Depuis la chute du régime de Bachar al-Assad, les proches des enfants de djihadistes français toujours présents dans un camp de réfugiés du nord de la Syrie craignent que la période de grande incertitude qui s’ouvre dans le pays ne les mette en danger. Au total, 120 jeunes ressortissants sont encore bloqués sur place.
Par Maëlane Loaëc du Parisien, le 12 décembre 2024 à 19h31, modifié le 12 décembre 2024 à 20h52
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« On a, pour ainsi dire, l’habitude d’avoir peur ». Depuis plus de six ans, Bertrand (le prénom a été modifié) vit dans « l’angoisse quasi quotidienne » de savoir ses quatre petits enfants, âgés de 6 à 14 ans, bloqués dans le camp de réfugiés de Roj, dans le nord-est de la Syrie, à la merci « du froid en hiver, des canicules l’été, des maladies et des accidents ». En tout, ils sont 120 enfants de Français djihadistes à y survivre, un calvaire qu’il avait vu de ses propres yeux lors d’une visite en février et août dernier. Mais depuis quelques jours, ses craintes ont atteint « un degré supplémentaire ».
Depuis la chute du régime de Bachar al-Assad dimanche Bertrand se réjouitde voir cette « tyrannie s’effondrer » mais il craint aussi que la période degrande incertitude qui s’ouvre en Syrie n’expose ces enfants à des risquesaccrus. « Nous sommes extrêmement inquiets il faut les rapatrier d’urgence» insiste le grand-père membre Collectif des Familles Unies rassemblantdes proches de ces jeunes ressortissants.
Au total 364 enfants de djihadistes ont été rapatriés ces dernières années parla France qui a été condamnée par plusieurs instances internationales pourson inaction sur le sujet. Parmi eux 169 l’ont été depuis 2019 dans le cadred’opérations complexes de rapatriement indique au Parisien une sourcediplomatique. Mais depuis juillet 2023 les retours ont été stoppés au granddam des familles qui appellent plus que jamais à faire rentrer les 120 enfants laissés sur le carreau.
« La France doit arrêter de jouer avec le feu »
Car avec le bouleversement que traverse actuellement la Syrie leur précarités’aggrave encore. « Le cours de la livre syrienne a chuté les prix des produitsde première nécessité se sont envolés et il est très difficile de pouvoircontinuer à envoyer de l’argent au camp » explique Bertrand. Mais au-delàde ça c’est la sécurité même des enfants qui inquiète : l’instabilité actuellepourrait déboucher sur une intensification des attaques contre les forceskurdes. Ces dernières contrôlent à ce jour le nord-est du pays où se situentles camps de réfugiés et se retrouve dans le viseur d’Ankara
Des bombardements turcs visaient déjà régulièrement des sites à proximitéde ces camps mais les proches redoutent désormais qu’ils se multiplient. «Soit les enfants vont être blessés ou mourir sous les bombes soit les campsvont être évacués et on va les perdre complètement » résume Me Marié Doséavocate du collectif qui se dit « très inquiète ». En 2019 un camp ainsiattaqué avait ouvert ses portes et des mères et leurs enfants français avaientpris la fuite sans que leur trace soit jamais retrouvée pour nombre d’entreeux. « Il faut agir vite maintenant.
La région est tellement instable que les enfants pourraient aussi se retrouver àla merci de combats entre les différents groupes armés actifs a fortiori sil’État islamique profite du chaos général pour gagner en puissance. « Lerapatriement est encore plus urgent qu’avant il n’y a pas le temps d’attendre » appuie Bénédicte Jeannerod directrice France de l’ONG Human RightsWatch. « On est dans une telle période d’instabilité et de volatilité que c’estune zone qui pourrait être sujette à grandes secousses d’autant plus qu’ungrand nombre de réfugiés affluent vers le nord » développe-t-elle.
Une fenêtre à ne pas manquer ?
« On craint qu’ils soient pris dans des affrontements qui peuvent êtresanglants » abonde également Patrick Baudouin président d’honneur de laLigue des Droits de l’Homme qui lance un vrai « cri d’alarme » : « S’ils sontpris dans cet engrenage on ne sait pas du tout ce qu’il peut en advenir ». Il soulève même un vrai enjeu sécuritaire avec la possibilité que ces enfantssoient « récupérés par de groupes djihadistes ou violents qui pourraient lesendoctriner et en faire des enfants combattants ». Quelques jours plus tôt leprocureur antiterroriste Olivier Christen avait assuré à l’inverse que lesenfants rapatriés en France ces dernières années ne « posent aucune difficultéparticulière » bien loin des craintes qu’ils ne deviennent des « bombes àretardement ».
Face à cette myriade de risques le temps presse : « Il se peut très bien quedans les jours à venir la situation soit tellement instable et dangereuse qu’ilsoit matériellement difficile de planifier un rapatriement » insiste leprésident d’honneur de la LDH qui appelle à agir « tant que c’est encorepossible ». Une vraie fenêtre d’opportunité se dessine puisqu’il n’y aactuellement « aucune difficulté pour accéder au nord est syrien » soulignede son côté Me Marie Dosé.
Optimiste Me Emmanuel Daoud voit même dans l’incertitude actuelle lesgermes d’une stabilisation si le nouveau régime en place emmené par unecoalition de rebelles offre des gages de stabilité et de respect démocratique. «Évidemment c’est un moment de chaos potentiel mais dès lors que l’on vavers une normalisation des relations diplomatiques avec un gouvernementdéclaré comme légitime c’est une nouvelle donne qui devrait permettre plusfacilement le retour des enfants » veut croire cet avocat qui représente deuxfamilles. Ce qui ne laisserait selon lui plus aucune raison aux autoritésfrançaises pour refuser les retours elles qui ont longtemps justifié leurdécision par la dangerosité de la situation sur place.
Quelles que soient les modalités pour organiser les opérations touss’accordent en tout cas sur un point : Paris ne peut plus attendre. « Il esttemps qu’elle respecte enfin ses engagements internationaux » insiste MeEmmanuel Daoud. Pour la LDH il est l’heure plus que jamais de mettre fin au« déshonneur de la France sur le sujet ». Et Marie Dosé de rappeler les motsdu président Emmanuel Macron lui-même qui affirmait en 2019 que laFrance « est une nation qui n’abandonne jamais ses enfants (…) fusse àl’autre bout de la planète ». Contacté le quai d’Orsay a refusé de faire descommentaires sur la situation de ces jeunes ressortissants.
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