La Cour européenne va-t-elle obliger la France à rapatrier des ressortissants français détenus en Syrie ?

29 septembre 2021 Par Maud de Carpentier de Mediapart

Deux familles étaient représentées mercredi pour une audience devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Ces parents demandent le rapatriement de leurs filles et de leurs petits-enfants, détenus dans les camps du nord-est de la Syrie par les Forces démocratiques syriennes. Leurs avocats visent à faire condamner la France pour traitements inhumains et dégradants.

 Elles ont été nommées par leurs initiales pendant les trois heures d’audience. Et si le représentant du gouvernement français a dérapé et laissé échapper un nom et un prénom pendant quelques minutes, il s’est vite vu rappelé à l’ordre par le président de la Cour européenne des droits de l’homme, l’Islandais Róbert Spanó. « Leur anonymat doit être garanti et absolu, ces femmes s’exposent à des violences dans ces camps si leur identité est révélée », explique d’emblée Marie Dosé, l’une des avocates des deux familles requérantes.

L’audience de ce mercredi 29 septembre, devant la plus haute institution juridique européenne à Strasbourg, était en tous points de vue, exceptionnelle. Il s’agissait pour les 17 juges européens de statuer sur l’obligation de protection et donc de rapatriement – ou non – par l’État français, de deux de ses ressortissantes, parties en Syrie en 2014 et 2015 rejoindre Daech, et détenues dans les camps de Al-Hol puis Roj, au nord-est du pays, administrés par les Forces démocratiques syriennes, et dirigés par les autorités kurdes. Elles y vivent avec leurs enfants, âgés de 2 à 7 ans.

La position du gouvernement français n’a pas changé depuis le début de l’affaire et de sa judiciarisation en avril 2019, avec un premier passage devant le tribunal administratif de Paris. Elle consiste à affirmer que la France n’a pas compétence à intervenir dans la zone nord-est de la Syrie, et qu’elle n’a pas obligation de rapatrier ses ressortissants.

François Alabrune, le directeur juridique du ministère des affaires étrangères a prévenu dès le début de l’audience : « Nous sommes conscients des droits humains qui sont au cœur de cette affaire mais les questions que la Cour doit trancher aujourd’hui sont juridiques. » Comme pour prévenir qu’il ne faudra pas s’attendrir des possibles déclarations de l’avocate Marie Dosé, défendant les familles de ces femmes, ni sur leurs conditions de vie.

Et si la Cour devait décider d’une obligation de l’État français à rapatrier, François Alabrune prévient : « Cela supposerait une forte extension territoriale de la Cour. Une telle démarche créerait un fardeau excessif pour l’ensemble des États membres. » Voilà l’argument principal de la France : une décision qui pourrait faire jurisprudence pour tous les autres ressortissants européens, et qui serait donc encombrante pour les 47 États membres du Conseil de l’Europe.

Sept pays membres étaient d’ailleurs représentés dans les parties tierces intervenantes, en soutien à la France : le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Espagne, la Norvège, le Danemark, la Suède et la Belgique. Avec des arguments semblables à ceux de la France. « La France

n’exerce pas de contrôle sur cette zone [de la Syrie], donc elle ne peut avoir d’autorité, ni agir sur le contrôle des personnes », a ainsi déclaré le Britannique James Eadie. Autre argument soutenu : cette décision d’obliger à rapatrier « irait à l’encontre de la souveraineté des États », selon la Néerlandaise Babette Koopman. Celle-ci déclare froidement : « Si une personne part de manière volontaire, et doit faire face à un mauvais traitement dans un pays étranger, cela ne justifie pas l’intervention de son pays pour que ses droits soient respectés. »

En d’autres termes : ces femmes ont choisi de partir dans un pays en guerre, elles doivent aujourd’hui assumer les conséquences de leurs actes.

Il faut mettre fin au continuum de violence auquel sont confrontés les enfants dans ces camps.

