Syrie: les enfants des camps, une honte française.

Interview de Marie Dosé, avocate

Ils ont 5 ou 6 ans, prisonniers dans des camps en Syrie. Leur tort : être nés de parents (souvent pères) accusés de terrorisme ou d’avoir servi Daesh. Avocate du collectif Familles unies, Marie Dosé se bat pour leur rapatriement. Elle a fait condamner la France par la Cour Européenne, par le Comité International des Droits de l’Enfant, par le Comité contre la Torture des États-Unis. Aujourd’hui, elle estime que la chute d’Assad offre une occasion inespérée de faire revenir ces gamins, et leurs mères. Elle nous a dit comment.

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« L’épuisement devient de la colère. »

« La loi française est celle-ci : dès l’instant où vous êtes né d’un parent français, vous êtes Français ».

Au plus fort de son activité, entre 2013 et mars 2019, l’organisation djihadiste Daech est rejointe dans les territoires qu’elle contrôle par des centaines d’hommes et de femmes venant de l’étranger. Avec leurs enfants, parfois. Et qui, pour certains, ont des enfants en Irak ou en Syrie. Plusieurs centaines de ces enfants, issus de combattants français, cinq ans après la chute du soi-disant « État Islamique », sont toujours sur place, dans des camps, abandonnés à leur sort par l’État français qui détourne le regard.

Marie Dosé : J’ai surtout le sentiment – alors, ces dernières années encore plus – que nous sombrons petit à petit dans un populisme crasse, et que la seule façon pour moi, avec ma robe, de résister à ce populisme crasse, c’est de défendre l’État de droit.

Au début de l’année 2019, quand les combattants kurdes libèrent les derniers bastions de Daech, ils font prisonnier les hommes et placent les femmes et les enfants dans des camps, les ressortissants étrangers ne pouvant qu’attendre un éventuel rapatriement dans leur pays d’origine. En France, ce rapatriement n’aura pas lieu. Annoncé en février 2019, planifié, il fuitera quelques jours trop tôt dans les médias, par l’intermédiaire de BFM TV, qui compromet la sécurité de l’opération. Puis, des sondages apparaîtront, commandés par le Figaro et Radio France : deux tiers des sondés souhaitent que les « enfants de djihadistes » restent en Syrie. Sur cette base aussi fragile que calamiteuse, les pouvoirs politiques enterreront le projet. Depuis, des opérations partielles ont été menées, incomplètes. Pendant ce temps, nous sommes en 2025, et des enfants continuent de mourir dans ces camps. Il en reste 120 français.

Marie Dosé : Vous savez, quand on vous dit : « mais vous vous rendez compte, ils sont radicalisés, ils ont grandi sous Daech, on leur a inculqué… » ; quand ils arrivent dans les camps, en janvier, février, mars 2019, 90 % d’entre eux n’ont pas 6 ans. Les deux tiers n’ont pas 3 ans. Et beaucoup sont nés dans les camps. Ce sont les enfants des camps. Je ne peux plus, moi, « enfant de djihadistes », « enfants de Daech ». C’est insupportable, en fait, insupportable. Et pourquoi sont-ils dans ces camps ? Parce que la France refuse de les rapatrier.

« Les enfants fantômes »

Face à ce silence, face à la bêtise raciste et la lâcheté des autorités, Marie Dosé poursuit le travail engagé dès 2013, à savoir le retour en France de ses ressortissants, des mères qui en font la demande, des enfants dont l’existence attend encore de pouvoir commencer. Certains enfants sont à « sauver de leurs mères » qui veulent rester. L’avocate portera à partir de 2019 le sujet devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, devant les comités de l’ONU concernés, qui finissent après un long examen par condamner la France.

Entre-temps, elle ira plusieurs fois à l’Élysée, plaider sa cause auprès de la conseillère Justice d’Emmanuel Macron, mais rien n’y fait : le « fait du prince », sans jamais le dire ouvertement, préfèrera la politique de l’autruche au rapatriement de l’équivalent de « dix classes de maternelle ». En 2019, pourtant, le discours politique était déjà rôdé : la Garde des Sceaux Nicole Belloubet énonçait que le rapatriement était le choix de la « responsabilité » – y compris d’un point de vue sécuritaire. Et qu’au niveau européen, tout était prêt pour une action commune : c’est la France, qui a le plus gros contingent dans les camps, qui a bloqué.

Marie Dosé : Je me dis souvent qu’en Lorraine, [à la fin de la Guerre, quand les Lebensborn ont ouvert leurs portes], on a adopté les enfants de ceux qui ont tué nos grands-parents, nos parents, nos frères, nos fils. En 1945, on a fait ça, on les a adoptés. Aujourd’hui, on n’est même pas foutu de rapatrier 250, 300 enfants de moins de 6 ans qui sont prisonniers dans des camps.

Le silence de la France est un silence actif. Les services de renseignements sont en relation avec les Kurdes du nord-est syrien qui prennent en charge les camps. Aux Kurdes, qui ont bien d’autres soucis que les ressortissants étrangers à gérer dans la région, des compensations sont données par l’État français. « Les Kurdes de Syrie, pour les rencontrer, en veulent beaucoup à la coalition internationale. Ils se sentent complètement abandonnés. », relate l’avocate qui, à chaque nouveau voyage dans le nord-est syrien, observe, en creux, les conséquences de ce double jeu.

Le retour en France

Plus le temps passe, et plus les problèmes se creusent, bien évidemment. Les années de camp sont dévastatrices, physiquement et mentalement, pour les mères et les enfants. Certaines mères s’enfoncent dans la radicalisation et refusent de rentrer ; d’autres, qui dans l’horreur de leurs conditions de vie sont au moins auprès de leurs enfants, ne s’imaginent pas rentrer en France et les laisser à l’aide sociale pendant qu’elles iront en prison. Marie Dosé parle d’un immense gâchis, d’un coche raté par les autorités en 2019.

Elle connaît le travail qui est fait dans les quartiers de déradicalisation des prisons françaises, qui porte ses fruits sur les femmes qui ont accepté le retour. Les enfants rapatriés ne posent pas de problèmes, des dires du Parquet anti-terroriste ; aucun ne porte en lui de graine de djihadiste – fallût-t-il le dire. Les grands-parents, qui se battent avec détermination pour le retour des leurs, n’ont pas accès au camp, ni même les parlementaires, sur ordre de la France ; les avocats, via Avocats Sans Frontières, n’ont pu y accéder qu’à de très rares reprises : dans les camps, le lien est impossible.

Marie Dosé : Les mères descendent de l’avion avec les enfants. Les enfants sont séparés des mamans. Ce qui est très, très, très compliqué parce qu’on a beau les préparer à ça, les enfants ne vivent qu’avec leurs mères. Et c’est 24 heures sur 24, et c’est dans une tente. […] Elles sont mises en examen pour association de malfaiteurs à caractère terroriste, et placées en détention provisoire tout de suite. Les enfants, eux, sont placés à l’aide sociale à l’enfance. Et ils vont d’abord soit en foyer, soit en famille d’accueil, avant que des investigations soient réalisées dans les familles pour que les juges des enfants puissent être à même de les placer ou pas dans leur famille. […] La défiance envers ces enfants, elle ne s’arrête pas une fois qu’ils rentrent, elle se poursuit.

