par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille pour Libération
publié le 7 mai 2024 à 18h44
Suspendu par la justice dès sa publication en octobre, l’arrêté d’expulsion de la jeune femme de 25 ans emmenée en Syrie par sa mère radicalisée il y a dix ans a été annulé, a-t-on appris ce mardi 7 mai.
Sana (1), 25 ans aujourd’hui, emmenée et mariée de force en Syrie à 15 ans, peut enfin espérer reprendre une vie normale. Le tribunal administratif de Lille a annulé ce vendredi 3 mai la procédure d’expulsion intentée à son encontre par la préfecture du Nord, dans un jugement rendu public ce mardi 7 mai. «Je suis soulagée, réagit son avocate, Me Marie Dosé, mais c’est un immense gâchis et une perte de temps considérable.»
Elle le rappelle, Sana est entrée sur le territoire français en juillet 2023, après avoir réussi à sortir du camp syrien de Al-Roj, avec ses deux petites filles, et est depuis considérée en situation irrégulière. «Elle n’a pas pu commencer à travailler, pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses filles. Celles-ci ont été placées, même si elle les voit toutes les semaines, et que tous les rapports la décrivent comme une excellente mère», raconte l’avocate, qui déplore : «Elle a très mal vécu d’être une charge pour l’Etat français.»
Sana a choisi de vivre dans le Nord car c’est là où elle a grandi, à Roubaix, avec une mère algérienne radicalisée qui lui a refusé l’accès à la nationalité française. Elle avait alors 13 ans. «C’est à ce moment-là que sa mère la déscolarise, l’envoile et lui interdit de sortir», précise Marie Dosé.
«Ma cliente a survécu à cette violence administrative»
L’avocate a du mal à comprendre l’obstination préfectorale dans cette affaire : l’ancien préfet du Nord, Georges-François Leclerc, aujourd’hui directeur de cabinet de Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, avait défendu sa position en personne devant la Commission d’expulsion des étrangers. Une implication rarissime. Celle-ci n’avait pas cillé et avait émis un avis défavorable à l’expulsion. Comme il n’était que consultatif, le préfet était passé outre en publiant l’arrêté le 10 octobre 2023, aussitôt suspendu par le tribunal administratif de Lille.
Déjà, à cette époque, celui-ci estimait qu’un doute sérieux concernait la menace que représenterait Sana, qui justifierait son obligation de quitter le territoire français. «On aurait pu croire qu’avec un nouveau préfet, des écrits de la Défenseure des droits en notre faveur, ils auraient lâché, soupire Marie Dosé. Pas du tout. L’avocate de la préfecture a soutenu à l’audience que quand ces femmes provenant de Syrie arrivent en France, on ne sait pas qui elles sont et qu’il est normal qu’on ne prenne pas de risques.»
Un principe de précaution que n’a pas suivi le tribunal administratif. Il souligne dans son jugement : «Si elle n’a pas condamné expressément l’organisation terroriste auprès de laquelle elle a vécu plusieurs années, elle a, à de nombreuses reprises, pris ses distances et exprimé son hostilité à l’égard de son milieu d’origine et de cette période de sa vie.» Il rajoute : «Il ne ressort d’aucune pièce du dossier qu’elle entretiendrait d’autres relations, depuis son retour en France, avec des personnes membres de l’Etat islamique ou proches de ce mouvement.» La préfecture, contactée, n’a pas commenté pas cette décision. Marie Dosé, l’avocate de Sana, conclut : «Ma cliente a survécu à cette violence administrative. Mais ses enfants et elle avaient besoin de tout, sauf de cela.»
(1) Le prénom a été modifié.