Détenus dans des conditions épouvantables, quatorze Français, douze hommes et deux femmes, tous condamnés pour appartenance à l’Etat islamique, demandent leur rapatriement.
La djihadiste française Mélina Boughedir, au tribunal de Bagdad, le 19 février 2018. Elle est désormais détenue à la prison d’Al-Russafa, dans la capitale irakienne. STRINGER / AFP
Quatorze Français djihadistes sont détenus dans les prisons irakiennes, douze hommes et deux femmes. Arrêtés par les forces arabo-kurdes en 2017 ou 2018 en Syrie, les hommes, tous des combattants de l’organisation Etat islamique (EI), avaient été transférés en Irak en vertu d’un accord secret passé avec Bagdad par Jean-Yves Le Drian, alors ministre des affaires étrangères, et critiqué par la rapporteuse spéciale de l’ONU pour les droits de l’homme. Les femmes avaient, pour leur part, été arrêtées par l’armée irakienne pendant la bataille de Mossoul, où elles résidaient avec leur mari membre de l’EI.
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Une fois à Bagdad, les hommes ont été incarcérés, jugés et condamnés à mort pour participation à une organisation terroriste, suscitant l’embarras de Paris. Les procès, qui se sont tenus en mai et juin 2019, n’avaient duré qu’une demi-heure, sans avocat ni traducteur. Les accusés, qui avaient souligné n’avoir jamais combattu en Irak mais plutôt en Syrie, avaient également fait état de torture. A l’époque, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, avait déclaré que Paris ne contestait pas « l’équité de ces procès » qui se sont tenus « dans de bonnes conditions avec une défense présente ». La Cour suprême fédérale d’Irak a fini par commuer les peines capitales en prison à vie, en juin 2023. Mais leurs conditions de détention posent problème et ils demandent aujourd’hui leur rapatriement afin de purger leur peine en France.
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Depuis 2019, ces Français, à l’exception de l’un d’entre eux, incarcéré à Nassiriya, dans le sud de l’Irak, sont détenus à la prison d’Al-Russafa, dans la capitale irakienne. C’est aussi le cas des deux Françaises, Djamila Boutoutaou et Mélina Boughedir, condamnées à vingt ans de réclusion en 2018. Aussi graves soient les crimes qu’ils aient pu commettre, leurs conditions de détention y sont épouvantables et indignes, selon quatre avocats français qui ont pu visiter leurs clients, à deux reprises ces douze derniers mois, dans leur prison de Bagdad – une première fois du 29 septembre au 3 octobre 2023, puis du 20 au 21 février 2024. Mes Matthieu Bagard, Marie Dosé, Chirine Heydari-Malayeri et Richard Sédillot ont rédigé, à l’attention des autorités françaises, deux mémorandums approfondis que Le Monde a pu consulter.
Nourriture avariée
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Dans la prison pour hommes, les avocats ont pu rendre visite à cinq détenus français dont ils sont les conseils. Quatre d’entre eux sont parqués dans une cellule qui compte 108 à 123 prisonniers, selon les périodes, pour 100 mètres carrés. Il est impossible aux détenus de s’asseoir par terre tous ensemble. Ils dorment sur des matelas sales posés à même le sol, sur le côté et à plusieurs pour pouvoir s’allonger. Le climatiseur de la cellule étant en panne, les gardiens ont demandé aux prisonniers de se cotiser pour en racheter un neuf.
Le récit livré par les avocats dans leur mémorandum est édifiant. La douche, les toilettes et la kitchenette de la cellule, qui pullule de cafards, sont côte à côte, séparées par un simple rideau. Il faut donner quelque chose au détenu qui fait office de chef de cellule pour pouvoir prendre une douche. Pour accéder aux deux toilettes à la turque la nuit, les détenus doivent piétiner leurs congénères. Il n’existe aucun système de lingerie. La gale est courante, la nourriture souvent avariée et insuffisante. Le médecin de la prison ne prescrit que du paracétamol ou des antibiotiques, quelle que soit la maladie.
Sous-alimenté, Léonard Lopez souffre d’une dystrophie et voit les muscles de son dos et de sa poitrine fondre. Il lui est interdit, comme aux autres, de pratiquer la moindre activité s’apparentant à du sport, y compris pendant les promenades, qui se limitent à une vingtaine de minutes une ou deux fois par semaine. Karam El Harchaoui souffre d’un scotome (taches noires dans le champ visuel) et Vianney Ouraghi d’asthme. L’un des détenus français s’est arraché deux dents avec un fil de fer, faute de dentiste. Il arrive que des détenus meurent en cellule.
Les djihadistes français partagent leur cellule avec des miliciens chiites irakiens, qui leur sont farouchement hostiles. Les bagarres, violences entre détenus et agressions sexuelles sont fréquentes. En cas de conflit, les gardiens prennent le parti des chiites, souvent leurs coreligionnaires, écrivent les avocats. En cellule, une télévision allumée en permanence déverse de la propagande religieuse chiite de 8 heures à 23 heures. Les livres sont interdits.