La question du retour des enfants dans leurs familles est complexe. Encore une fois, la non-préparation de ces retours, conjuguée au manque de moyens chronique de la protection de l’enfance dans notre pays, demande un temps considérable pour que le juge des enfants évalue la situation et se prononce. Pour l’enfant, qui n’a toujours vécu que dans un cauchemar, ce sont possiblement encore des mois, des années de ballottage d’une famille, d’un foyer à un autre, et autant de nouvelles séparations.

Mensonge(s) d’État

Nous sommes donc dans une situation où la France entretient le parquet anti-terroriste le plus répressif d’Europe, le plus outillé, tout cela pour refuser de rapatrier les personnes qu’il devrait judiciariser. Les autorités jugent préférable de laisser des ressortissants français dans des camps, des prisons en Syrie, susceptibles d’être attaquées par ce qu’il reste des combattants de Daech dans la région. Sans trouver indigne de faire peser la prise en charge de centaines de ses citoyens sur les Kurdes, eux-mêmes privés d’État, privés de territoire, privés de reconnaissance internationale après le rôle qu’ils ont joué dans le démantèlement de « l’État Islamique ».

Marie Dosé : Le Quai d’Orsay n’a pas hésité à écrire, à moi, « c’est beaucoup trop dangereux pour les militaires français de se rendre sur place, donc on ne peut pas les rapatrier ». À moi qui y était allée il y a trois semaines, avec des grands-parents, avec sept grands-parents qui ont vu leurs petits-enfants. […] Quand on est là-bas, on circule, on rentre dans les prisons, on rentre dans les camps, et on se dit « mais pourquoi on ne les prend pas en fait ? ». Parce que c’est plus que de la mauvaise foi, c’est plus que de la lâcheté, c’est un mensonge d’État.

Contre tout bon sens, contre l’avis unanime des experts du contre-terrorisme, les pouvoirs publics agitent, sur la base d’un sondage bancal qui date de 2019, une soi-disant « opinion publique » pour justifier leur inaction. Face à l’État de droit qu’elle défend ardemment, l’avocate dénonce le « populisme pénal »  – dont font preuve tous les gouvernements français depuis la présidence Sarkozy, lui-même un expert du procédé1 – qui consiste à « faire de la justice un outil de communication politique ». Notre actuel ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, le 29 septembre dernier dans une interview au JDD, ne s’embarasse plus de périphrases : « L’État de droit, ça n’est pas intangible, ni sacré ».

Marie Dosé : J’ai une immense admiration, un immense respect pour ces gens qui ont vu leurs enfants partir en 2012, 2013, 2014. Quand les attentats nous ont tous meurtris, eux, il y avait une double meurtrissure, la même que la nôtre, mais celle aussi de savoir que peut-être leurs enfants étaient dans ce groupuscule responsable de ceci, dans ce groupe de terroristes responsable de ceci. Et combien de ces grands-parents ont fait croire à leurs amis, leurs voisins, que leurs enfants étaient partis faire des études à l’étranger ? Ce sont dix années d’horreur. Et puis, enfin, en 2018-2019, ça s’arrête. Daech tombe, et ils se disent « non seulement nos enfants vont être jugés, ils vont rentrer, mais surtout nos petits-enfants sont sauvés ». Eh bien, non. Leurs petits-enfants sont dans des camps. Et ils se battent à nouveau, depuis six ans, pour tenter de les faire rentrer en France. Ils sont d’un courage incommensurable. Et je veux juste dire, moi, aux autorités françaises, qu’un grand-père, une grand-mère, un oncle, une tante ne lâchent jamais, jamais les enfants. Donc ces enfants ne seront jamais des enfants fantômes. Ça ne marche pas. Ça ne fonctionnera pas parce qu’ils ne les lâcheront pas.

Quatre questions-clé

Qu’est-ce qu’une « défense de rupture » ?

La défense de rupture est une stratégie théorisée par l’avocat Jacques Vergès, selon laquelle la défense accuse le juge de ne pas être légitime à juger l’accusé.

Qu’est-ce que « l’État Islamique » ?

« État Islamique » est le nom autoproclamé de l’organisation Daech, qui à partir du 29 juin 2014 installe un régime de terreur sur les territoires qu’elle contrôle en Syrie et en Irak. Jusqu’à sa chute en mars 2019, c’est ainsi qu’elle prétend régner sur un « califat », totalitaire et génocidaire, d’idéologie salafiste djihadiste.

Combien d’enfants français se trouvent dans les camps du nord-est syrien en 2025 ?

À la libération de la ville de Baghouz, dans le nord-est syrien, les combattants kurdes répartissent les ressortissants étrangers capturés dans les rangs de Daech dans des camps, pour les femmes et les enfants, et dans des prisons pour les combattants. Six ans après, il reste environ 120 enfants français dans ces camps, bien plus que pour n’importe quel autre pays d’Europe.

Qu’est-ce que le « populisme pénal » ?

Le « populisme pénal », tel que dénoncé par Françoise Cotta et Marie Dosé dans une tribune parue en 2007 dans Libération2 est un détournement de la justice à des fins politiques, que ce soit en paroles ou en faits, avec par exemple la promulgation d’une loi taillée sur mesure à la suite d’un fait divers. C’est une menace pour l’État de droit.

13 Janvier 2025

Qu’est-ce qu’une « défense de rupture » ?

La défense de rupture est une stratégie théorisée par l’avocat Jacques Vergès, selon laquelle la défense accuse le juge de ne pas être légitime à juger l’accusé.

Qu’est-ce que « l’État Islamique » ?

« État Islamique » est le nom autoproclamé de l’organisation Daech, qui à partir du 29 juin 2014 installe un régime de terreur sur les territoires qu’elle contrôle en Syrie et en Irak. Jusqu’à sa chute en mars 2019, c’est ainsi qu’elle prétend régner sur un « califat », totalitaire et génocidaire, d’idéologie salafiste djihadiste.

Combien d’enfants français se trouvent dans les camps du nord-est syrien en 2025 ?

À la libération de la ville de Baghouz, dans le nord-est syrien, les combattants kurdes répartissent les ressortissants étrangers capturés dans les rangs de Daech dans des camps, pour les femmes et les enfants, et dans des prisons pour les combattants. Six ans après, il reste environ 120 enfants français dans ces camps, bien plus que pour n’importe quel autre pays d’Europe.

Qu’est-ce que le « populisme pénal » ?
Le « populisme pénal », tel que dénoncé par Françoise Cotta et Marie Dosé dans une tribune parue en 2007 dans Libération2 est un détournement de la justice à des fins politiques, que ce soit en paroles ou en faits, avec par exemple la promulgation d’une loi taillée sur mesure à la suite d’un fait divers. C’est une menace pour l’État de droit.

Lutter efficacement contre le terrorisme exige de rapatrier les jihadistes français détenus en Irak

Alors que Gérald Darmanin avait annoncé le transfert de jihadistes français détenus en Irak, avant de rétropédaler, un collectif d’avocats plaide pour assurer le respect des instruments internationaux ratifiés par la France.

Tribune Libération par Marie Dosé, Chirine Heydari-Malayeri, Matthieu Bagard, Richard Sedillot, avocats à la Cour du 230525

Quatorze Français, douze hommes et deux femmes, sont retenus prisonniers en Irak depuis six ans au moins après y avoir été condamnés à l’issue de procès notoirement inéquitables. Tous ont demandé leur transfert en France, où des magistrats instructeurs antiterroristes instruisent leurs dossiers depuis dix ans. A leur arrivée sur le territoire français, les mandats d’arrêt émis à leur encontre leur seront notifiés, et tous seront mis en examen du chef d’association de malfaiteurs à caractère terroriste, avant d’être très probablement placés en détention provisoire. Au-delà de la question de l’exécution des peines prononcées par la justice irakienne (perpétuité pour les hommes, 20 ans pour les femmes), une seconde procédure judiciaire les attend donc en France.

