Tribune du 2 juin 2022
L’abandon des enfants (de djihadistes) français dans les camps syriens ne pourra provoquer que de la rancœur et du ressentiment de leur part, soulignent, dans une tribune au « Monde », la présidente (PS) de la région Occitanie et le maire (PS) de Rouen.
e 20 avril au soir, lors du débat de l’entre-deux tours, le président candidat Emmanuel Macron faisait le choix de réserver sa conclusion à « la protection de l’enfance qui sera au cœur des cinq années qui viennent », grande cause du nouveau mandat. Or, à 4 000 kilomètres de Paris, environ 200 enfants français, dont les deux tiers ont moins de 6 ans, se trouvent retenus dans l’enfer des camps du nord-est de la Syrie.
Ils sont là depuis trois, quatre ou même cinq ans. Certains sont orphelins et livrés à eux-mêmes. D’autres vivent avec leur mère. Beaucoup y sont nés, coincés entre barbelés et gardes armés. Tous vivent dans des conditions désastreuses, cernés par la maladie, privés de soins, de nourriture, d’enseignement.
Tous sont victimes. Victimes du choix de leurs parents djihadistes, d’abord. Victimes de la guerre, ensuite. Une guerre qui a servi de sombre cadre de vie à leurs jeunes années et dont l’ombre s’étend encore sur leur enfance. Victimes à venir, enfin, d’un possible abandon de leur pays, la France, qui préférerait les oublier, les effacer, plutôt que de les recueillir, les protéger, les réparer. Pour eux, c’est la triple peine.
Comme l’ont dénoncé Bernard Cazeneuve et François Zimeray dans une tribune au Monde, le 11 janvier 2022, nous pouvons bien sûr continuer à regarder ailleurs, jusqu’à en oublier leur existence, et les ranger « dans l’angle mort de nos consciences ». Nous ne nous y résolvons pas. Comme tant d’autres élus, avocats, médecins, humanitaires, militants, citoyens, il nous est impossible de regarder ailleurs. Comme ces proches de victimes des attentats du 13 novembre 2015 qui ont fait savoir avec force leur soutien au rapatriement de ces enfants.
On ne peut pas détourner le regard. S’ils survivent, ils grandiront. Qui leur expliquera alors que leur patrie ne les a pas jugés dignes d’être accueillis, car « mal nés » ou « trop loin » d’elle ? Qui leur dira que leurs vies avaient peu ou moins de valeur et qu’on leur a reproché des crimes qu’ils n’avaient pas commis ? Quel rapport intime avec la France germera de ce rejet ?
Abandon lâche
Nous sommes en train de fabriquer, par couardise ou par indifférence, tout ce contre quoi nous voulons lutter. De cet abandon lâche et inhumain ne naîtront que rancœur et ressentiment. En voulant protéger la France de la menace terroriste – combat ô combien légitime et nécessaire –, nous créons, au contraire, les conditions de la naissance d’une haine profonde contre un pays qui n’a pas su aimer suffisamment et équitablement tous ses enfants. C’est également l’analyse partagée par le coordonnateur du pôle antiterroriste français, David De Pas.
Nous n’ignorons évidemment pas les problématiques sociales ou de sécurité publique que cela soulève. Nous savons que se pose la question du rapatriement de leurs mères qui, elles, ont fait le choix de la folie idéologique et doivent donc être jugées. Mais des solutions existent pour ces enfants. Il n’est pas trop tard. Leur reconstruction est possible. Ils doivent être suivis, accompagnés, rassurés, éduqués. Ils doivent intégrer la communauté nationale, la promesse républicaine et comprendre leur histoire.
La Belgique, la Finlande, l’Allemagne ou encore le Danemark ont déjà fait le choix du rapatriement de leurs ressortissants. Aussi nous soutenons l’appel lancé cette semaine par les ONG et associations de défense des droits de l’homme et exhortons le nouveau gouvernement et sa première ministre à faire le choix du courage, à faire le choix de « la protection de l’enfance »promise par le président de la République.
Ce n’est ni une lutte entre le bien et le mal, ni un retour de l’éternel débat entre la morale et le droit. Nous parlons d’humanité. Nous parlons ici d’enfants, de nos enfants à tous.