Plainte contre X
Plainte contre X
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Dans la prison des femmes, femmes et enfants sont détenus tous ensemble. Les enfants sont régulièrement frappés et insultés par les gardiens, selon les constatations des avocats, et doivent participer aux tâches ménagères comme le transport de nourriture. Ils n’ont accès à aucune éducation. Djamila Boutoutaou n’a plus aucune nouvelle depuis quatre ans de sa fille rapatriée en France, malgré une décision du tribunal des enfants de Bobigny l’autorisant à garder le contact avec l’enfant, aujourd’hui âgée de 8 ans. Malade, Mme Boutoutaou pèse aujourd’hui 120 kilos sans prendre plus d’un repas par jour. Sa santé est en grave danger. La seule distraction autorisée est la lecture du Coran en arabe. Les agressions sexuelles commises par le personnel pénitentiaire sont monnaie courante.
Les communications téléphoniques des détenus français avec leur famille et leurs avocats ne sont possibles que depuis peu. Les dons des familles (médicaments, livres, vêtements, nourriture, etc.) sont souvent saisis par les gardiens ou la direction de la prison.
« Tous les détenus rencontrés portent les stigmates des violences commises, qu’elles soient de nature physique, psychologique ou sexuelle, subies quotidiennement depuis des années. (…) On peut considérer que leur état physique et psychique est particulièrement inquiétant, et qu’aucun des soins que cet état exige n’est prodigué », résume le mémorandum.
Djamila Boutoutaou, Vianney Ouraghi et Brahim Nejara ont déposé plainte en France contre X, par le biais de leurs avocats, pour « actes de torture et de barbarie », ainsi que pour « séquestration arbitraire ». C’est aussi le cas de Léonard Lopez, Yassine Sakkam et Karam El Harchaoui. Des demandes de transfèrement ont été effectuées par tous les détenus représentés durant les douze derniers mois. Mais le ministère de la justice a fait savoir aux avocats que la demande devait émaner des autorités irakiennes. En septembre, les détenus se sont vu proposer par les autorités irakiennes de signer un texte en arabe demandant leur rapatriement en France, où ils purgeraient le reste de leur peine.
Statut de témoin assisté
Ces détenus djihadistes français sont tous poursuivis en France dans le cadre d’autres procédures pour terrorisme. Leurs avocats, pour pouvoir les rencontrer, doivent obtenir un permis du ministère irakien de la justice − et du ministère de l’intérieur, dans le cas de Mme Boutoutaou. Les avocats des hommes « n’ont pas pu préparer leur défense dans des conditions garantissant la confidentialité de leurs échanges », mentionne le mémorandum. Tous les entretiens se sont déroulés en même temps, dans le bureau du directeur de la prison, en présence d’une agente pénitentiaire et d’un membre des services de renseignement. Dans la prison des femmes, Me Marie Dosé, l’avocate de Djamila Boutoutaou, a rencontré sa cliente en présence de la directrice de l’établissement pénitentiaire et de quatre hommes.
A la deuxième visite en Irak, les avocats des hommes n’ont pas eu le droit de prendre ni papier ni stylo lors des entretiens. Quant à l’avocate défendant Djamila Boutoutaou, Me Dosé, elle a subi une fouille s’apparentant à une agression sexuelle.
De manière surprenante, soulignent les avocats, un juge d’instruction antiterroriste français a pris l’initiative de venir à Bagdad interroger un détenu français, Fodil Tahar Aouidate, sous le statut de témoin assisté, alors qu’il est pourtant sous le coup d’un mandat d’arrêt pour la même procédure. Ce dernier n’ayant pas d’avocat français, le juge a fait appel à un avocat commis d’office de la conférence, qui a accepté de l’accompagner lors de son transport à Bagdad, du 5 au 8 décembre 2023. Fodil Tahar Aouidate a été entendu dans le bureau du premier président de la cour d’appel de Bagdad en présence d’une demi-douzaine de personnes, dont l’officier de sécurité qui l’avait interrogé et torturé à son arrivée en Irak, a-t-il fait savoir à ses autres codétenus, qui l’ont transmis à la délégation des avocats français.
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Sur le papier, rien ne s’oppose à l’exécution de cette commission rogatoire internationale, mais les conditions de l’audition par le juge et de détention du « témoin » − identique à celles des autres Français rencontrés par la délégation de quatre avocats − ne manquent pas d’interroger. « Je trouve déplorable que les magistrats instructeurs se déplacent jusqu’en Irak pour entendre, sous un statut parfaitement inadapté, celui de témoin assisté, des ressortissants français qui sont sous le coup d’un mandat d’arrêt international et qui sont détenus dans des conditions qui ne permettent pas d’être interrogés dans le respect de nos principes fondamentaux », s’insurge Me Marie Dosé.
Ce statut de témoin assisté permet de préserver les droits de la personne entendue à l’étranger, explique une source proche du dossier. Une autre audition de la même sorte par une juge antiterroriste est prévue dans les semaines à venir à Bagdad.
Rectificatif le 7 octobre à 15 h 07 : correction du nombre de djihadistes français détenus en Irak et du nombre de ceux ayant déposé plainte en France, ainsi que de leurs dates d’arrestation.