Dunja Mijatovič, commissaire aux droits de l’homme pour le Conseil de l’Europe

C’est pourtant là-dessus que les avocats Marie Dosé et Laurent Pettiti ont plaidé : en refusant de rapatrier ces femmes et leurs enfants, « la France viole ses obligations liées à la Convention européenne des droits de l’homme ». Ils ont invoqué tout au long de l’audience l’article 3 qui établit que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Maître Laurent Pettiti rappelant à la Cour que la France a connaissance des conditions de vie dans ces camps du nord-est syrien, ayant été alertée à de multiples reprises par le Conseil des droits, la Commission consultative des droits de l’homme ou encore par des ONG qui se sont rendues sur place. Marie Dosé a précisé que 62 enfants étaient morts dans ces camps selon l’ONG Save The Children, depuis le début de l’année 2021.

Une position soutenue par la Commissaire aux droits de l’homme pour le Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovič. La Bosnienne a en effet rappelé à la Cour que « depuis plusieurs années, des femmes et des enfants meurent dans ces camps. La chaleur y est insupportable l’été, l’hiver très rude, l’alimentation insuffisante, tout comme l’accès à l’eau, et aux soins. Il y a de la violence physique et psychologique ». Et la Commissaire aux droits de l’homme de conclure, implacable : « Le rapatriement est la seule manière de respecter les droits de l’enfant. Il faut mettre fin au continuum de violence auquel ils sont confrontés. Ces enfants n’ont pas à subir les conséquences des choix de leur mère. »

C’est incroyable qu’on soit obligés de venir jusqu’ici pour demander le rapatriement de ces enfants ! On parle d’enfants prisonniers ! Et nous sommes en 2021, vous trouvez ça normal, vous ?

Suzanne Lopez, membre du Collectif des Familles Unies

Pour Marie Dosé, qui suit le dossier de ces femmes depuis plus de deux ans, et qui s’est rendue en Syrie à deux reprises, si la France décide de ne pas les rapatrier, c’est un fait politique : « La France dit que ces opérations de rapatriement sont compliquées, pourtant ils en ont déjà fait et ont rapatrié 35 enfants lors de cinq opérations distinctes, et cela n’a pas posé de problème. La France dit qu’elle n’a pas autorité sur ce camp, pourtant lorsque je suis allée sur place, les autorités kurdes nous ont refusé l’accès, en disant que c’était une décision de la France. Tout cela sert à masquer un choix politique. » Selon l’avocate, « de plus en plus de pays sont en train de faire revenir leurs ressortissants : la Turquie, la Russie, les États- Unis, etc. Tous ont rapatrié environ 1 200 personnes. La France, l’Allemagne, la Norvège, en

ont rapatrié à peine 50. C’est une contradiction absurde. Alors que les autorités kurdes nous demande de les rapatrier ! »

Trois familles de Françaises détenues dans ces camps syriens étaient également présentes ce mercredi matin à l’audience. « C’est déjà pour nous une victoire d’être reçus ici », admet, ému, le père d’une des femmes dont la requête est examinée, au pied de l’immense escalier conduisant à la salle d’audience : « Cela montre qu’on est pris au sérieux. Moi, je suis justeun père de famille, qui réclame la justice pour sa fille. »

Marc et Suzanne Lopez, membres du Collectif des Familles Unies qui représente les grands- parents d’environ 200 enfants détenus en Syrie, étaient également présents. Suzanne Lopez, dont les quatre petits-enfants, âgés de 3 à 11 ans, sont toujours au camp de Roj, laisse éclater sa colère après l’audience : « Quand le gouvernement français dit qu’ils sont incapables de localiser nos filles et nos belles-filles, et que leur rapatriement serait compliqué, c’est un mensonge ! Moi je connais même le numéro de sa tente ! Donc eux aussi. Et quand ils disent que c’est dangereux ? C’est faux ! Des journalistes, des ONG, des avocats d’autres pays européens y vont. Même nous, on a pu y aller ! » La grand-mère lance, défiante : « C’est incroyable qu’on soit obligés de venir jusqu’ici pour demander le rapatriement de ces enfants ! On parle d’enfants prisonniers ! Et nous sommes en 2021, vous trouvez ça normal, vous ? »

Les 17 juges de la Cour européennes des droits de l’homme devraient rendre leur délibéré d’ici plusieurs mois.

