«Envoyé spécial» sur les enfants de jihadistes français : «Je ne suis pas un monstre, je ne suis pas un vampire»

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Dans le remarquable documentaire «Fils de jihadistes : l’impossible retour ?», diffusé jeudi 11 avril sur France 2, quatre jeunes détenus d’une prison du nord-est syrien racontent leur parcours et leur vie depuis la chute du «califat» de Daech.
Dans le camp de Roj (nord-est de la Syrie), où sont détenus des proches de jihadistes, le 8 octobre. (Delil Souleiman /AFP)

par Luc Mathieu , Libération du 10/04/24

Ils avaient 9 ans, ou à peine 10, lorsque leurs parents français les ont emmenés en Syrie. C’était aux alentours de 2015, lorsque l’Etat islamique venait de déclarer son «califat» et attirait des milliers de jihadistes étrangers. Adem, Youssef, Elias et Hamza sont aujourd’hui détenus dans le centre de réhabilitation d’Orkesh, à côté de Qamichli, dans le nord-est syrien. C’est dans cette prison que les journalistes Guillaume Lhotellier et Chris Huby ont pu, après des années de négociations avec les autorités kurdes, les filmer pour la première fois à visage découvert. En a résulté un remarquable documentaire, Fils de jihadistes : l’impossible retour ? – sobre et précis, sans emphase ni jugement –, qui permet de retracer leur parcours et d’entendre ces quatre jeunes que les autorités françaises aimeraient bien oublier en Syrie.

Les quatre Français ont aujourd’hui une vingtaine d’années et disent leur épuisement. Adem est l’un des fils de Fabien Clain, l’un des jihadistes français les plus dangereux, responsable entre autres de la propagande du groupe et qui a revendiqué les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis. Fabien Clain est mort à Al-Baghouz, là où s’est joué début 2019 la dernière bataille entre l’EI et les forces kurdes et occidentales. Son fils a survécu mais a été blessé gravement à une jambe, mal soignée. Hamza a des éclats d’obus dans la tête. La médecin qui l’ausculte dit qu’il aurait besoin de cinq opérations chirurgicales mais qu’ils ne peuvent pas les pratiquer en Syrie. Youssef, blessé à Al-Baghouz, raconte qu’il a «la mémoire cassée» et des idées suicidaires.

Ils blâment leurs parents qui les ont emmenés en Syrie sans rien leur demander, ni les prévenir. «J’en veux à mon père. Il a ramené d’autres [Français] qui n’ont pas survécu», dit Adem. Il affirme n’avoir jamais combattu ou tenu une arme. Hamza, lui, a été l’un de ces «lionceaux du califat», ces enfants et adolescents de 9 à 15 ans qui ont nourri la propagande de Daech et parfois participé à des combats. «J’espère que je n’ai tué personne mais je n’en sais rien, dit-il. Ce n’est pas un jeu la guerre, ce n’est pas comme sur un téléphone où quand tu perds tu peux recommencer. Là, si tu perds, tu ne reviens pas.»

Ils vivent désormais «en dehors du monde», enfermés 16 heures par jour, sans radio ni accès à Internet. «J’ai l’impression d’être en mode “pause”, j’attends que quelqu’un appuie sur “lecture” pour commencer ma vie», dit Adem. Ils suivent des cours de maths, d’arabe et d’anglais, dispensés par des femmes non voilées. L’une des professeures explique qu’ils font des progrès, que l’idée n’est pas de les confronter frontalement à leur idéologie, mais qu’ils s’en distancient par eux-mêmes.

Depuis leur prison, les quatre Français comprennent la peur et le rejet qu’ils peuvent engendrer dans leur pays d’origine, tout en refusant d’être assimilés à leurs parents, le plus souvent morts, et à l’idéologie de ces derniers. «Je ne suis pas un monstre, je ne suis pas un vampire, je n’ai pas envie de ça», dit Youssef.«Nous sommes quatre gamins qui demandent à rentrer dans notre pays»,résume Adem.

Plusieurs dizaines de jeunes, originaires d’une vingtaine de pays, sont aujourd’hui détenus à Orkesh. Le responsable du centre se plaint de la faiblesse des financements des pays étrangers. Il craint que l’EI, toujours actif en Syrie, attaque la prison.