Le billet de Thomas Legrand (Libérationdu 16 novembre 2023)
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Est-ce de l’inertie diplomatico-judiciaire, une indifférence coupable, une trouille sécuritaire ? Ou la peur de se faire traiter de laxiste par une droite qui saute sur tout ce qui peut ressembler à de la faiblesse «islamo-gauchiste» – accusation déclenchée par le moindre geste d’humanité ou de respect des droits de l’homme et des conventions signées par la France ? Pourquoi cette dernière ne se débrouille-t-elle pas pour rapatrier la centaine d’enfants français qui croupissent encore, avec leurs mères, dans les camps kurdes dans le nord de la Syrie ?
Ces enfants vivent dans des conditions déplorables, en proie à la malnutrition, à la déscolarisation et à la désocialisation autant qu’à l’endoctrinement djihadiste. Entre mars 2019 et juillet 2023, 169 mineurs ont pourtant été rapatriés avec ou sans leur mère. Ceux qui restent encore coincés dans le nord-est de la Syrie, la plupart détenus dans le camp de Roj, le sont au prétexte que leur mère ne veut pas se séparer d’eux. Ces femmes de jihadistes, ou jihadistes elles-mêmes, n’ont pas accepté le rapatriement en France pour des raisons diverses et variées : certaines sont toujours des islamistes radicales convaincues, d’autres sont dépressives, mentalement détruites ou sous emprise. Pour la plupart, elles n’acceptent pas de se séparer de leur progéniture, après des années de vie en symbiose dans cet univers carcéral à ciel ouvert que sont ces camps de misères. Elles ont, au fil des années, créé un lien fusionnel qui les empêche de comprendre que l’intérêt supérieur de leurs enfants peut différer du leur.
En France, leurs familles, souvent les grands-parents désemparés, se démènent avec leurs avocats pour que le gouvernement français fasse rapatrier leurs petits-enfants que parfois elles n’ont jamais vus. Pour cela, elles viennent d’écrire une lettre au président de la République : «Nous vous demandons de rapatrier ces enfants sur le seul critère de leur intérêt supérieur, et l’intérêt supérieur de nos petits-enfants n’est pas de survivre dans un camp de prisonniers d’un pays en guerre dans des conditions indignes.»
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Mais comment faire ? Pas question d’envoyer une mission sur place et de retirer les enfants de force des bras de leur mère avec la complicité de leurs gardiens kurdes. La seule solution envisageable, imaginée par les avocats et membres des collectifs qui soutiennent les familles d’enfants prisonniers de Syrie, c’est d’obtenir des autorités kurdes au contrôle du nord du pays qu’ils expulsent les mères et les enfants français en Irak. Et de là, les autorités françaises iraient récupérer ces familles, signifieraient aux femmes leur mise en examen pour association de malfaiteurs à caractère terroriste et les placeraient en détention provisoire une fois rapatriées en France. Les enfants seraient alors placés ou remis à leurs grands-parents. Une procédure qui paraît assez simple mais qui implique que l’on accepte de rapatrier sur le sol français des femmes possiblement encore radicalisées, contre lesquelles la justice n’aura pas forcément assez d’éléments pour les condamner à de la prison pour très longtemps.
Il faut donc pouvoir assumer politiquement ce fait, qui ne manquera pas d’être monté en épingle par tous les sécuritaires de plateaux qui monopolisent le débat public. Au-delà de la réclamation bien compréhensible des familles françaises, le rapatriement des enfants est un devoir de la France au regard des conventions internationales. La Cour européenne des droits de l’homme a produit un arrêt en septembre 2022 par lequel elle enjoignait la France à respecter sa signature de la Convention européenne des droits de l’homme. Et donc à trouver le moyen de récupérer ses nationaux mineurs, retenus en Syrie. La cour pointe aussi le fait que les pays signataires doivent faire instruire ces retours par la justice alors qu’en France c’est l’exécutif, le Quai d’Orsay, qui est en charge du dossier. Il paraît aberrant et peu digne que la France laisse encore une centaine de ses citoyens mineurs enfermés loin de chez eux dans un pays en proie à la guerre civile et qui seront, à leur majorité (ça a déjà été le cas pour certains d’entre eux) des prisonniers sans avenir ni espoir de rapatriement.