IL FAUT METTRE FIN AU CALVAIRE DES ENFANTS FRANÇAIS PRISONNIERS DANS DES CAMPS EN SYRIE MAINTENANT

Communiqué de presse du Collectif des Familles Unies, 29 juillet 2021

enfants détenus dans les camps de Syrie

LA DÉFENSEURE DES DROITS APPELLE AU RAPATRIEMENT DES ENFANTS FRANÇAIS DÉTENUS EN SYRIE ET DE LEURS MÈRES


Dans un communiqué publié le 27 juillet, la Défenseure des Droits, Claire Hédon, considère, à propos de la situation des enfants français détenus dans des camps de prisonniers du nord-est de la Syrie, « que les politiques de rapatriements “au cas par cas” ne sont aujourd’hui plus tenables » et que « des décisions fortes doivent être adoptées quant au retour en France dans les meilleurs délais, de ces enfants et de leurs mères. »

Cette prise de position de la Défenseure des Droits, conforme à la décision déjà officialisée par son prédécesseur, Jacques Toubon, en mai 2019, s’inscrit dans une série d’initiatives et d’actions menées par des familles d’enfants français prisonniers en Syrie auprès du Comité des Droits de l’enfant des Nations Unies, du Comité contre la Torture des Nations Unies, de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et de la Cour pénale internationale.


Depuis le début de l’année, les interventions se multiplient en faveur des rapatriements des enfants français détenus en Syrie et de leurs mères : 

  • le 11 mars, le Parlement Européen appelait les États membres à rapatrier TOUS LES ENFANTS européens [de #Syrie] « en prenant en compte leur situation familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant (…) en conformité avec le droit international » ; 
  • le 25 juin, la Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, dans une intervention destinée à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, estimait que « le retrait de tous les enfants étrangers des camps est une priorité absolue et obligatoire du point de vue des droits de l’enfant et qu’afin de préserver leur intérêt supérieur leurs mères doivent être rapatriées avec eux. » ; 
  • le 30 juin, Fabrizio Carboni, directeur régional pour le Proche et le Moyen-Orient du Comité International de la Croix-Rouge, dénonçait la détention dans des conditions épouvantables d’enfants et d’adolescents dans les prisons et les camps du nord-est de la Syrie, tout en plaidant pour le rapatriement des enfants étrangers dans leurs pays d’origine ;
  • le 6 juillet, devant le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, Paulo Pinheiro, Président de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie, indiquait : « Certains États ont rapatrié leurs enfants avec leurs mères, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant, d’autres continuent à se soustraire à leurs obligations. ».

Au mois de juin, plus de 110 personnalités prenaient position, dans une tribune publiée par le journal Le Monde, pour le rapatriement de tous les enfants français détenus dans les camps syriens et leurs mères, et un colloque, organisé par la Ligue des Droits de l’Homme et la Fédération Internationale des Droits de l’homme, réunissait à Paris des professionnels de l’enfance, des psychiatres, des humanitaires, des magistrats, des grands reporters, et des familles des enfants prisonniers. 

À cette occasion, des représentants de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme et de l’UNICEF réaffirmaient la nécessité de rapatrier les enfants français et leurs mères.

Dans le même temps, un ministre français déclarait à la tribune des Nations Unies : « Le respect du droit international humanitaire n’est pas une option : c’est une obligation », et les représentants de la diplomatie française à l’ONU assuraient faire de la protection des enfants dans les conflits armés, qualifiée d’« obligation morale universelle », une « priorité absolue » de la France. De belles déclarations en contradiction totale avec l’abandon des enfants français dans des camps de prisonniers du nord-est de la Syrie. 