Le 25 avril dernier, répondant aux questions d’un lecteur de La Voix du Nord, Gérald Darmanin, ministre de la Justice, a affirmé que ces ressortissants – spécialement trois d’entre eux originaires du département du Nord – devaient exécuter leur peine en France, à l’instar de beaucoup d’autres détenus à travers le monde. « J’estime qu’on ne peut pas demander à l’Algérie, au Maroc ou aux Etats-Unis de reprendre leurs nationaux touchés par une OQTF et refuser de faire revenir les Français détenus à l’étranger », a-t-il souligné, non sans raison.

Nous ne pouvons que souscrire à ces propos, étant rappelé que ces personnes :

– ont été condamnées à mort (peine commuée en réclusion à perpétuité) ou à 20 ans de réclusion criminelle, dans des conditions expéditives, après seulement quelques minutes de réquisitoire et de plaidoiries ;

– n’ont bénéficié d’aucun accès à leur dossier, ni d’aucune défense digne de ce nom ;

– sont détenues dans des conditions abjectes, caractéristiques de traitements inhumains et dégradants (112 hommes sont entassés dans une cellule de 55 mètres carrés, 80femmes survivent dans moins de 100 mètres carrés) ;

– subissent la violence récurrente de leurs codétenu(e)s ;

– n’ont pas accès aux soins les plus élémentaires et notamment aux soins que leur état de santé exige.

Les associations de défense des victimes d’actes terroristes, telles que l’AFVT ou Life For Paris, soutiennent ces demandes de transferts en France, afin que des procès dignes de ce nom puissent enfin s’y tenir. Les autorités irakiennes ont, quant à elles, manifesté leur souhait de voir ces prisonniers français transférés dans leur pays d’origine. L’Irak n’est certes pas signataire de la convention du Conseil de l’Europe de 1983 applicable en la matière dans 66 pays, et aucune convention bilatérale n’a été signée entre les deux Etats.

Toutefois, les transfèrements restent possibles en l’absence de toute convention internationale, à l’occasion d’un accord cadre ponctuel entre la France et l’Irak. Les ministères de la Justice irakien et français sont seuls compétents pour le définir, et Gérald Darmanin avait donc toute légitimité pour asseoir sa position en faveur du transfert de ces ressortissants.

Au lendemain de ces déclarations, le revirement de Gérald Darmanin n’a rien de surprenant : s’il est seul compétent en la matière, ce n’était pas à lui d’annoncer une telle mesure. A surcommuniquer sans cesse, nul ne s’étonnera que l’information soit souvent délivrée au mauvais moment, dans la précipitation et dans des conditions inappropriées. On ne pourrait cependant imaginer qu’un Garde des Sceaux, qui de surcroît fut ministre de l’Intérieur et qui, comme tout ministre, relit chaque virgule des interviews qu’il donne, ait pu révéler une information d’une telle importance sans s’assurer de sa véracité. La France ne peut exiger des pays étrangers ce qu’elle refuserait d’appliquer à ses propres ressortissants a affirmé en toute cohérence Gérald Darmanin. Conséquemment, il faut,dans les meilleurs délais, transférer les ressortissants français retenus prisonniers en Irak. Seul ce transfert permettra de garantir les droits les plus fondamentaux de ces détenus, dont l’état de santé est aujourd’hui très préoccupant, d’assurer le respect des instruments internationaux ratifiés par la France, parmi lesquels la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et d’assurer le respect des droits des parties civiles. La lutte contre le terrorisme défie notre propre humanité, et la protection des droits fondamentaux demeure le seul moyen de lutter efficacement contre le terrorisme.

Femmes et enfants de djihadistes détenus en Syrie : les refus du Quai d’Orsay de rapatrier annulés par la justice

Le tribunal administratif a donné, jeudi 13 mars, deux mois au ministre des affaires étrangères pour répondre à chaque demande de rapatriement en la motivant personnellement. Huit femmes et leurs 29 enfants sont concernés.

Christophe Ayad, Le Monde, Publié le 13 mars 2025 à 17h47, modifié le 14 mars 2025 à 09h12

Dans le camp Roj, où sont détenus des proches de personnes soupçonnées d’avoir appartenu au groupe Etat islamique, en Syrie, en octobre 2023.  DELIL SOULEIMAN/AFP

Dans le long combat mené par les proches de femmes françaises djihadistes détenues avec leurs enfants dans des camps kurdes du Nord-Est syrien, la décision du tribunal administratif de Paris du jeudi 13 mars est une étape décisive. La juridiction administrative, saisie par les avocats de huit femmes, qui ont la charge de 29 enfants âgés de 6 à 15 ans, a annulé les refus opposés par le ministère des affaires étrangères à leurs demandes de rapatriement en France. MeMarie Dosé, qui représente ces femmes, a salué « une décision historique ».

Cette décision, inédite, est une conséquence de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le 14 septembre 2022 à Strasbourg. Dans son arrêt, la CEDH demandait à la France de motiver personnellement ses refus et de créer une instance indépendante de recours en cas de refus de rapatriement. Pour avoir insuffisamment motivé ses refus, le ministère des affaires étrangères est désormais mis en demeure par le tribunal administratif de réexaminer les demandes de rapatriement dans un délai de deux mois. C’est un pas de plus vers la judiciarisation d’une question qui était restée jusqu’à présent dans une zone de non-droit, dépendant de l’arbitraire de l’exécutif et de la raison d’Etat.

La France est le pays occidental qui compte le plus grand nombre de détenus djihadistes en Syrie : plus de 70 hommes, quelque 50 femmes et 120 enfants. Si le sort des hommes, tous considérés comme des combattants, ne fait pas vraiment débat dans l’opinion, celui des femmes et des enfants est autrement controversé. Notamment à cause des conditions dans lesquelles sont détenus ces enfants, parqués dans des camps à ciel ouvert, dormant sous des tentes été comme hiver, sans éducation ni soins dignes de ce nom, depuis 2019 et la chute du dernier bastion de l’organisation Etat islamique en Syrie. Ces enfants soit ont été emmenés de force par leurs parents depuis la France, soit sont nés en Syrie.

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Plus de nouveaux rapatriements

La perpétuation de cette situation de « provisoire permanent » et de non-droit pose des problèmes de sécurité et d’humanité, alors que les enfants avancent progressivement vers l’adolescence ou l’âge adulte. Six mineurs et jeunes majeurs sont ainsi détenus dans un centre de rééducation Orkesh, destiné aux garçons, et sont séparés de leur mère et de leur fratrie à l’adolescence. Leurs grands-parents, oncles et tantes vivant en France multiplient démarches judiciaires et voyages sur place pour alerter l’opinion et les pouvoirs publics.

Après quatre vols de rapatriement collectifs, en 2022 et 2023, la France ne souhaite plus effectuer de nouveaux rapatriements, y compris celui d’un jeune resté sur place lors de ces retours collectifs. Il avait été tout simplement oublié au moment du regroupement. Entre-temps, plusieurs femmes, qui étaient jusque-là opposées à l’idée de rentrer en France, par radicalisme religieux ou par peur de perdre la garde de leurs enfants, ont fait connaître leur désir de revenir malgré les poursuites judiciaires qui les attendent. Les mères sont, en effet, toutes visées par un mandat d’arrêt français.

