NOUVELLE MISSION DANS LE NORD-EST DE LA SYRIE : RENCONTRES AVEC LES ENFANTS FRANÇAIS PRISONNIERS  :

Communiqué de presse du 18/09/24

Camp de prisonniers Roj, centres Orkesh et Houri, prison Alaya

Sept grands-parents, tous membres du Collectif des Familles Unies, se sont rendus à la fin du mois d’août dans le Nord-Est de la Syrie, pour rencontrer leurs petits-enfants détenus dans le camp de prisonniers Roj, les centres de « réhabilitation » Orkesh et Houri, et la prison d’Alaya. Ils étaient accompagnés par Me Matthieu Bagard, co-président de Avocats sans frontières France, et Me Marie Dosé, mandatée par le Conseil National des Barreaux.

C’est la deuxième visite cette année d’une délégation française de familles et d’avocats dans le Nord-Est de la Syrie : en février dernier, Me Dosé et Me Bagard, accompagnés de deux représentants du Collectif des Familles Unies, avait pu avoir accès au camp Roj, où ils avaient rencontré des enfants et des femmes françaises, et au centre Orkesh, où quatre jeunes français leur avaient exprimé leur désespoir et leur désir d’être rapatriés. Cette mission a également été l’occasion de retrouvailles entre des enfants français et leurs grands-parents.


En février, notre délégation composée de quatre personnes avait pu circuler librement dans le camp et entrer dans les tentes. Cette fois-ci, les rencontres ont eu lieu dans les locaux de l’administration. Des grands-parents ont pu serrer dans leurs bras des petits-enfants qu’ils ne connaissaient pas ou qu’ils n’avaient pas vus depuis des années. Nous avons eu accès au camp deux jours de suite, et avons longuement échangé avec nos petits-enfants et leurs mères. Nous avons évoqué leurs conditions de vie misérables et répondu à leurs questions sur leur avenir, leur famille, leur pays… Nous avons dialogué, non seulement avec nos familles, mais avec d’autres femmes françaises du camp, venues nous parler ou interroger Mes Dosé et Bagard sur les conditions d’accueil en France. Ce fut tout à la fois une immense joie et un déchirement de devoir quitter nos petits-enfants et de les laisser derrière nous, dans ce camp, où ils souffrent et dépérissent depuis six ans, sans protection, sans école et sans soins.

Le troisième jour, nous sommes rentrés dans les centres Orkesh et Houri et dans la prison d’Alaya pour rencontrer les mineurs et jeunes majeurs français qui y sont incarcérés. Nous avons rencontré des jeunes français blessés (certains très sérieusement), malades, épuisés, qui ne comprennent pas pourquoi leur pays les abandonne dans ces centres de détention et ces prisons où ils errent sans but depuis qu’ils ont douze, treize ou quatorze ans. Le plus jeune d’entre eux a 15 ans. Il a été arraché à sa mère, ses frères et sœurs il y a un an et demi dans le camp Roj. Un autre est détenu seul dans le centre Houri depuis six ans. Un troisième, oublié par le quai d’Orsay, a vu toute sa famille rapatriée en France sans lui. Un quatrième a tenté de se suicider dans sa cellule avant d’être sauvé in extremis par un prisonnier syrien. L’avenir de ces jeunes français, nous ont confirmé les responsables kurdes, est soit un rapatriement en France, soit la prison en Syrie sans aucune certitude qu’ils en sortent un jour. Le projet de l’Administration du Nord-Est de la Syrie est d’extraire tous les garçons de plus de 12 ans – que leur pays ne rapatrierait pas – des camps Al-Hol et Roj pour les interner dans ces centres de « réhabilitation » avant de les incarcérer dans une prison pour adultes. Un projet qui implique que de jeunes garçons, contre lesquels aucune procédure judiciaire n’est engagée en Syrie et dont la plupart sont arrivés dans les camps très jeunes, soient condamnés à une détention arbitraire sans fin. Tous ces garçons nous ont suppliés, ont supplié les avocats de les sortir de cet enfer.

Nous avons quitté la Syrie avec un sentiment d’amertume et de profonde tristesse. Comment un Etat de droit comme la France, qui se proclame le pays des droits de l’homme, peut-il abandonner ses enfants dans des conditions pareilles ? Comment peut-on accepter qu’on punisse des enfants innocents pour des faits qu’ils n’ont pas commis ? 

En 2019, tout était prêt pour rapatrier tout le monde, adultes et enfants. Puis le pouvoir politique a lâchement renoncé. D’abord, on n’a rapatrié personne en avançant des raisons plus fallacieuses les unes que les autres, puis les orphelins uniquement (et notamment une petite orpheline dont la mère est morte dans le camp, sous ses yeux), puis les enfants sans leurs mères… De 2019 à 2022, 35 enfants seulement ont été rapatriés.

Enfin, après les condamnations de la France par les comités onusiens et la Cour Européenne des droits de l’homme, 134 enfants et leurs mères ont été rapatriés de juillet 2022 à juillet 2023. 

