la nourriture, aux sanitaires très difficile, entassés dans des tentes, souffrant du froid. Des dizaines d’enfants sont déjà décédés dans ce camp, ou durant le transport en camion de Baghouz à Al-Hol. Beaucoup sont blessés. Nous ne savons pas exactement combien de femmes et d’enfants français sont arrivés dans ce camp.

Il existe deux autres camps où il y a des femmes et des enfants français. A Aïn Issa, il y a trois françaises avec des enfants. C’est au camp de Roj que se concentre l’essentiel des  français : une quinzaine de femmes françaises, avec une soixantaine d’enfants. Les trois quarts des enfants ont moins de 5 ans, et il y très peu d’adolescents – plus de 13 ans – peut-être 4 ou 5.

Je voudrais simplement évoquer ces enfants français de Roj, leur vie, leur quotidien, à travers notamment mes petits-enfants, mes 4 petits-enfants. L’aîné va avoir 9 ans le mois prochain. Ses frères ont 4 ans, 2 ans et 4 mois. Le mois prochain, cela va faire un an qu’ils sont prisonniers à Roj. Mais certains enfants sont à Roj depuis près de deux ans.

Le premier constant général que l’on peut faire, c’est que ces enfants sont prisonniers avec leurs mères dans un camp d’un pays en guerre, dans une zone qui peut dans les mois qui viennent constituer le théâtre de nouveaux affrontements, avec la Turquie, qui veut éliminer les forces kurdes (qui détiennent ces enfants), avec les forces syriennes de Bachar al-Assad, qui veulent récupérer les territoires kurdes. Ces enfants sont donc, de par la situation, de par l’endroit où ils se trouvent, en danger, et en danger de mort.

Cette situation d’insécurité, de risque permanent, peut s’illustrer par quelques exemples précis. Le 20 septembre 2018, dans le camp, un petit français de deux ans est mort, écrasé par un véhicule militaire. C’était un accident, certes, mais cela illustre l’ambiance d’insécurité et les risques dans lesquels vivent les enfants : premier enfant français mort dans le camp de Roj. 

Plus récemment, le 7 mars, une tente prend feu, le feu se propage à une autre tente. Le feu est provoqué par un petit poêle à gaz fourni par l’administration kurde pour l’hiver. Chaque famille dispose d’un poêle de ce type. Il suffit de peu, une bousculade d’enfants, une personne qui tombe, un retour de flamme, pour que le poêle soit renversé et que la tente s’embrase. Depuis un an, il y a des tentes qui brûlent régulièrement. Mais le 7 mars, trois petits enfants, turcs ou azéris, sont morts brûlés vifs dans l’incendie.

A la suite de cet incident, des femmes ont jeté des pierres sur les gardiens, qui ont riposté en tirant en l’air. La nuit suivante, plusieurs femmes ont été arrêtées et amenées en prison. Le problème, c’est que quand on emmène une femme en prison, on emmène ses enfants avec, et les enfants subissent donc la punition avec leur mère, l’enfermement plus ou moins long entre quatre murs.

C’est le lot quotidien de ces enfants : vivre dans ce climat d’insécurité et de stress, qui peut à tout moment se transformer en drame. Le secrétaire d’Etat à l’Intérieur a dit récemment : « Ce sont des enfants comme les autres mais qui ont subi des traumatismes importants. » C’est vrai. Certains ont pu assister à des exactions. Certains ont vécu la peur durant des bombardements. Certains ont perdu leur père, ou des frères et sœurs. A des degrés divers, suivant les enfants, suivant les familles, car la tendance dans une certaine presse, chez certains « experts » est de globaliser toutes les expériences, et de fabriquer un prototype d’enfant de djihadiste, parfois avec de bonnes intentions, mais parfois pour faire peur en créant un monstre.

Mais oui, ces enfants ont des traumatismes, à des degrés divers. On prévoit d’ailleurs, pour leur éventuel retour, toute une batterie d’examens, de prises en charge, de suivi psychologique sur des périodes longues, et c’est très bien. Et, dans le même temps, on les laisse, on les abandonne depuis des mois dans des camps – sans suivi, sans soins, sans thérapie d’aucune sorte. Les traumatismes, dans le climat d’insécurité du camp, ne peuvent que s’accentuer, augmenter – à cause aussi de l’état de stress et de désespoir dans lequel de trouvent leurs mères.

La situation sanitaire dans le camp est dramatique. Il y a une antenne du Croissant Rouge dans le camp, qui fonctionne par intermittences, et qui apporte des soins de première nécessité avec des personnels qui ne sont pas nécessairement formés.

