LETTRE OUVERTE À ÉRIC DUPOND-MORETTI, GARDE DES SCEAUX

Par Marie Dosé & Ludovic Rivière, avocats à la Cour

Enfants dans le camp de prisonniers Roj dans le Nord-est de la Syrie

Nous défendons des enfants et des mères de retour de Syrie, ou qui y sont toujours prisonniers. Nous nous sommes rendus au Rojava, avons saisi les comités de l’ONU, la Cour européenne, et travaillons sur cette question depuis des années. 

L’audition d’Éric Dupond-Moretti par la Commission sénatoriale des Lois, le 5 octobre dernier, est truffée de mensonges, d’approximations, d’erreurs juridiques et factuelles. Nous constatons, pour nous en désoler, que le ministre de la Justice ne sait plus lire un arrêt de la CEDH, lui qui savait si bien les décortiquer du temps qu’il était avocat.

Il ne connaît ni les chiffres ni les pratiques des autres pays européens.

Il ne sait rien de la situation de ces enfants : il se contente de reprendre la propagande éculée de Jean-Yves Le Drian lorsqu’il était aux Affaires étrangères. Mais cette propagande a été amplement réfutée par nombre de pays étrangers et européens qui ont décidé de rapatriements massifs. 

La France, elle, vient de passer cette semaine de la doctrine du « cas par cas » à celle du tirage au sort en rapatriant au hasard une femme et ses deux enfants. Car Éric Dupond-Moretti (et il le sait parfaitement) ment en affirmant que ce rapatriement était dicté par l’état de santé d’un enfant « en situation de péril et hospitalisé ».

Qu’il ose seulement prononcer le mot « humanité » à propos d’un pays, la France, qui laisse mourir 200 enfants dans ces camps depuis cinq ans relève au mieux de la tartufferie, au pire d’un mépris total des valeurs qu’il se plaît à vouloir défendre.

Les psychologues n’ont jamais dit que ces enfants étaient des bombes à retardement, contrairement à ce qu’il argue pour justifier sa pusillanimité. Cette déclaration émane de François Molins, et Éric Dupond-Moretti oublie sciemment d’en citer la fin : « des bombes à retardement s’ils restent là-bas ». Cette façon de brandir le spectre de la dangerosité de ces enfants n’est utile que pour justifier l’irresponsabilité et l’inhumanité de la France, condamnée par la CEDH. Qu’Éric Dupond-Moretti relise les déclarations des éminents pédopsychiatres que sont Boris Cyrulnik ou Serge Hefez publiées « dans les gazettes » et cesse de raconter n’importe quoi.

Depuis sa nomination place Vendôme, les familles ont maintes fois demandé à être reçues par lui. Chacun de nous se souvient de la sainte et juste colère d’Éric Dupond-Moretti, alors avocat et confrère, sur ce choix inhumain et irresponsable d’une France qui abandonne des enfants en zone de guerre. Il croit aujourd’hui servir les intérêts du pays en étant solidaire du pire ; en réalité, il sert ce qu’il assure combattre depuis toujours.

Marie Dosé & Ludovic Rivière, avocats à la Cour