LA FRANCE RAPATRIE 25 ENFANTS DE SYRIE, MAIS LAISSE DES DIZAINES D’AUTRES ENFANTS FRANÇAIS DANS LES CAMPS

Enfants dans les camps de Roj en Syrie

Communiqué du Collectif des Familles Unies du 4 juillet 2023

La France vient de rapatrier 25 enfants et 10 femmes du camp de prisonniers Roj, dans le nord-est de la Syrie. C’est la quatrième opération de rapatriement depuis juillet 2022. Les enfants et les femmes rapatriés étaient détenus depuis plus de 4 ans, plus de 5 ans pour certains. 

On ne peut bien entendu que se réjouir de cette opération, qui sort de l’enfer des camps des enfants malades, blessés, traumatisés par des années de captivité. Mais, outre le fait qu’ils auraient pu et dû être secourus depuis des années, l’État français laisse dans les camps des dizaines d’enfants français, sans doute une centaine, tout aussi vulnérables, tout aussi traumatisés et tout autant en souffrance que ceux qui viennent de rentrer dans leur pays.

Ces rapatriements ont dû être arrachés à un État qui a toujours manifesté un mépris glacial et un immense manque d’humanité pour la vie de ces enfants, pour leur protection, pour leurs droits : il aura fallu la mobilisation d’organisations des droits humains, d’avocats, des familles, de parlementaires, de personnalités, il aura fallu des condamnations internationales infamantes pour « le pays des droits de l’homme » pour que l’État français initie enfin, après des années d’atermoiements, une série d’opérations de rapatriement sans toutefois les mener à leur terme. 

En septembre dernier, la Cour Européenne des Droits de l’Homme condamnait la France à reconsidérer sa politique de rapatriement, entachée d’arbitraire. Elle demandait à la France de mettre en place un organisme indépendant devant lequel l’État français devra justifier ses décisions, en prenant en compte l’intérêt supérieur des enfants, leur « particulière vulnérabilité », leurs besoins spécifiques et les « circonstances exceptionnelles » qui entourent la situation dramatique de ces enfants (détention dans des camps placés sous l’autorité d’un groupe armé non étatique soutenu par une coalition d’États, dont la France ; conditions de vie dans les camps « incompatibles avec le respect de la dignité humaine » ; absence de procédure pour décider du sort des mères détenues dans les camps ; appel des autorités kurdes à rapatrier ces enfants et leurs mères ; appels et prises de position multiples des Nations Unies, du Conseil de l’Europe, etc.)

Au lieu de respecter l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, l’État français vient de décider de rapatrier certains enfants, selon un critère unique (l’accord de la mère), et d’abandonner les autres à une détention infinie dans un camp sordide, voire, pour ce qui concerne les garçons et les adolescents, dans des centres de « réhabilitation » (en fait : de détention) ou des prisons. En effet, ce qui a été pris en compte dans ce dernier rapatriement, ce n’est ni l’intérêt supérieur de l’enfant, ni sa « particulière vulnérabilité », ni les circonstances « exceptionnelles » qui entourent la situation dramatique de ces enfants, c’est uniquement l’accord de la mère. 

Au tout début du mois de mai, des émissaires du gouvernement français se sont rendus dans le camp Roj. Ils ont convoqué toutes les femmes françaises en entretien individuel et leur ont demandé si elles acceptaient ou non d’être rapatriées avec leurs enfants lors d’un rapatriement qu’ils ont présenté comme étant « le dernier ». Certaines femmes ont refusé, pour de multiples raisons. Plusieurs d’entre elles restent fidèles à une idéologie extrême, d’autres ont tout simplement perdu la raison ou ne sont plus capables du discernement après des années en zone de guerre et en captivité. 

Mais la raison principale qui conduit certaines mères à refuser cette opération de rapatriement est la peur de se séparer de leurs enfants avec lesquels elles ont vécu en symbiose pendant quatre ou cinq ans sous une tente. En les abandonnant ensemble pendant des années, en les contraignant à supporter ensemble les pires conditions de vie durant des années, la France a alimenté un lien fusionnel qu’elles n’imaginent pas s’arrêter brutalement. 