200 enfants français, dont les deux tiers ont moins de 6 ans, vivent leur troisième été, et pour certains leur quatrième été, dans les camps de prisonniers Roj et Al Hol. Ces enfants sont des victimes, ils sont tous parfaitement innocents, et ils subissent une incarcération sans fin dans des conditions ignobles : pas de soins appropriés, pas d’école, pas de protection, exposés à des traitements inhumains et dégradants. Ces enfants ont vécu les deuils, la violence, les bombardements, la peur, les blessures, les maladies, ils ont vécu pour certains des incarcérations prolongées avec leurs mères dans des cellules de prison, dans des conditions atroces, et leur propre pays, le « pays des droits de l’homme », un pays qui a ratifié la Convention Internationale des droits de l’enfant il y a 30 ans, les condamne à un enfermement sans fin dans une prison à ciel ouvert, dans une zone de non-droit qui est devenue le plus grand pénitencier international pour enfants du monde. 

Ce qui est infligé à ces enfants est une ignominie absolue. Les autorités françaises ont rapatrié 35 enfants des camps kurdes depuis 2019, appliquant une politique du « cas par cas » qui opère un tri, une sélection infâme parmi les enfants, et laisse l’immense majorité d’entre eux dans l’enfer des camps. 

Depuis 2019, plus de 1000 enfants étrangers ont été rapatriés dans leurs pays d’origine : parmi eux, une centaine d’enfants des pays de l’Union Européenne. 

Les pays les plus démocratiques sont les plus réticents à respecter les droits de l’enfant et leurs propres engagements internationaux : la Russie, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan ont déjà rapatrié, eux, des centaines d’enfants et leurs parents.  

Mais les choses évoluent : la Finlande, plaçant « l’intérêt supérieur de l’enfant » au centre de sa politique, est enfin décidée à rapatrier tous les enfants finlandais et leurs mères ; l’Italie, l’Allemagne, la Belgique ont rapatrié des enfants avec leurs mères ; le Danemark a annoncé des rapatriements de femmes et d’enfants, et la situation pourrait se débloquer en Suède et aux Pays-Bas.

Devant ces évolutions, devant la multiplication des prises de position en faveur du rapatriement des enfants et de leurs mères, les autorités françaises, elles, restent muettes, ou se contentent de rappeler de temps à autre sa « doctrine » qui veut que les ressortissants français doivent être jugés sur place. Cette « doctrine » est obsolète depuis longtemps, et la France le sait parfaitement : aucun procès valable juridiquement n’aura lieu sur place, les autorités qui détiennent nos ressortissants n’étant pas un État, et l’idée d’un tribunal international dans la région est enterrée. Les autorités locales du Rojava ont par ailleurs rappelé, au mois de mars dernier, qu’elles ne voulaient ni ne pouvaient juger ces femmes avant, pour la énième fois, d’appeler les pays étrangers à les rapatrier. 

Précisons que l’accès au camp de prisonniers Roj, où sont à présent détenue la grande majorité des familles françaises, est généralement autorisé aux journalistes, mais interdit aux familles françaises, aux avocats français, aux parlementaires français, et ceci selon toute vraisemblance à la demande des autorités françaises : dans ces conditions, parler d’organiser des procès sur place qui respecteraient les normes internationales est indécent.  

L’Administration kurde et les autorités américaines qui dirigent la Coalition contre Daech demandent aux pays concernés de rapatrier leurs ressortissants, en particulier les enfants qui vivent un enfer sur place depuis des années, et leurs mères, qui, dans le cas des Françaises, sont toutes sur le coup de mandats d’arrêt internationaux émis par des juges français. Renvoyer les « procès sur place » à l’éventualité de l’instauration d’une « paix stable » en Syrie, au moment où Bachar Al-Assad (considéré comme un criminel de guerre par la majorité des États européens) entame à Damas un quatrième mandat présidentiel, est une mascarade et une tromperie, encore évoquées récemment par un ministre français.

Dans ces conditions, seuls les rapatriements et des jugements (pour ce qui concerne les adultes) dans les pays d’origine sont conformes au droit international et à la Convention internationale des droits de l’enfant. De surcroît, tous les spécialistes de l’anti-terrorisme, y compris des institutions étatiques, estiment que les rapatriements garantissent la sécurité à long terme des États beaucoup plus que des détentions sans droit ni titre, sans perspective, dans une zone totalement instable.