Le 22 octobre dernier, ma belle-fille a accouché sous la tente, avec un kit médical, et l’aide d’une détenue qui était sage-femme dans son pays. L’accouchement s’est heureusement bien passé, mais le bébé était très faible à la naissance, et dans les semaines qui ont suivi sa courbe de poids était au plus bas. Le 19 décembre, nous avons écrit au Président de la République : « A ce jour l’état de santé de notre quatrième petit-fils nous préoccupe énormément : à bientôt deux mois, il  a la jaunisse, il est très maigre, son poids se situe au-dessous de la courbe de croissance « basse » d’un bébé de son âge. Il n’y a dans le camp aucune possibilité de suivi pédiatrique. Nous avons peur pour sa vie. » « Faudra-t-il que des enfants meurent pour accélérer la solution de ce douloureux problème ? » Le 17 janvier, le chef de cabinet du Président  nous répondait qu’ « il a été pris connaissance de vos préoccupations relatives à l’état de santé de vos petits-enfants ».

Le 7 mars, le bébé de Shamima Begum, prisonnière au camp de Roj, est mort. Notre petit-fils, quant à lui, se porte mieux, et a survécu jusqu’à présent. Il a actuellement une bronchiolite. Mais tout cela l’illustre l’extrême précarité sanitaire dans laquelle se trouvent en particulier les très jeunes enfants dans le camp : ils sont tous en danger de mort. La moindre infection, la maladie la plus bénigne peut leur être fatale, car il n’y a aucun soutien médical sérieux. Je ne parle même pas de la possibilité de contracter une maladie grave : il y a eu des cas de tuberculose, de dysenterie, et le risque d’épidémies est grand.

Pour les plus grands, la situation sanitaire est aussi très préoccupante. Pour eux aussi, la moindre maladie grave, la moindre complication, peut devenir fatale. Depuis un an, mes petits-enfants sont malades régulièrement et à tour de rôle, et c’est le lot de tous les enfants qui vivent dans le camp. Je ne suis pas sûr qu’il se soit passé une semaine sans que l’un d’entre eux n’ait été malade :

  • maladies et douleurs intestinales, diarrhées ;
  • infections pulmonaires, bronchites, oreillons, coqueluche ;
  • fièvres, maux de tête, irruption de boutons ;
  • problèmes oculaires, conjonctives, problèmes de vue, problèmes de lunettes ;
  • problèmes dentaires
  • blessures diverses, brûlures…

Les enfants vivent en permanence dans la poussière, dans l’humidité (la pluie pénètre dans les tentes lors de fortes précipitations), dans les émanations des vapeurs de pétroles provenant de champs pétroliers situés à proximité. Ils ont subi cet été des températures dépassant fréquemment les 40°. Ils vivent à présent dans le froid. La dangerosité des poêles à gaz présents dans les tentes ne permet pas qu’on les laisse allumés durant le sommeil des familles.

L’administration du camp, les organismes humanitaires fournissent aux familles des rations alimentaires basiques : riz, lentilles, huile, diverses conserves… De quoi survivre certes, mais de nombreux enfants souffrent de malnutrition, de carences alimentaires. Tout le « surplus » – légumes, fruits, viande… – est payant. Il existe dans le camp des magasins qui vendent des marchandises aux détenus et aux réfugiés. Les familles reçoivent divers « colis » des organisations humanitaires – produits d’entretien, de toilettes, vêtements, etc. – dont ils ils revendent parfois certains éléments pour acheter par de la nourriture par exemple.

Ces enfants n’ont pas d’école, ils n’ont aucun suivi éducatif, sinon celui que peuvent éventuellement dispensé leurs mères. Il existe une structure dans le camp qui se rapproche plus d’un Centre de loisirs que d’une école, et d’où les enfants peuvent parfois rapporter les feuilles, des cahiers, des crayons. Le retard scolaire pour les plus grands est donc patent. Les conditions de vie dans le camp ne favorisent pas l’apprentissage. L’aîné de mes petits-enfants rechigne souvent à « travailler » l’écriture ou la lecture. Quand sa mère veut le mettre au travail, il dit : « Je travaillerai quand j’aurai un bureau » (il n’y a pas de table dans les tentes, on vit au niveau du sol) ou « Je travaillerai quand je serai revenu en France… » (Bon, il travaille quand même un peu, mais il a un retard considérable…)

Voilà ce qu’on peut dire en faisant bref sur la situation des enfants dans le camp de Roj, qui est considéré comme le plus « confortable » (entre guillemets). Qu’ont fait ces enfants français pour qu’on les condamne – pour que leur propre pays les condamne à vivre ainsi, à mourir ainsi, dans un pays en guerre ? Bien sûr, ils n’ont rien fait, ils sont parfaitement innocents, ce sont des victimes de guerre. Leur seul crime, c’est d’être les enfants de leurs parents. Ils payent pour les fautes ou les crimes de leurs parents : on les condamne de facto à l’exil, à la relégation dans une zone de non-droit, à la privation de liberté, à la réduction au rang d’apatride.  (Pourtant, la Convention des Droits de l’enfant stipule, dans son article 2, stipule que « les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions ou les convictions de ses parents ».