Ces femmes savent qu’en l’état actuel du dispositif de retour, elles seront incarcérées et séparées de leurs enfants à leur arrivée en France. Elles savent qu’elles ne pourront revoir leurs enfants, dans la plupart des cas, qu’après plusieurs mois. Elles savent que leurs familles, elles aussi, seront écartées de la vie de leurs petits-enfants, neveux et nièces pendant des mois et des mois avant de pouvoir les rencontrer. Elles savent que leurs enfants placés en foyer après avoir vécu 24 heures sur 24 avec elles seront exposés à une toute autre violence. Elles savent que les autres pays européens ont choisi une autre voie. Elles savent qu’en Allemagne, en Belgique ou en Suède, le lien entre les mères et les enfants est soigneusement entretenu et que les contacts des enfants avec leur famille élargie sont rapidement mis en place, voire immédiatement à leur arrivée. Les conditions d’accueil des enfants en France doivent être revues et améliorées, et notre Collectif alerte depuis des mois les pouvoirs publics ainsi que les organisations de défense des droits humains et de l’enfance sur ces dysfonctionnements. 

En tout état de cause, et, quelles que soit leurs décisions, aucun enfant français ne peut être abandonné dans ces camps.

Nous considérons, en accord avec l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, en accord avec le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies et le Comité contre la torture des Nations Unies, que c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit dicter toute décision de rapatriement. Cette primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les décisions concernant les enfants est inscrite dans la Convention internationale des droits de l’enfant, que la France a ratifiée. C’est d’ailleurs ce qu’a répété notre Secrétaire d’État à l’Enfance devant le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies : encore faut-il que des actes suivent ces déclarations.

L’intérêt supérieur des enfants français, de tous les enfants détenus depuis des années dans des camps de prisonniers du nord-est de la Syrie où les conditions de vie sont « incompatibles avec le respect de la dignité humaine », est d’être rapatriés. L’intérêt supérieur des enfants français, ce n’est pas de survivre misérablement sous des tentes, derrière les barbelés d’un camp d’un pays en guerre, privés d’école, privés de soins appropriés, privés de nourriture, sans protection, exposés à l’influence d’idéologies extrémistes et menacés par de multiples dangers. 

Tous les enfants détenus dans les camps sont en danger, tous sont vulnérables, et tous ont droit au rapatriement. Le « défi juridique » (selon l’expression de la Secrétaire d’État à l’Enfance) posé par l’opposition ou les hésitations de certaines mères doit être surmonté et résolu, dans l’intérêt supérieur de leurs propres enfants. Et nous rappelons que les femmes françaises détenues dans les camps font l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par des juges français. Un pays comme l’Irak, qui a durement souffert des exactions de Daech, a décidé de rapatrier ses ressortissants de Syrie, considérant que c’était une obligation sécuritaire majeure : la France devrait prendre enfin la responsabilité de ses ressortissants, au lieu de se défausser sur les autorités locales kurdes, qui demandent depuis des années aux États de rapatrier leurs citoyens.

La France considère, et cela a été rappelé à la récente Conférence d’Oslo sur les enfants dans les conflits armés, que la protection des enfants dans les conflits armés est une « obligation morale universelle ». La France compte-t-elle à présent abandonner et laisser mourir dans les camps et les prisons syriennes les dizaines d’enfants français qui restent encore sur zone ? L’obligation morale universelle de protection de l’enfance, réaffirmée à chaque occasion par notre diplomatie, ne doit pas s’arrêter aux portes des camps de prisonniers Roj et Al-Hol, sinon nos déclarations et nos principes ne valent rien.

Les familles des enfants français toujours détenus en Syrie ne se contenteront pas d’une lettre identique à leur attention signée du ministère des Affaires étrangères leur indiquant qu’« il ne peut être donné de suite favorable à votre demande de rapatriement » et que, par conséquent, leurs petits-enfants peuvent souffrir et mourir dans les camps syriens. Nous demandons au gouvernement de prendre dès à présent toutes les mesures nécessaires pour rapatrier l’intégralité des enfants français détenus en Syrie, ainsi que leurs mères.

Notre combat continuera jusqu’au retour du dernier enfant français prisonnier en Syrie.

Le 4 juillet 2023

Le Collectif des Familles Unies