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Sollicité tout au long de l’année 2024, le ministère des affaires étrangères a fait la sourde oreille ou a opposé son refus à de nouveaux rapatriements, arguant parfois de l’absence du consentement explicite de certaines mères ou des difficultés sécuritaires à mener une telle opération sur place. Après avoir saisi la Défenseure des droits, Claire Hédon, Me Marie Dosé, soutenue par l’association Avocats sans frontières France, a effectué des recours auprès du tribunal administratif de Paris concernant sept décisions implicites de refus de rapatriement et deux décisions explicites.

« Aucune pièce à l’appui »

Sur les décisions implicites, le tribunal administratif estime, dans son jugement, qu’il est compétent à se prononcer sur « un acte non détachable de la conduite des relations internationales de la France » − en clair un acte de gouvernement hors du champ de contrôle du juge administratif − en vertu de la décision de la CEDH de 2022, qui ne prévoit pas un droit automatique au rapatriement mais exige une décision motivée et une instance de recours. Concernant les refus explicites de rapatriement, le juge administratif observe, dans sa décision, que « le ministre de l’Europe et des affaires étrangères ne produit aucune pièce à l’appui de ses allégations ».

Le tribunal a suivi l’avis de la rapporteuse publique, qui avait donné raison aux requérants, soulignant « le risque exceptionnel d’atteinte à la vie des mineurs », lors de l’audience qui s’était tenue en février.

En revanche, en ce qui concerne les hommes, la cour administrative d’appel de Paris s’était déclarée incompétente, début mars, pour demander à la France de réétudier la demande de rapatriement de trois Français partis combattre en Syrie et emprisonnés par les forces kurdes. La cour estimait que leur situation ne relevait pas « de circonstances exceptionnelles ».

Christophe Ayad

« De quoi les enfants nés en Syrie sont-ils coupables pour grandir dans de telles conditions, avec le sentiment d’être abandonnés par la France ? »

TRIBUNE du Monde du 271224 par Patrick Baudouin, avocat et président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’homme et de la Ligue des droits de l’homme & Françoise Dumont, présidente d’honneur de la Ligue des droits de l’homme

Plus de cent vingt enfants français nés en Syrie y sont encore. Leur rapatriement est une urgence, affirment Patrick Baudouin et Françoise Dumont, présidents d’honneur de la Ligue des droits de l’homme.

Lorsque, en 2019, l’organisation Etat islamique a perdu ses derniers territoires, de nombreux enfants se sont retrouvés aux mains des autorités kurdes, détenus avec leur mère dans différents camps, notamment à Roj et Al-Hol, dans le Nord-Est syrien. A leur arrivée dans ces camps, la plupart d’entre eux étaient très jeunes, d’autres y sont nés.

Au fil des mois, les différents pays concernés ont rapatrié ces familles, la France a fait progressivement de même mais en traînant beaucoup les pieds, en dépit de sa condamnation par les comités onusiens et la Cour européenne des droits de l’homme.

Pourtant, elle ne pouvait méconnaître les conditions épouvantables dans lesquelles ces enfants ont vécu pendant plusieurs années : exposés au froid, à la chaleur, sous-alimentés, sans suivi médical ni psychologique, sans scolarisation, à la merci de bombardements turcs et d’infiltrations de groupes djihadistes encore très présents dans la région…

Drôle de façon pour les autorités françaises d’assumer leur mission absolue de protection de l’enfance et de respecter la Convention internationale des droits de l’enfant dont nous nous enorgueillissons si souvent d’être signataires.

Plus aucun rapatriement

Après plusieurs vagues de rapatriement, qui ont permis à environ 360 enfants de retrouver le sol français – le sol de leur pays –, plus aucun retour n’a eu lieu depuis 2023. Il reste aujourd’hui dans le camp de Al-Hol 120 enfants et une cinquantaine de mères, qui refusent, pour diverses raisons, de signer un papier par lequel elles formulent explicitement leur demande de rapatriement. La France est d’ailleurs le seul pays à exiger de ces femmes une telle démarche.

Il faut ajouter à ces 120 enfants six autres plus âgés, transférés par les autorités kurdes dans les « centres de réhabilitation » d’Orkech et de Houry et qui sont retenus là sans protection consulaire, sans accès à un juge ou un avocat, dans un état physique et psychologique catastrophique et qui ne cesse de se dégrader. De quoi sont-ils coupables pour grandir dans de telles conditions, avec le sentiment d’être abandonnés par la France, ce qui, à terme, ne peut que favoriser leur radicalisation ?

En réalité, ils ne sont coupables de rien, si ce n’est des choix de leurs parents, et, si ceux-ci doivent légitimement rendre des comptes à la justice, les enfants, eux, ne doivent payer ni pour les actes, ni pour les erreurs de ceux qui les ont entraînés dans leur funeste projet. Du reste, les retours que nous pouvons avoir concernant les rapatriés montrent que leur réadaptation se passe bien.

Devoir de protection

Aujourd’hui, la situation en Syrie s’est emballée avec la chute rapide de Bachar Al-Assad. Mais elle est très confuse, et le rôle de chacun des protagonistes en présence sur le terrain reste très incertain. Nous ne pouvons pas accepter que ces ressortissants français soient pris dans des affrontements sanglants entre groupes favorables à l’ancien régime, mouvements djihadistes, forces kurdes et turques.

On peut aussi craindre que certains enfants soient récupérés par des groupes qui pourraient les endoctriner et en faire des combattants. Leur rapatriement est une urgence. C’est leur vie même qui est en jeu et cela, à court terme. La France ne doit pas ignorer les dangers qui les menacent et se déshonorerait en se soustrayant à son devoir de protection.

En 2019, le président Emmanuel Macron affirmait : « La France est un pays qui n’abandonne jamais ses enfants, [quelles que soient les circonstances et fût-ce] à l’autre bout [de la planète]. » Il est grand temps que la parole donnée aux adultes – tout comme aux enfants – soit enfin respectée.



« L ’heure est grave » : pourquoi les familles des enfants français retenus en Syrie appellent plus que jamais à leur retour

Depuis la chute du régime de Bachar al-Assad, les proches des enfants de djihadistes français toujours présents dans un camp de réfugiés du nord de la Syrie craignent que la période de grande incertitude qui s’ouvre dans le pays ne les mette en danger. Au total, 120 jeunes ressortissants sont encore bloqués sur place.

Par Maëlane Loaëc du Parisien, le 12 décembre 2024 à 19h31, modifié le 12 décembre 2024 à 20h52

Depuis juillet 2023, plus aucun rapatriement d’enfants français n’a été organisé. Ils sont actuellement 120 à vivre dans des conditions très précaires dans le camp de Roj, dans le nord-est du pays (Photo d’illustration). AFP/Delil SOULEIMAN

« On a, pour ainsi dire, l’habitude d’avoir peur ». Depuis plus de six ans, Bertrand (le prénom a été modifié) vit dans « l’angoisse quasi quotidienne » de savoir ses quatre petits enfants, âgés de 6 à 14 ans, bloqués dans le camp de réfugiés de Roj, dans le nord-est de la Syrie, à la merci « du froid en hiver, des canicules l’été, des maladies et des accidents ». En tout, ils sont 120 enfants de Français djihadistes à y survivre, un calvaire qu’il avait vu de ses propres yeux lors d’une visite en février et août dernier. Mais depuis quelques jours, ses craintes ont atteint « un degré supplémentaire ».