La manière même dont l’opinion, une certaine presse, certains « chercheurs » et « spécialistes » perçoivent les enfants détenus dans les camps kurdes, donc nos petits-enfants, est significative d’une dérive dangereuse et d’un manque de perspective psychologique et historique. La généralisation, source de discriminations et de racismes, est souvent de mise : parce qu’il y a eu de macabres mises en scène par Daesh impliquant des enfants, on procède à un amalgame qui s’étend à tous les enfants, comme si toutes les situations étaient identiques, toutes les expériences similaires, tous les enfants également exposés à l’influence de la barbarie. « Bombes à retardement », « enfants nourris à la haine », qui ont appris dès leur plus jeune âge à manier les armes : ces enfants sont tous pareils, tous indifférenciés, tous dangereux. Qualifiés d’ « enfants-soldats » ou de « lionceaux du califat » alors que c’est complètement faux en ce qui concerne les enfants déjà rapatriés (de Turquie en général) et également en ce qui concerne les enfants détenus dans les camps kurdes, on oublie complètement que même les enfants-soldats sont considérés comme des victimes par toutes les conventions internationales. Quand ils sont trop petits pour être considérés comme dangereux ou même endoctrinés, on ne se réfère pas au droit ou à la psychologie de l’enfant, mais on cède à des pulsions et à des analyses archaïques en suggérant finalement que s’ils ne sont pas dangereux pour le moment, ils le deviendront (les « bombes à retardement »). C’est à croire que certains « commentateurs » (sans parler des réseaux sociaux ») sont eux-mêmes saisis par la haine.

Le plus significatif à ce sujet est sans doute le « débat » sur l’âge des enfants. Soudain, et pour ces enfants-là, certains sont prêts à refuser le retour à des enfants de 6, 8 ou 10 ans (je ne parle même pas des adolescents…) L’âge adulte, l’âge de la responsabilité pénale doit subitement être ré-adaptée pour ces enfants-là. On ne sait pas ce qu’ils ont fait (ce qu’a fait Untel ou Untel), on ne sait ce qu’ils ont vécu, mais soudain leur âge les condamne : ce ne sont plus des enfants comme les autres. Trois de mes petits-enfants ont moins de cinq ans. Leur frère aîné va avoir 9 ans le mois prochain, et cela fait un an qu’il est dans un camp. Cet enfant, nous l’avons eu à nos côtés durant durant les 5 premières années de sa vie : je l’ai amené au spectacle, au cinéma, au musée, à la piscine, à la bibliothèque… La suite de sa vie, c’est 2 ans et demi dans le territoire de Daesh, et un an dans un camp. Durant ces dernières années, j’ai été en contact avec lui, je lui ai envoyé des livres pour enfants en pdf, des comptines, des histoires, je lui ai parlé. Ce que je peux vous dire, c’est que c’est un enfant qui ne rêve que de revenir en France, qui ne rêve que de sa chambre chez nous, de ses jouets… Durant la période de Noël, il nous a demandé de lui envoyer une photo de ses jouets, de ses légos, de ses billes.  Quand on lui a dit, le 29 janvier (suite à certains articles de presse), qu’il allait enfin rentrer, il a sauté de joie. Il va avoir 9 ans, et il y a dans le camp de Roj beaucoup d’enfants qui lui ressemble.

Alors, qu’est-ce qu’on attend ? Pourquoi prolonger à ce point le calvaire de ces enfants ? M. Le Drian avait déjà annoncé leur retour, avec l’aide de la Croix-Rouge, en février 2018. En septembre et octobre dernier, des officiels du Ministère des Affaires étrangères avaient annoncé le retour des enfants, mais sans leur mère. Des émissaires du Ministère des Affaires étrangères s’étaient même rendus au camp de Roj le 21 octobre dernier, et avaient rencontré des femmes françaises pour leur proposer le retour de leurs enfants… sans elles. Une seule femme avait accepté. A présent, il semble que ce dispositif a été écarté : d’après le Monde du 15 mars, « il n’est plus question de rapatrier séparément les enfants détenus avec leur mère, même si celles-ci donnent leur accord à une séparation. » Et le communiqué du Ministère des Affaires étrangères à l’occasion du retour des 5 orphelins réaffirme que « s’agissant des ressortissants français adultes, combattants et djihadistes ayant suivi Daech au Levant, la position de la France n’a pas changé : ils doivent être jugés sur le territoire où ils ont commis leurs crimes ».