Le calvaire des enfants français dans les camps de prisonniers du nord-est de la Syrie n’a que trop duré. Faire souffrir ainsi des enfants, piétiner leurs droits, les livrer au pire, mettre en danger leur vie est indigne de notre Pays. Il faut maintenant abandonner la doctrine du « cas par cas », qui discrimine les enfants et n’est que l’alibi hypocrite du non-rapatriement, et l’habillage d’une politique inhumaine, indigne d’un État comme le nôtre, et contraire à toute éthique. 

C’est maintenant qu’il faut rapatrier : les enfants, qui souffrent en ce moment d’un été caniculaire, ne peuvent pas passer un nouvel hiver derrière des barbelés pour des considérations politiques ou électorales. La France refuse même de rapatrier des enfants et des femmes gravement malades ou atteintes de pathologie engageant leur pronostic vital, et des orphelins abandonnés à leur sort depuis des années.

Le Collectif des Familles Unies appelle une nouvelle fois au rapatriement de tous les ressortissants français prisonniers en Syrie et en Irak.

Le Collectif des Familles Unies appelle au rapatriement immédiat de TOUS les enfants français détenus dans des camps de prisonniers du Nord-Est de la Syrie et de leurs mères. L’incarcération prolongée de tous ces enfants innocents est un crime qui signe le mépris de la France pour tous ses engagements internationaux et son inhumanité. 

Le 29 juillet 2021

Le Collectif des Familles Unies

« Les enfants des camps syriens sont des victimes que la France abandonne en leur faisant payer le choix de leurs parents »

Dessin d’un enfant français détenu dans un camp de prisonniers en Syrie

Plus de 110 personnalités écrivains, artistes, médecins, professeurs, universitaire, magistrats… appellent, dans une tribune au « Monde », au rapatriement des enfants français et de leurs mères détenus dans des conditions désastreuses.

Depuis la publication de cette tribune, le 19 juin 2021 dans le journal le Monde, d’autres personnalités ont déclaré soutenir cet appel 

Depuis plus de deux ans, près de 200 enfants français sont détenus arbitrairement avec leurs mères dans les camps de Roj et d’Al-Hol, dans le nord-est de la Syrie. Les conditions de vie dans ces camps sont désastreuses et la situation n’en finit pas de se détériorer. Ces enfants français, dont la grande majorité a moins de 6 ans, portent les stigmates de leurs blessures et de leurs traumatismes. Ils ne bénéficient d’aucun soin approprié et ne sont pas scolarisés.

De nombreux observateurs et ONG font état depuis des années de cette situation profondément attentatoire aux droits humains. Le 8 février dernier, une vingtaine d’experts indépendants des droits de l’homme auprès des Nations unies ont appelé à une action immédiate pour « prévenir des dommages irréparables aux personnes en situation vulnérable qui y sont détenues » et ont relevé qu’« un nombre indéterminé de personnes sont déjà mortes à cause de leurs conditions de détention ».

Mme Fionnuala Ni Aolain, rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a déclaré que « l’existence de ces camps entache la conscience de l’humanité ». Dans son rapport du 17 février intitulé « Europe’s Guantanamo », l’ONG Rights and Security International (RSI) décrit avec précision l’état de santé dégradé et les profonds traumatismes de ces enfants laissés sans soins.

Traitements inhumains

L’Unicef, le Comité international de la Croix-Rouge, le haut responsable de l’ONU M. Panos Moumtzis, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Mme Dunja Mijatovic, et la haute-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet, ont tous appelé au rapatriement de ces enfants dans leur intérêt supérieur. En France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme et le Défenseur des droits ont adopté la même posture, sans que l’exécutif ne se décide à reconsidérer son refus catégorique de rapatrier ces enfants et leurs mères.

Aux conditions de détention indignes s’ajoutent les traitements inhumains et dégradants auxquels ces enfants doivent faire face. Ils ont interdiction de parler avec leurs familles, et l’accès aux camps est interdit aux familles françaises et aux avocats. Ces femmes et ces enfants ont tous ou presque été incarcérés dans une prison souterraine située près de Qamishli et sont restés entassés dans des cellules de quelques mètres carrés, sans pouvoir ni se laver ni manger à leur faim, durant des semaines et parfois des mois.