Depuis la chute du régime de Bachar al-Assad dimanche Bertrand se réjouitde voir cette « tyrannie s’effondrer » mais il craint aussi que la période degrande incertitude qui s’ouvre en Syrie n’expose ces enfants à des risquesaccrus. « Nous sommes extrêmement inquiets il faut les rapatrier d’urgence» insiste le grand-père membre Collectif des Familles Unies rassemblantdes proches de ces jeunes ressortissants.

Au total 364 enfants de djihadistes ont été rapatriés ces dernières années parla France qui a été condamnée par plusieurs instances internationales pourson inaction sur le sujet. Parmi eux 169 l’ont été depuis 2019 dans le cadred’opérations complexes de rapatriement indique au Parisien une sourcediplomatique. Mais depuis juillet 2023 les retours ont été stoppés au granddam des familles qui appellent plus que jamais à faire rentrer les 120 enfants laissés sur le carreau.

« La France doit arrêter de jouer avec le feu »

Car avec le bouleversement que traverse actuellement la Syrie leur précarités’aggrave encore. « Le cours de la livre syrienne a chuté les prix des produitsde première nécessité se sont envolés et il est très difficile de pouvoircontinuer à envoyer de l’argent au camp » explique Bertrand. Mais au-delàde ça c’est la sécurité même des enfants qui inquiète : l’instabilité actuellepourrait déboucher sur une intensification des attaques contre les forceskurdes. Ces dernières contrôlent à ce jour le nord-est du pays où se situentles camps de réfugiés et se retrouve dans le viseur d’Ankara

Des bombardements turcs visaient déjà régulièrement des sites à proximitéde ces camps mais les proches redoutent désormais qu’ils se multiplient. «Soit les enfants vont être blessés ou mourir sous les bombes soit les campsvont être évacués et on va les perdre complètement » résume Me Marié Doséavocate du collectif qui se dit « très inquiète ». En 2019 un camp ainsiattaqué avait ouvert ses portes et des mères et leurs enfants français avaientpris la fuite sans que leur trace soit jamais retrouvée pour nombre d’entreeux. « Il faut agir vite maintenant.

La région est tellement instable que les enfants pourraient aussi se retrouver àla merci de combats entre les différents groupes armés actifs a fortiori sil’État islamique profite du chaos général pour gagner en puissance. « Lerapatriement est encore plus urgent qu’avant il n’y a pas le temps d’attendre » appuie Bénédicte Jeannerod directrice France de l’ONG Human RightsWatch. « On est dans une telle période d’instabilité et de volatilité que c’estune zone qui pourrait être sujette à grandes secousses d’autant plus qu’ungrand nombre de réfugiés affluent vers le nord » développe-t-elle.

Une fenêtre à ne pas manquer ?

« On craint qu’ils soient pris dans des affrontements qui peuvent êtresanglants » abonde également Patrick Baudouin président d’honneur de laLigue des Droits de l’Homme qui lance un vrai « cri d’alarme » : « S’ils sontpris dans cet engrenage on ne sait pas du tout ce qu’il peut en advenir ». Il soulève même un vrai enjeu sécuritaire avec la possibilité que ces enfantssoient « récupérés par de groupes djihadistes ou violents qui pourraient lesendoctriner et en faire des enfants combattants ». Quelques jours plus tôt leprocureur antiterroriste Olivier Christen avait assuré à l’inverse que lesenfants rapatriés en France ces dernières années ne « posent aucune difficultéparticulière » bien loin des craintes qu’ils ne deviennent des « bombes àretardement ».

Face à cette myriade de risques le temps presse : « Il se peut très bien quedans les jours à venir la situation soit tellement instable et dangereuse qu’ilsoit matériellement difficile de planifier un rapatriement » insiste leprésident d’honneur de la LDH qui appelle à agir « tant que c’est encorepossible ». Une vraie fenêtre d’opportunité se dessine puisqu’il n’y aactuellement « aucune difficulté pour accéder au nord est syrien » soulignede son côté Me Marie Dosé.

Optimiste Me Emmanuel Daoud voit même dans l’incertitude actuelle lesgermes d’une stabilisation si le nouveau régime en place emmené par unecoalition de rebelles offre des gages de stabilité et de respect démocratique. «Évidemment c’est un moment de chaos potentiel mais dès lors que l’on vavers une normalisation des relations diplomatiques avec un gouvernementdéclaré comme légitime c’est une nouvelle donne qui devrait permettre plusfacilement le retour des enfants » veut croire cet avocat qui représente deuxfamilles. Ce qui ne laisserait selon lui plus aucune raison aux autoritésfrançaises pour refuser les retours elles qui ont longtemps justifié leurdécision par la dangerosité de la situation sur place.

Quelles que soient les modalités pour organiser les opérations touss’accordent en tout cas sur un point : Paris ne peut plus attendre. « Il esttemps qu’elle respecte enfin ses engagements internationaux » insiste MeEmmanuel Daoud. Pour la LDH il est l’heure plus que jamais de mettre fin au« déshonneur de la France sur le sujet ». Et Marie Dosé de rappeler les motsdu président Emmanuel Macron lui-même qui affirmait en 2019 que laFrance « est une nation qui n’abandonne jamais ses enfants (…) fusse àl’autre bout de la planète ». Contacté le quai d’Orsay a refusé de faire descommentaires sur la situation de ces jeunes ressortissants.

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Chute de Bachar el-Assad : “Il y a urgence à rapatrier les enfants français détenus en Syrie”

Que vont devenir les enfants de djihadistes toujours retenus dans les camps du nord syrien ? Pour Marie Dosé, avocate du Collectif des familles unies, la chute du régime offre une “fenêtre de tir” qui doit enfin permettre leur rapatriement.

Par  Julia Vergely de Télérama, publié le 10 décembre 2024 à 17h42

Le camp de réfugiés de Al-Hol, situé dans le nord de la Syrie, près de la frontière syro-irakienne.  Photo Delil Souleiman/AFP

Cent vingt enfants français sont encore aujourd’hui détenus dans des camps en Syrie. Ils ont été emmenés de force dans le pays par leurs parents, français eux aussi, djihadistes convaincus et radicalisés, partis rejoindre Daech avant la chute du califat en 2019. Depuis, ils sont des dizaines d’enfants à croupir dans les camps tenus par les Kurdes, affrontant des conditions de vie effroyables. Plusieurs ONG (Unicef, Human Rights Watch, Ligue des droits de l’homme, Amnesty international, FIDH…) plaident pourtant depuis longtemps en faveur de leur retour. Jusqu’ici, les rapatriements d’enfants, avec leur mère, restent sporadiques, permis au cas par cas. Et malgré plusieurs condamnations (en 2022 et 2023 par la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité de l’ONU pour les droits de l’enfant et celui contre la torture), la France se refuse encore à leur rapatriement massif. En violation du droit international et de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Que faut-il craindre aujourd’hui, avec la chute du régime de Bachar el-Assad, pour ces enfants ? La situation d’extrême urgence mérite attention, pour Marie Dosé, avocate du Collectif des familles unies, regroupant les familles des enfants détenus.

Cent vingt enfants français sont toujours détenus en Syrie. Que savez-vous de leur situation aujourd’hui ?

