Enfants français retenus dans les camps en Syrie : « C’est la honte de la France ! »

Un collectif d’avocats et d’humanitaires et de familles dénonce l’absence de volonté de la France de rapatrier de nombreux enfants encore prisonniers en Syrie.

Par Timothée Boutry  du Parisien, le 18 septembre 2024 à 18h46

Une enfant dans le camp de Roj (octobre 2023). Des grands-parents français se sont rendus cet été dans les camps de réfugiés kurdes où 120 enfants français et leurs mères croupissent. AFP/Delil souleiman

Au mois d’août, ils ont enfin fait connaissance avec leurs deux petits-fils de 6 et 7 ans, nés en captivité : « Au début, ils étaient un peu intimidés mais ça s’est bien passé. Ils manquent de tout et vivent sous des tentes dans des conditions matérielles et sanitaires déplorables. » Lors de ce déplacement dans le camp de Roj, au Kurdistan syrien, où sont retenus les femmes djihadistes et leurs enfants, ils ont aussi pu serrer dans leurs bras le corps chétif de leur fille, qu’ils n’avaient pas revue depuis neuf ans. « On l’a sentie extrêmement lasse et fatiguée. »

Ce couple fait partie des sept grands-parents qui se sont rendus cet été avec Me Marie Dosé, l’avocate du Collectif des familles unies, et Me Matthieu Bagard, coprésident d’Avocats sans frontières, dans les camps de réfugiés kurdes, où 120 enfants français et leurs mères croupissent. Lors d’une conférence de presse organisée ce mercredi 18 septembre, ces grands-parents meurtris et plusieurs organisations ont lancé un nouvel appel pour le rapatriement immédiat de tous les ressortissants français.

« Les Kurdes nous demandent pourtant de les reprendre »

Lors de ce déplacement estival, les avocats, mandatés par le Conseil national des barreaux (CNB), ont non seulement eu accès aux camps de réfugiés, mais également aux centres de réhabilitation d’Orkech et de Houry, où sont emmenés les garçons à l’adolescence, ainsi qu’à la prison d’Alaya.

« Six enfants français, de jeunes majeurs et un mineur, sont détenus là. La priorité, c’est de les ramener eux. Ils sont dans un état physique et psychologique catastrophique, c’est même une question de vie ou de mort. Après une première visite en février, nous avions demandé leur rapatriement au Quai d’Orsay. L’absence de réponse correspond à un refus implicite. Les Kurdes nous demandent pourtant de les reprendre », développe Marie Dosé qui a lu des extraits de leurs lettres de demandes de retour.

« On l’a oublié et on le laisse crever »

Dans chaque courrier, la même détresse : A., né à Toulouse en 2002, qui souffre d’intenses douleurs après avoir été gravement blessé par des éclats de mortier ; A., lui aussi né dans la ville rose en 2002 et qui tombe régulièrement dans les pommes après avoir sauté sur une mine ; I., né en Corse en 2004, emmené de force en Syrie par ses parents lorsqu’il avait 12 ans et malade du rein. L’un d’eux se trouve à Orkech alors que sa mère et ses frères et sœurs ont été rapatriés en janvier 2023. « On l’a oublié et on le laisse crever », assène Marie Dosé. Tous ces jeunes sont judiciarisés. Ils ont également reçu à plusieurs reprises la visite des services de renseignement français.

« Quand il nous a vus, notre petit-fils de 15 ans s’est jeté dans nos bras. Il était abasourdi qu’on ait fait un tel trajet et ne pensait jamais nous revoir. Il était très amaigri », racontent des grands-parents après leur visite à Orkech – leur fille et leurs trois autres petits-enfants de 13, 9 et 5 ans sont à Roj. « C’est abominable de laisser ces enfants qui n’ont rien demandé grandir dans ces conditions, sans soins ni instruction », ajoutent-ils.

Au-delà du cas de ces 6 adolescents, se pose la question plus globale du rapatriement de tous les enfants qui n’ont pas été concernés par les différentes vagues de retour déjà intervenues. « La France conditionne toute opération à l’accord des mères. Celles qui refusent le font pour différentes raisons : elles peuvent être radicalisées, fragiles psychologiquement ou tout simplement incapables de se projeter dans la séparation d’avec leurs enfants avec lesquels elles vivent en symbiose depuis de si longues années, expose Me Dosé. Mais aujourd’hui, la France doit protéger ces enfants de l’incapacité de leurs mères à prendre les bonnes décisions. »

Ces enfants ont un nom, un visage. On les voit grandir »

L’attente pour les proches n’en est que plus insoutenable. « C’est impossible de décrire ce qui nous submerge quand on retrouve ses petits-enfants, décrit un couple. Ils avaient 1, 3 et 7 ans lorsqu’ils sont arrivés dans le camp. Ils sont parfaitement innocents et, pourtant, ils purgent une peine. Malgré tout, les deux aînés se projettent dans l’avenir avec un mélange d’espoir et d’inquiétude. »

Et ce couple de rappeler que la France est quasiment le seul pays européen à ne pas avoir rapatrié ses jeunes ressortissants. « Ces enfants ont un nom, un visage. On les voit grandir. On a peur pour eux quand l’hiver approche. On se demande comment un pays peut les abandonner et leur faire subir une injustice aussi vertigineuse », interroge l’humoriste Sophia Aram du collectif des parrains-marraines.

De l’avis de tous les intervenants, seul le manque de courage politique empêche un retour massif. « C’est la honte de la France. Cela restera comme une tache indélébile », martèle Patrick Baudouin, le président de la Ligue des droits de l’homme (LDH). « Il y a un décalage terrible entre une diplomatie qui se glorifie, à juste titre, d’avoir fait adopter des textes sur la protection de l’enfance et son incapacité à les appliquer là où cela demande de la créativité », développe l’avocat et ancien ambassadeur François Zimeray, en rappelant que les principales associations de victimes du terrorisme militent également pour ces retours.

La semaine dernière sur France Info, le procureur national antiterroriste Olivier Christen a indiqué que les 364 enfants jusqu’ici rapatriés « ne posent aucune difficulté particulière ».

Timothée Boutry