« CES ENFANTS SONT INNOCENTS. ILS N’ONT PAS CHOISI DE PARTIR EN SYRIE NI DE NAÎTRE EN ZONE DE GUERRE OU DANS CES CAMPS. »

Ces enfants sont innocents. Ils n’ont pas choisi de partir en Syrie ni de naître en zone de guerre ou dans ces camps. Ils sont des victimes que la France abandonne en leur faisant payer le choix de leurs parents. Laisser périr ces enfants dans ces camps est indigne de notre État de droit et contraire à nos engagements internationaux. Les rapatrier sans leurs mères, comme le souhaiteraient certains États, ne répond pas à l’intérêt supérieur de ces enfants. Ces femmes ne peuvent de toute façon être jugées qu’en France et doivent répondre de leurs actes devant les juridictions antiterroristes françaises chargées de leurs dossiers.

Récemment encore, les autorités kurdes ont rappelé qu’elles ne pouvaient ni ne voulaient les juger, et ont exhorté les États étrangers à rapatrier ces enfants avec leurs mères.

La Cour européenne des droits de l’homme, saisie du cas de trois enfants français et de leurs mères détenues arbitrairement dans les camps du Nord-est syrien, siégera le 29 septembre prochain en Grande Chambre. Le Parlement européen a, quant à lui, voté une résolution en février dernier appelant au rapatriement de tous les enfants européens dans leur « intérêt supérieur ». La Belgique, la Finlande et le Danemark ont rendu publique leur décision de rapatrier l’ensemble de leurs ressortissants, et l’Allemagne et l’Italie ont d’ores et déjà commencé à rapatrier des enfants et leurs mères. Les États-Unis, la Russie, le Kosovo, l’Ukraine, la Bosnie, l’Albanie, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan ont rapatrié ou rapatrient actuellement leurs ressortissants.

Nous appelons la France à rapatrier immédiatement ces enfants français qui, victimes de traitements inhumains et dégradants, périssent à petit feu dans les camps syriens.

Tribune parue le 19 juin 2021 dans le journal « Le Monde » 

Les Signataires :

