Que vont devenir les enfants de djihadistes toujours retenus dans les camps du nord syrien ? Pour Marie Dosé, avocate du Collectif des familles unies, la chute du régime offre une “fenêtre de tir” qui doit enfin permettre leur rapatriement.
Par Julia Vergely de Télérama, publié le 10 décembre 2024 à 17h42
Cent vingt enfants français sont encore aujourd’hui détenus dans des camps en Syrie. Ils ont été emmenés de force dans le pays par leurs parents, français eux aussi, djihadistes convaincus et radicalisés, partis rejoindre Daech avant la chute du califat en 2019. Depuis, ils sont des dizaines d’enfants à croupir dans les camps tenus par les Kurdes, affrontant des conditions de vie effroyables. Plusieurs ONG (Unicef, Human Rights Watch, Ligue des droits de l’homme, Amnesty international, FIDH…) plaident pourtant depuis longtemps en faveur de leur retour. Jusqu’ici, les rapatriements d’enfants, avec leur mère, restent sporadiques, permis au cas par cas. Et malgré plusieurs condamnations (en 2022 et 2023 par la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité de l’ONU pour les droits de l’enfant et celui contre la torture), la France se refuse encore à leur rapatriement massif. En violation du droit international et de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Que faut-il craindre aujourd’hui, avec la chute du régime de Bachar el-Assad, pour ces enfants ? La situation d’extrême urgence mérite attention, pour Marie Dosé, avocate du Collectif des familles unies, regroupant les familles des enfants détenus.
Cent vingt enfants français sont toujours détenus en Syrie. Que savez-vous de leur situation aujourd’hui ?
La situation actuelle nous fait très peur. Pour l’instant, le nord-est syrien n’est pas concerné par la chute du régime, mais les Turcs profitent de l’instabilité pour cibler de nouveau le Rojava (Kurdistan syrien, région située au nord-est de la Syrie), et redoubler les attaques. Les bombardements se perpétuent à quelques kilomètres des camps. Depuis la chute du régime, les familles ne peuvent plus envoyer d’argent. Les enfants n’ont pas à manger et manquent de tout. L’hiver arrive. Nous sommes très inquiets. Avec Avocats sans frontière France et quelques grands-parents, nous nous sommes rendus dans les camps en août dernier. Nous avons également visité les centres de réhabilitation des prisons du Rojava, puisque désormais on y trouve quelques garçons qui ont grandi dans les camps et qui ont atteint l’âge de 14 ou 15 ans. Nous avons déposé des demandes de rapatriement de plusieurs enfants et de jeunes majeurs. S’il y a une fenêtre de tir, elle est là : c’est maintenant qu’il faut rapatrier tout le monde. Maintenant ! D’autant que la frontière entre le Kurdistan irakien et le Rojava étant ouverte, les journalistes peuvent s’y rendre sans difficulté aucune ! Il faut y aller. Je me suis entretenu avec des mères, avec des enfants, j’ai transmis à Emmanuel Macron et au Quai d’Orsay des demandes de rapatriements en février, en septembre encore… Il y a urgence, il faut vraiment se dépêcher pour sauver ces enfants.
En ne rapatriant pas ces enfants la France ne respecte pas le droit international.
Qu’a-t-on à craindre pour leur sort dans un avenir proche ?
Tout le monde se réjouit de la chute de Bachar el-Assad, et la citoyenne que je suis aussi. La difficulté désormais est de savoir qui va le remplacer et quelle va être la situation dans les semaines à venir. Si les Turcs en profitent pour vraiment attaquer le Rojava, alors ce qui est à craindre, c’est la mort de ces enfants. Si les rebelles, qui viennent quand même de l’État islamique et d’Al-Qaïda, vont jusque là-bas, que vont-ils faire de ces enfants ? Les enrôler ? Ce qui est à craindre, c’est qu’on perde leur trace. Comme tant d’enfants qui se trouvaient au camp de réfugiés d’Al-Hol et qui ont disparu lorsqu’il y a eu des évasions. Encore une fois, pour des impératifs humanitaires et sécuritaires, il faut les rapatrier tout de suite.
La chute du régime d’Assad peut-elle changer la donne ?
Elle le doit ! On veut que toutes ces femmes et ces enfants se retrouvent dispersés en Syrie et qu’on perde leur trace ? Il s’agit d’une question sécuritaire. Même les associations de victimes du terrorisme demandent ces rapatriements depuis des années et nous aident. Il est question de jeunes majeurs et de mineurs, qui n’ont rien demandé, qui ont été emmenés à 8 ou 10 ans par leurs parents, et qui sont en train de souffrir le martyre dans des centres de réhabilitation, comme le centre Orkesh (tenu par les Kurdes), coupés de leur famille… Il faut se rendre compte : la France a oublié, en rapatriant une mère et ses enfants, l’aîné de la fratrie qui est toujours au centre Orkesh ! Il y a encore quinze jours, la Russie a rapatrié des dizaines et des dizaines d’enfants. Donc ce n’est pas compliqué. En ne rapatriant pas ces enfants, la France ne respecte pas le droit international, ni l’arrêt de la Cour européenne qui l’a condamnée. Avec le Collectif des familles unies, nous faisons pression, nous écrivons au Quai d’Orsay, à l’Élysée… On ne fait que ça. Aucune réponse. Il faut les sauver maintenant, et vite.