La situation actuelle nous fait très peur. Pour l’instant, le nord-est syrien n’est pas concerné par la chute du régime, mais les Turcs profitent de l’instabilité pour cibler de nouveau le Rojava (Kurdistan syrien, région située au nord-est de la Syrie), et redoubler les attaques. Les bombardements se perpétuent à quelques kilomètres des camps. Depuis la chute du régime, les familles ne peuvent plus envoyer d’argent. Les enfants n’ont pas à manger et manquent de tout. L’hiver arrive. Nous sommes très inquiets. Avec Avocats sans frontière France et quelques grands-parents, nous nous sommes rendus dans les camps en août dernier. Nous avons également visité les centres de réhabilitation des prisons du Rojava, puisque désormais on y trouve quelques garçons qui ont grandi dans les camps et qui ont atteint l’âge de 14 ou 15 ans. Nous avons déposé des demandes de rapatriement de plusieurs enfants et de jeunes majeurs. S’il y a une fenêtre de tir, elle est là : c’est maintenant qu’il faut rapatrier tout le monde. Maintenant ! D’autant que la frontière entre le Kurdistan irakien et le Rojava étant ouverte, les journalistes peuvent s’y rendre sans difficulté aucune ! Il faut y aller. Je me suis entretenu avec des mères, avec des enfants, j’ai transmis à Emmanuel Macron et au Quai d’Orsay des demandes de rapatriements en février, en septembre encore… Il y a urgence, il faut vraiment se dépêcher pour sauver ces enfants.

En ne rapatriant pas ces enfants la France ne respecte pas le droit international.
Qu’a-t-on à craindre pour leur sort dans un avenir proche ?

Tout le monde se réjouit de la chute de Bachar el-Assad, et la citoyenne que je suis aussi. La difficulté désormais est de savoir qui va le remplacer et quelle va être la situation dans les semaines à venir. Si les Turcs en profitent pour vraiment attaquer le Rojava, alors ce qui est à craindre, c’est la mort de ces enfants. Si les rebelles, qui viennent quand même de l’État islamique et d’Al-Qaïda, vont jusque là-bas, que vont-ils faire de ces enfants ? Les enrôler ? Ce qui est à craindre, c’est qu’on perde leur trace. Comme tant d’enfants qui se trouvaient au camp de réfugiés d’Al-Hol et qui ont disparu lorsqu’il y a eu des évasions. Encore une fois, pour des impératifs humanitaires et sécuritaires, il faut les rapatrier tout de suite.

La chute du régime d’Assad peut-elle changer la donne ?

Elle le doit ! On veut que toutes ces femmes et ces enfants se retrouvent dispersés en Syrie et qu’on perde leur trace ? Il s’agit d’une question sécuritaire. Même les associations de victimes du terrorisme demandent ces rapatriements depuis des années et nous aident. Il est question de jeunes majeurs et de mineurs, qui n’ont rien demandé, qui ont été emmenés à 8 ou 10 ans par leurs parents, et qui sont en train de souffrir le martyre dans des centres de réhabilitation, comme le centre Orkesh (tenu par les Kurdes), coupés de leur famille… Il faut se rendre compte : la France a oublié, en rapatriant une mère et ses enfants, l’aîné de la fratrie qui est toujours au centre Orkesh ! Il y a encore quinze jours, la Russie a rapatrié des dizaines et des dizaines d’enfants. Donc ce n’est pas compliqué. En ne rapatriant pas ces enfants, la France ne respecte pas le droit international, ni l’arrêt de la Cour européenne qui l’a condamnée. Avec le Collectif des familles unies, nous faisons pression, nous écrivons au Quai d’Orsay, à l’Élysée… On ne fait que ça. Aucune réponse. Il faut les sauver maintenant, et vite.

« Ces hommes et femmes nés et radicalisés en France doivent répondre pénalement de leur responsabilité sur le sol français »

Un collectif de victimes des attentats d’avocats de Français détenus en Irak ou victimes du terrorisme demandent dans une tribune au « Monde » aux autorités françaises de rapatrier 14 prisonniers pour assurer leur jugement dans l’Hexagone.

TRIBUNE du journal Le Monde par le Collectif. Publié le 26 novembre 2024 à 16h00, modifié le 26 novembre 2024 à 18h24 

Depuis des années, deux femmes et douze hommes français, poursuivis en France pour association de malfaiteurs à caractère terroriste, sont emprisonnés en Irak. Tous ont été condamnés entre 2017 et 2019 à la peine de mort (commuée en réclusion criminelle à perpétuité) ou à vingt ans d’emprisonnement, après des simulacres de procès inéquitables, au mépris des droits les plus élémentaires de la défense.

Les enfants des deux femmes françaises ont été emprisonnés avec leurs mères, avant d’être rapatriés sans elles en France. Depuis, ils n’ont plus jamais entendu la voix de leurs mères, ni reçu la moindre nouvelle d’elles. Les conditions de détention de ces quatorze ressortissants français équivalent à des traitements inhumains et dégradants.

Les hommes survivent dans des cellules de moins de 100 mètres carrés où s’entassent plus de 130 prisonniers, ils manquent d’eau, de nourriture, et ne bénéficient d’aucun soin ni d’aucun traitement. Les femmes n’ont droit à rien : ni stylo, ni papier, ni livre, ni télévision. Elles aussi sont entassées dans des cellules délabrées, sans accès aux soins les plus sommaires, et sont régulièrement humiliées et maltraitées.

Cette histoire judiciaire est notre histoire

Depuis leur départ et leur arrivée en Syrie ou en Irak, soit depuis dix ans au moins, des juges d’instruction antiterroristes français instruisent leurs dossiers. Tous ont délivré des mandats d’arrêt internationaux à leur encontre, dans le cadre d’informations judiciaires criminelles en souffrance du fait de leur absence et de leur incarcération en Irak. Des procès doivent se tenir en France

Ces hommes et ces femmes sont nés, ont grandi et se sont radicalisés en France, avant de rejoindre une organisation terroriste qui a elle-même fomenté des attentats perpétrés en France. C’est donc sur le sol français qu’ils doivent répondre pénalement de leur responsabilité. Les autorités irakiennes ont clairement émis le souhait de voir ces détenus transférés dans leur pays et ont même lancé des démarches à cette fin. Elles se heurtent toutefois au silence des autorités françaises.

Nous, victimes des attentats, avocats de ces Français détenus en Irak, avocats de victimes du terrorisme, viscéralement attachés à l’Etat de droit et à la nécessité que des procès se tiennent en France, demandons officiellement aux autorités françaises de transférer ces hommes et ces femmes sur le territoire français afin qu’ils y répondent de leurs actes.

Aucune vérité ne peut découler de procès arbitraires, qui plus est en l’absence des victimes, aucune peine juste ne saurait être prononcée à l’issue de traitements inhumains et dégradants. Aussi, des procès justes et équitables doivent-ils se tenir en France. Parce que cette histoire judiciaire est notre histoire.


Les djihadistes français détenus en Irak souhaitent purger leur peine en France

Détenus dans des conditions épouvantables, quatorze Français, douze hommes et deux femmes, tous condamnés pour appartenance à l’Etat islamique, demandent leur rapatriement. 