Philippe ANNOCQUE, écrivain ; Pascale ARBILLOT, actrice; Ariane ASCARIDE, comédienne; Dominique ATTIAS, première vice-présidente de la Fédération des Barreaux d’Europe, Secrétaire générale de l’association Louis Chatin pour la défense des droits de l’enfant ; Yves AUBINDE LA MESSUZIERE, ancien ambassadeur; Pierre AUSSEDAT, acteur ; Geneviève AVENARD, défenseure des enfants 2014-2020, ex-présidente du Réseau Européen des Défenseurs des Enfants ; Geneviève AZAM, économiste ; Patrick BAUDOIN, président d’honneur de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme ; Thierry BARANGER, magistrat honoraire, ancien président du tribunal pour enfants de Paris et Bobigny ; François BEL, artiste sculpteur, plasticien; Rachid BENZINE, écrivain, islamologue ; Muriel BEYER, éditrice; Jean-Marc BOIVIN, directeur de programme Handicap International; Sandrine BONNAIRE, actrice ; Éric BONNARGENT, écrivain; Jean-Marc BORELLO, président du Groupe SOS ; Ronan BOUROULLEC, designer ; Rony BRAUMAN, ancien président de Médecins Sans frontières France ; Jean-Charles BRISARD, président du Centre d’Analyse du Terrorisme; Jean-Marie BURGUBURU, président de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme ; Alain CANONNE, président d’Afrique et Création ; Ursula CARUEL, artiste plasticienne ;  Philippe CAUBERE, comédien ; Jean Paul CHAGNOLLAUD, professeur de sciences politiques à l’université Cergy-Pontoise, directeur de la revue internationale Confluences Méditerranéennes ; Elie CHOURAQUI, réalisateur, producteur ; Lyne COHEN-SOLAL, journaliste et ancienne adjointe à la mairie de Paris ; Jean-Marie COMBELLES, comédien; Roger CORNILLAC, acteur et metteur en scène; Dominique Coujard, magistrat et ancien président de cour d’assises ; COSTA-GAVRAS, réalisateur ; Boris CYRULNIK, psychiatre ; Daniel DAMART, éditeur ; Marie DARRIEUSSECQ, écrivaine; Vincent DEDIENNE, acteur, auteur, metteur en scène ; Émilie DELEUZE, réalisatrice ; Claire DENIS, réalisatrice ; Marie DERAIN, défenseure des enfants 2011-2014 ; Marie DESPLECHIN, écrivaine ; Marie DIDIER, médecin, écrivaine ; Jacques DOILLON, réalisateur; Sébastien DOUBINSKY, écrivain; Michel DUCLOS, ancien ambassadeur de France en Syrie ; Françoise DUMONT, présidente d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme ; Anny DUPEREY, actrice; Julie ESTEBE, écrivaine ; Marina EUDES,maitre de conférences en droit public ; Georges FENECH, ancien juge d’instruction; Nicole FERRONI, actrice, humoriste, chroniqueuse ; Audrey FLEUROT, actrice ; Michel FORST, rapporteur spécial des Nations Unies, secrétaire général de l’Institut français des Droits et Libertés ; Cathy GALLIEGUE, écrivaine ; Julie GAYET, comédienne; Susan GEORGE, politologue, écrivaine franco-américaine ; Jean-Pierre GETTI, magistrat honoraire, ancien président de cour d’assises ; Bernard GOLSE, pédopsychiatre, professeur émérite de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, président de l’Association Européenne de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent ; Romain GOUPIL, réalisateur; Anne GRAVOIN, violoniste ; Robert GUEDIGUIAN, réalisateur ; Mia HANSEN-LOVE, réalisatrice ; Isabelle HAUSSER, écrivaine ; Adeline HAZAN, magistrate, ancienne contrôleure des lieux de privation de liberté, conseillère spéciale auprès du président d’Unicef France ; Serge HEFEZ, psychiatre, psychanalyste ; Nicolas HENIN, journaliste, ancien otage de l’État islamique ; Jacques JOSSE, écrivain; Ismaël JUDE, écrivain ; Gabriel JULIEN-LAFERRIERE, réalisateur ; Jean-Claude LALUMIERE, écrivain ; Martine LAROCHE-JOUBERT, grand reporter ; Camille LAURENS, écrivaine ; Bertrand LECLAIR, romancier, essayiste ; Henri LECLERC, avocat honoraire, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme ; Claude LELOUCH, réalisateur ; Joëlle LOSFELD, éditrice; Édith MASSON, écrivaine ; Gilles MARCHAND, écrivain; Lionel-Édouard MARTIN, écrivain ; Corinne MASIERO, actrice; Marie-Castille MENTION-SCHAAR, réalisatrice ; Noémie MERLANT, actrice et réalisatrice ; Jean-Benoît MEYBECK, illustrateur, graphiste, auteur de bandes dessinées et de livres jeunesse ; Valérie MILLET, éditrice ; Ariane MNOUCHKINE, metteuse en scène de théâtre; Vincent MONADE, éditeur, ancien président du CNL ; Richard MORGIEVE, écrivain ; Laure MURAT, historienne, écrivaine, professeure à l’Université de Californie à Los Angeles ; Jean NAVARRO, professeur honoraire de pédiatrie, ancien directeur de la politique médicale de l’APHP ; Éric OUZOUNIAN, journaliste, écrivain, père d’une des victimes de l’attentat du Bataclan ; Martin PAGE, écrivain ; Eric PESSAN, écrivain; Sébastien PIETRASANTA, rapporteur du projet de loi sur la lutte contre le terrorisme ; Raphaël PITTI, médecin-général des armées ; Edwy PLENEL, journaliste ; Gilles PORTE, cinéaste ; Sophie PUJAS, écrivaine, journaliste; Bruno RAFFAELLI, comédien ; Jean-Michel RIBES, metteur en scène et auteur ; Pascal ROGARD, directeur général de la Société des Artistes et Compositeurs Dramatiques; Jean-Luc RONGE, président de Défense des Enfants-International France ; Jean-Pierre ROSENCZVEIG, magistrat honoraire, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny ; Anne ROUMANOFF, actrice ; Laurine ROUX, écrivaine; Emmanuel RUBEN, écrivain ; Malik SALEMKOUR, président de la Ligue des Droits de l’Homme ; Georges SALINES, ancien médecin de santé publique, membre de l’Association française des Victimes du Terrorisme, père d’une des victimes de l’attentat du Bataclan ; Pierre SANTINI, acteur ; Josyane SAVIGNEAU, biographe et journaliste ; Inga SEMPE, designer ; Bruno SOLO, acteur ; Antoine SPIRE, président du Pen Club de France; Pierre SUESSER, pédiatre, médecin de santé publique en PMI Seine-Saint-Denis ; Jeanne SULZER, responsable de la commission Justice internationale d’Amnesty International France ; Sandra SZUREK, professeur émérite à Paris-Nanterre, ancienne vice-présidente de l’Association Française des Nations-Unies ; Philippe TORRETON, acteur ; Anne-Karen deTOURNEMIRE, écrivaine ; Marc TREVIDIC, président de cour d’assises, ancien juge anti-terroriste ; Virginie TROUSSIER, écrivaine ; Romain VERGER, écrivain; Marc VILLEMAIN, écrivain ; Zahia ZIOUANI, cheffe d’orchestre.