Qu’est-ce que cela veut dire ? Si on décide de ne pas rapatrier les mères, et de ne pas séparer les mères des enfants, cela voudrait-il dire que la France veut laisser tous ces enfants français vivre et mourir dans les camps syriens ? Faudra-t-il attendre d’être orphelin pour avoir une chance de revenir dans son pays ?

Le Président de la République reparle de « cas par cas ». Et on invoque « l’intérêt supérieur de l’enfant » (déjà mis en avant par le Ministère des Affaires étrangères en octobre dernier). Je ne comprends pas bien ce que peut signifier le « cas par cas » s’agissant des enfants. Y aurait-il des enfants français prisonniers en Syrie dont « l’intérêt supérieur » serait de revenir en France, d’avoir accès aux soins, à l’éducation, aux loisirs, à la culture, d’avoir droit à une vie d’enfant ? Et y aurait-il des enfants français dont « l’intérêt supérieur » serait de survivre et mourir dans un camp d’un pays en guerre ?

L’intérêt supérieur de TOUS les enfants français détenus en Syrie est de revenir dans leur pays, de retrouver une vie normale, d’aller à l’école, d’être soignés quand ils sont malades, de se reconstruire après ce qu’ils ont vécu. Tous sont des enfants, tous sont innocents, ce sont des victimes de guerre, tous doivent revenir.

********

Les enfants français dans les camps, ceux qui ont 6 ou 9 ans, et même des plus petits, comprennent la situation, ils attendent leur rapatriement. Les enfants français des camps nous écoutent, CES ENFANTS NOUS REGARDENT : NOTRE PAYS VA-T-IL SE DECIDER A LES REGARDER EN FACE, ET A LES AIDER ENFIN.

Un mot sur un sondage récent qui dit que deux tiers des français souhaitent que les enfants restent en Syrie.

Si on avait posé la question : « Trouvez-vous normal que des enfants français de 4 ou 5 ans soient prisonniers dans des camps d’un pays en guerre, sans soins, mal nourris, sans suivi médical et psychologique, sans école, sans éducation, vivant dans des tentes et souffrant du froid ? » – QU’AURAIENT-ILS REPONDU ??

Si on avait posé la question : un enfant de 5 ans doit-il payer, doit-il être condamné pour les fautes ou les crimes de ses parents ? QU’AURAIENT-ILS REPONDU ??

Peut-on d’accord sur des principes, – et par exemple sur les principes fondamentaux des droits de l’enfant et de la protection de l’enfance – mais peut-on estimer en même temps que ces principes ne s’appliquent pas à certains ?

Juste une citation : Matteo Renzi, ancien Président du Conseil italien, la semaine dernière : « Je préfère sauver des vies en Méditerranée, au risque de perdre quelques points dans les sondages, et pouvoir me regarder dans la glace…

20 mars 2019.

Paroles de Lydie, mère et grand-mère

Ma fille est partie en Syrie en novembre 2014 malgré un signalement fait auprès de la DGSI par l’intermédiaire du CAFFES (Centre d’Accompagnement  des Familles face aux dérives sectaires).

Cette association qui lutte contre toutes les dérives sectaires a été mandatée et financée par la Préfecture pour accompagner les familles (sur la base du volontariat) qui avaient fait un signalement sur le départ de  leurs enfants ou sur des signes de radicalisation.

Julie est décédée en Syrie avec son  nouveau né et son deuxième mari. Ses trois petits enfants se sont retrouvés dans le camp de Al Hol. Ils font partie des 5 enfants rapatriés par l’Etat Français le vendredi  15 mars  (enfants orphelins et isolés).

Ce fut un soulagement d’apprendre leur retour. Les autres petits enfants en état de précarité sanitaire doivent être également rapatriés.

Je ne suis plus dans l’attente du retour de ma fille et de mes petits –enfants mais je tiens à témoigner  sur ces 7 dernières années de cauchemar que nous avons vécu et qui est celui de toutes les familles concernées par ce fléau :

  • L’incompréhension et l’impuissance devant la mise sous emprise de son enfant par des recruteurs qui l’ont embrigadé vers une idéologie djihadiste
  • Les dommages collatéraux : sur le plan familial (atteinte psychologique sur la fratrie) ; sur le plan social (ne pas oser parler de peur d’être jugé) sur le plan professionnel…
  • l’attente angoissante les yeux rivés sur les téléphones
  • l’espoir, la peur, le désespoir
  • le chagrin d’apprendre le décès de ses enfants et petits-enfants
  • Aucune prise en charge psychologique

Nous sommes passés de parents victimes à parents d’enfants djihadistes, responsables de leur départ.

Notre vie est détruite. Nous garderons à jamais les marques de cette souffrance. Le retour des petits enfants  innocents est une lueur d’espoir de prendre un nouveau départ


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