Par Christophe Ayad du Monde Publié le 07 octobre 2024 à 05h30, modifié le 07 octobre 2024 

La djihadiste française Mélina Boughedir, au tribunal de Bagdad, le 19 février 2018. Elle est désormais détenue à la prison d’Al-Russafa, dans la capitale irakienne.  STRINGER / AFP

Quatorze Français djihadistes sont détenus dans les prisons irakiennes, douze hommes et deux femmes. Arrêtés par les forces arabo-kurdes en 2017 ou 2018 en Syrie, les hommes, tous des combattants de l’organisation Etat islamique (EI), avaient été transférés en Irak en vertu d’un accord secret passé avec Bagdad par Jean-Yves Le Drian, alors ministre des affaires étrangères, et critiqué par la rapporteuse spéciale de l’ONU pour les droits de l’homme. Les femmes avaient, pour leur part, été arrêtées par l’armée irakienne pendant la bataille de Mossoul, où elles résidaient avec leur mari membre de l’EI.

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Une fois à Bagdad, les hommes ont été incarcérés, jugés et condamnés à mort pour participation à une organisation terroriste, suscitant l’embarras de Paris. Les procès, qui se sont tenus en mai et juin 2019, n’avaient duré qu’une demi-heure, sans avocat ni traducteur. Les accusés, qui avaient souligné n’avoir jamais combattu en Irak mais plutôt en Syrie, avaient également fait état de torture. A l’époque, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, avait déclaré que Paris ne contestait pas « l’équité de ces procès » qui se sont tenus « dans de bonnes conditions avec une défense présente ». La Cour suprême fédérale d’Irak a fini par commuer les peines capitales en prison à vie, en juin 2023. Mais leurs conditions de détention posent problème et ils demandent aujourd’hui leur rapatriement afin de purger leur peine en France.

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Depuis 2019, ces Français, à l’exception de l’un d’entre eux, incarcéré à Nassiriya, dans le sud de l’Irak, sont détenus à la prison d’Al-Russafa, dans la capitale irakienne. C’est aussi le cas des deux Françaises, Djamila Boutoutaou et Mélina Boughedir, condamnées à vingt ans de réclusion en 2018. Aussi graves soient les crimes qu’ils aient pu commettre, leurs conditions de détention y sont épouvantables et indignes, selon quatre avocats français qui ont pu visiter leurs clients, à deux reprises ces douze derniers mois, dans leur prison de Bagdad – une première fois du 29 septembre au 3 octobre 2023, puis du 20 au 21 février 2024. Mes Matthieu Bagard, Marie Dosé, Chirine Heydari-Malayeri et Richard Sédillot ont rédigé, à l’attention des autorités françaises, deux mémorandums approfondis que Le Monde a pu consulter.

Nourriture avariée

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Dans la prison pour hommes, les avocats ont pu rendre visite à cinq détenus français dont ils sont les conseils. Quatre d’entre eux sont parqués dans une cellule qui compte 108 à 123 prisonniers, selon les périodes, pour 100 mètres carrés. Il est impossible aux détenus de s’asseoir par terre tous ensemble. Ils dorment sur des matelas sales posés à même le sol, sur le côté et à plusieurs pour pouvoir s’allonger. Le climatiseur de la cellule étant en panne, les gardiens ont demandé aux prisonniers de se cotiser pour en racheter un neuf.

Le récit livré par les avocats dans leur mémorandum est édifiant. La douche, les toilettes et la kitchenette de la cellule, qui pullule de cafards, sont côte à côte, séparées par un simple rideau. Il faut donner quelque chose au détenu qui fait office de chef de cellule pour pouvoir prendre une douche. Pour accéder aux deux toilettes à la turque la nuit, les détenus doivent piétiner leurs congénères. Il n’existe aucun système de lingerie. La gale est courante, la nourriture souvent avariée et insuffisante. Le médecin de la prison ne prescrit que du paracétamol ou des antibiotiques, quelle que soit la maladie.

Sous-alimenté, Léonard Lopez souffre d’une dystrophie et voit les muscles de son dos et de sa poitrine fondre. Il lui est interdit, comme aux autres, de pratiquer la moindre activité s’apparentant à du sport, y compris pendant les promenades, qui se limitent à une vingtaine de minutes une ou deux fois par semaine. Karam El Harchaoui souffre d’un scotome (taches noires dans le champ visuel) et Vianney Ouraghi d’asthme. L’un des détenus français s’est arraché deux dents avec un fil de fer, faute de dentiste. Il arrive que des détenus meurent en cellule.

Les djihadistes français partagent leur cellule avec des miliciens chiites irakiens, qui leur sont farouchement hostiles. Les bagarres, violences entre détenus et agressions sexuelles sont fréquentes. En cas de conflit, les gardiens prennent le parti des chiites, souvent leurs coreligionnaires, écrivent les avocats. En cellule, une télévision allumée en permanence déverse de la propagande religieuse chiite de 8 heures à 23 heures. Les livres sont interdits.
Plainte contre X

Plainte contre X

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Dans la prison des femmes, femmes et enfants sont détenus tous ensemble. Les enfants sont régulièrement frappés et insultés par les gardiens, selon les constatations des avocats, et doivent participer aux tâches ménagères comme le transport de nourriture. Ils n’ont accès à aucune éducation. Djamila Boutoutaou n’a plus aucune nouvelle depuis quatre ans de sa fille rapatriée en France, malgré une décision du tribunal des enfants de Bobigny l’autorisant à garder le contact avec l’enfant, aujourd’hui âgée de 8 ans. Malade, Mme Boutoutaou pèse aujourd’hui 120 kilos sans prendre plus d’un repas par jour. Sa santé est en grave danger. La seule distraction autorisée est la lecture du Coran en arabe. Les agressions sexuelles commises par le personnel pénitentiaire sont monnaie courante.

Les communications téléphoniques des détenus français avec leur famille et leurs avocats ne sont possibles que depuis peu. Les dons des familles (médicaments, livres, vêtements, nourriture, etc.) sont souvent saisis par les gardiens ou la direction de la prison.

« Tous les détenus rencontrés portent les stigmates des violences commises, qu’elles soient de nature physique, psychologique ou sexuelle, subies quotidiennement depuis des années. (…) On peut considérer que leur état physique et psychique est particulièrement inquiétant, et qu’aucun des soins que cet état exige n’est prodigué », résume le mémorandum.

Djamila Boutoutaou, Vianney Ouraghi et Brahim Nejara ont déposé plainte en France contre X, par le biais de leurs avocats, pour « actes de torture et de barbarie », ainsi que pour « séquestration arbitraire ». C’est aussi le cas de Léonard Lopez, Yassine Sakkam et Karam El Harchaoui. Des demandes de transfèrement ont été effectuées par tous les détenus représentés durant les douze derniers mois. Mais le ministère de la justice a fait savoir aux avocats que la demande devait émaner des autorités irakiennes. En septembre, les détenus se sont vu proposer par les autorités irakiennes de signer un texte en arabe demandant leur rapatriement en France, où ils purgeraient le reste de leur peine.

Statut de témoin assisté

Ces détenus djihadistes français sont tous poursuivis en France dans le cadre d’autres procédures pour terrorisme. Leurs avocats, pour pouvoir les rencontrer, doivent obtenir un permis du ministère irakien de la justice − et du ministère de l’intérieur, dans le cas de Mme Boutoutaou. Les avocats des hommes « n’ont pas pu préparer leur défense dans des conditions garantissant la confidentialité de leurs échanges », mentionne le mémorandum. Tous les entretiens se sont déroulés en même temps, dans le bureau du directeur de la prison, en présence d’une agente pénitentiaire et d’un membre des services de renseignement. Dans la prison des femmes, Me Marie Dosé, l’avocate de Djamila Boutoutaou, a rencontré sa cliente en présence de la directrice de l’établissement pénitentiaire et de quatre hommes.