PLUSIEURS CAS DE COVID-19 PARMI LES FEMMES DÉTENUES DANS LE CAMP ROJ, AU NORD-EST DE LA SYRIE

Communiqué du  » Collectif des Familles Unies  » du 3 avril 2021

Camps De Roj dans le Nord-est de la Syrie

Ce que nous redoutions depuis un an et qui était prévisible est en train d’arriver. Au moins six femmes malades, dont des Françaises, ont été testées positives au COVID-19 dans le camp de prisonniers Roj, dans le nord-est de la Syrie. Les femmes ont été placées à l’isolement dans le camp, et sont « traitées » avec du Doliprane. Leurs enfants ont été répartis dans d’autres familles ou sont sous la surveillance d’autres femmes. Dans ce camp où la distanciation physique est quasiment impossible à respecter, où des centaines d’enfants sont détenus dans des conditions indignes avec leurs mères, il est à craindre que le nombre d’infections soit d’ores et déjà bien plus élevé, et que le virus se répande rapidement. De nombreuses femmes et de nombreux enfants présentent des pathologies diverses (asthme, diabète, infections pulmonaires…) qui les exposent directement à un danger de mort. Les moyens sanitaires et les prises en charge médicales pour contrer ou traiter la maladie, dans la région et encore plus dans le camp, sont quasiment inexistants.

Dans ce camp, géré par les Forces Démocratiques Syriennes (prokurdes), des dizaines d’enfants français et leurs mères sont détenus depuis deux ans, et pour certains depuis trois ans et plus. Les enfants survivent dans ce camp sans protection, sans école, sans soins appropriés. Tous les appels au rapatriement, lancés par les familles, mais aussi par l’ONU, la Croix-Rouge, l’UNICEF, le Parlement européen, des parlementaires, le CNCDH, par toutes les organisations de défense des droits humains et par l’Administration kurde elle-même, sont restés lettre morte face à un gouvernement figé dans une posture tout aussi inhumaine face à la détresse des enfants qu’irresponsable face aux enjeux sécuritaires.

Le Président de la République sait que des vies sont en jeu, que depuis des mois la situation se dégrade, et qu’aujourd’hui un nouveau palier est franchi. L’épidémie de COVID-19 peut faire des ravages dans ce camp. Ces enfants et ces femmes auraient dû être rapatriés depuis longtemps. Il s’agit maintenant d’arrêter ce jeu de massacre, d’intervenir avant que ne meurent des enfants et leurs mères, et de prendre la seule décision qui corresponde aux valeurs de justice, de droit, d’humanité, d’éthique : rapatrier ces enfants et leurs mères pour éviter le pire.

Le 3 avril 2021

Le « Collectif des Familles Unies »