A la deuxième visite en Irak, les avocats des hommes n’ont pas eu le droit de prendre ni papier ni stylo lors des entretiens. Quant à l’avocate défendant Djamila Boutoutaou, Me Dosé, elle a subi une fouille s’apparentant à une agression sexuelle.

De manière surprenante, soulignent les avocats, un juge d’instruction antiterroriste français a pris l’initiative de venir à Bagdad interroger un détenu français, Fodil Tahar Aouidate, sous le statut de témoin assisté, alors qu’il est pourtant sous le coup d’un mandat d’arrêt pour la même procédure. Ce dernier n’ayant pas d’avocat français, le juge a fait appel à un avocat commis d’office de la conférence, qui a accepté de l’accompagner lors de son transport à Bagdad, du 5 au 8 décembre 2023. Fodil Tahar Aouidate a été entendu dans le bureau du premier président de la cour d’appel de Bagdad en présence d’une demi-douzaine de personnes, dont l’officier de sécurité qui l’avait interrogé et torturé à son arrivée en Irak, a-t-il fait savoir à ses autres codétenus, qui l’ont transmis à la délégation des avocats français.

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Sur le papier, rien ne s’oppose à l’exécution de cette commission rogatoire internationale, mais les conditions de l’audition par le juge et de détention du « témoin » − identique à celles des autres Français rencontrés par la délégation de quatre avocats − ne manquent pas d’interroger. « Je trouve déplorable que les magistrats instructeurs se déplacent jusqu’en Irak pour entendre, sous un statut parfaitement inadapté, celui de témoin assisté, des ressortissants français qui sont sous le coup d’un mandat d’arrêt international et qui sont détenus dans des conditions qui ne permettent pas d’être interrogés dans le respect de nos principes fondamentaux », s’insurge Me Marie Dosé.

Ce statut de témoin assisté permet de préserver les droits de la personne entendue à l’étranger, explique une source proche du dossier. Une autre audition de la même sorte par une juge antiterroriste est prévue dans les semaines à venir à Bagdad.

Rectificatif le 7 octobre à 15 h 07 : correction du nombre de djihadistes français détenus en Irak et du nombre de ceux ayant déposé plainte en France, ainsi que de leurs dates d’arrestation.

Christophe Ayad

120 enfants et une cinquantaine de femmes djihadistes françaises toujours détenus dans le Nord-Est syrien

Les mères restant en Syrie refusent d’être rapatriées. Mais le sort de leurs enfants, de plus en plus grands, inquiète. Des grands-parents demandent leur retour en France. 

Par Christophe Ayad du Monde, publié le 07 octobre 2024 à 14h00

Une Française, épouse d’un djihadiste français, et quatre de leurs cinq enfants, dans une zone de contrôle de la province syrienne de Deir ez-Zor, après avoir fui l’ancien bastion EI de Baghouz, le 5 mars 2019.  DELIL SOULEIMAN / AFP

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Malgré les opérations massives de rapatriement opérées en 2022 et en 2023, il reste 120 enfants et leurs mères djihadistes françaises dans les camps de détention kurdes du Nord-Est syrien. C’est un nombre considérable, d’autant qu’au fil des années, les enfants grandissent et deviennent des adolescents, voire de jeunes adultes. « La France conditionne aujourd’hui toute opération de rapatriement à la formulation de demandes explicites de ces femmes qui ne peuvent ou ne veulent pas », explique Me Marie Dosé, qui milite depuis des années pour un rapatriement de tous les enfants de djihadistes français détenus en Syrie.

L’avocate estime que leur situation actuelle est une punition pour des crimes commis par leurs parents et qu’en les abandonnant à leur sort, dans des camps gardés par les forces kurdes dans le nord de la Syrie, on encourage leur radicalisation précoce sous l’influence de mères jusqu’au-boutistes. Me Dosé, mandatée par le Conseil national des barreaux, et Me Matthieu Bagard, coprésident d’Avocats sans frontières France, ont organisé, pour la deuxième fois en 2024, un voyage sur place, fin août, avec une délégation de sept grands-parents de ces enfants.

Selon l’avocate, la cinquantaine de femmes ayant refusé tout rapatriement à ce jour se divise en deux groupes, « celles qui restent très radicalisées et celles qui ont peur, soit des autres femmes, soit d’être séparées de leurs enfants à l’arrivée en France »« Ce que j’observe au fil du temps qui passe, c’est la situation changer et se dégrader pour ces enfants », explique Me Bagard.

« Ils souffrent et dépérissent »

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Pour les grands-parents, qui ont témoigné anonymement lors d’une conférence de presse organisée en septembre au cabinet parisien des deux avocats, il s’agissait parfois de la toute première réunion avec leur fille depuis son départ pour la Syrie au milieu des années 2010. Ces grands-parents, membres du Collectif des familles unies, demandent le rapatriement des enfants. Pour Laurent (le prénom a été modifié), « ces retrouvailles auraient dû se passer en France et non pas dans un camp sordideNos petits-enfants se projettent en France. Ils ont envie de rentrer, c’est évident ». « Ce fut tout à la fois une immense joie [de les retrouver] et un déchirement de devoir quitter nos petits-enfants et de les laisser derrière nous, dans ce camp [de Roj], où ils souffrent et dépérissent depuis six ans, sans protection, sans école et sans soins », écrit le collectif dans son communiqué.

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https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/10/07/120-enfants-et-une-cinquantaine-de-femmes-djihadistes-francaises-toujours-detenus-dans-le-nord-est-syrien_6345991_3224.html

Les plus âgés des garçons, entre 12 et 14 ans, sont transférés par les autorités autonomes kurdes dans les centres de réhabilitation d’Orkesh et de Houri, ainsi que dans la prison d’Alaya. La délégation a pu rencontrer cinq jeunes majeurs et un mineur français qui y sont incarcérés. « Leur état de santé est catastrophique, les rapatrier est une question de vie ou de mort », a alerté Me Dosé.

« Le projet de l’administration [kurde] du nord-est de la Syrie est d’extraire tous les garçons de plus de 12 ans (…) des camps d’Al-Hol et de Roj pour les interner dans ces centres de réhabilitation avant de les incarcérer dans une prison pour adultes. Un projet qui implique que de jeunes garçons, contre lesquels aucune procédure judiciaire n’est engagée en Syrie et dont la plupart sont arrivés dans le camp très jeunes, soient condamnés à une détention arbitraire sans fin », explique le communiqué du Collectif des familles unies.

La France a cessé, à l’été 2023, les rapatriements collectifs, après avoir mené quatre opérations en un an ayant permis de faire revenir 57 femmes et 169 mineurs. « Ces enfants sont des victimes, pas des bourreaux. Cette situation ubuesque sera une tache indélébile pour la France. C’est la honte de la France. Le temps limite est arrivé », a fustigé Patrick Baudouin, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, lors de la conférence de presse.

Actuellement, 364 enfants rapatriés de Syrie sont suivis par des juges pour enfants en France. Ils « ne posent aucune difficulté particulière », selon le procureur national antiterroriste, Olivier Christen, interrogé en septembre par Franceinfo.

Christophe Ayad