Depuis juillet 2023, rien. L’Etat français a laissé sur place, dans le camp de prisonniers Roj, une cinquantaine de femmes et environ 120 enfants (la responsable kurde de la sécurité du camp Roj nous a confirmé qu’il restait cinquante familles françaises dans le camp), au prétexte que les femmes qui restaient n’avaient pas accepté le rapatriement, et qu’elles conservaient l’autorité parentale sur leurs enfants. Aucune autre opération de rapatriement n’était donc envisagée, et l’on pouvait, en toute quiétude, abandonner une centaine d’enfants français à un emprisonnement sans fin dans des conditions épouvantables.

Grands-parents, qui se sont rendus à la fin du mois d’août dans le Nord-Est de la Syrie, dans le camp de prisonniers Roj et des centres de « réhabilitation » Orkesh et Houri, et la prison d’Alaya, accompagnés par Me Matthieu Bagard, d’Avocats sans frontières France, et Me Marie Dosé, mandatée par le Conseil National des Barreaux.

L’Etat français oublie que ces femmes et ces enfants sont prisonniers des Forces Démocratiques Syriennes, qui sont membres de la Coalition contre Daech, dirigée par les Etats-Unis, et dont la France fait partie.

L’Etat français oublie que les Forces Démocratiques Syriennes demandent expressément aux pays étrangers de rapatrier leurs ressortissants, et considèrent que ces pays doivent assumer la responsabilité de leurs citoyens détenus.

L’Etat français oublie que toutes les femmes françaises détenues dans le camp Roj font l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par des juges français qui travaillent depuis dix ans sur leurs dossiers d’instruction.

L’Etat français oublie que ces enfants subissent une détention arbitraire, dénoncée par les Rapporteurs des Nations Unies, la Commission d’enquête des Nations Unies sur la Syrie, les organisations internationales des droits humains. 

L’Etat français oublie que cette détention arbitraire est susceptible de constituer un crime de guerre, que la France est signataire de la Convention des droits l’enfant qui précise dans son article 37 : « Les Etats parties veillent à ce que (…) nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale et arbitraire. » 

L’Etat français oublie que le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, le Comité contre la Torture des Nations Unies, et la Cour Européenne des droits de l’homme ont jugé que les conditions de détention des enfants dans les camps syriens sont totalement contraires à l’intérêt supérieur des enfants, constituent des traitements inhumains et dégradants, et portent atteinte à leur droit à la vie.

L’Etat français oublie que l’intérêt supérieur de l’enfant (qui n’est pas de survivre en détention dans un camp sordide) doit prévaloir sur l’avis d’une mère toujours radicalisée, ou terrorisée par la perspective de devoir se séparer de ses enfants avec lesquels elle a vécu en osmose forcée durant dans d’années.

L’Etat français oublie que la protection de l’enfance, dans tous les cas de figure, est un devoir absolu, et que la diplomatie française a fait de la protection de l’enfance dans les conflits armés une « priorité absolue » (et si peu respectée…)

L’Etat français oublie que la France peut trouver une solution globale pour ramener TOUS ces enfants et leurs mères en France, et respecter ainsi le droit international, les droits de l’enfant, nos principes et nos valeurs. Des solutions existent, les autorités françaises les connaissent, les autorités kurdes sont prêtes à collaborer et à participer à une solution globale de rapatriement, qui mettrait fin à l’une des pages les plus honteuses de notre histoire.

***

Notre Collectif, après cette mission, demande solennellement et de nouveau au Président de la République et au gouvernement français de rapatrier les ressortissants français détenus dans le Nord-Est de la Syrie et en Irak, en particulier les enfants détenus dans le camp Roj et les garçons détenus dans les centres et prison Orkesh, Houri et Alaya. Les adultes doivent être jugés en France, où le Parquet National Antiterroriste, les magistrats instructeurs antiterroristes et les associations de défense des victimes du terrorisme les réclament. 

Après tant d’années, ces enfants doivent être enfin libérés et rentrer chez eux. C’est une question de dignité.

Nous remercions l’Administration Autonome du Nord et de l’Est de la Syrie pour avoir autorisé ces visites.

Le 18 septembre 2024.

Le Collectif des Familles Unies

Roubaix : la justice annule l’expulsion d’une jeune femme rentrée de Syrie après y avoir été emmenée et mariée de force

par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille pour Libération

publié le 7 mai 2024 à 18h44

L’ancien préfet du Nord Georges-Francois Leclerc qui avait demandé l’expulsion de la jeune femme et Marie Dosé, l’avocate de la plaignante menacée d’expulsion. (Sameer Al-Doumy. Thomas Samson/AFP)

Suspendu par la justice dès sa publication en octobre, l’arrêté d’expulsion de la jeune femme de 25 ans emmenée en Syrie par sa mère radicalisée il y a dix ans a été annulé, a-t-on appris ce mardi 7 mai.

Sana (1), 25 ans aujourd’hui, emmenée et mariée de force en Syrie à 15 ans, peut enfin espérer reprendre une vie normale. Le tribunal administratif de Lille a annulé ce vendredi 3 mai la procédure d’expulsion intentée à son encontre par la préfecture du Nord, dans un jugement rendu public ce mardi 7 mai. «Je suis soulagée, réagit son avocate, Me Marie Dosémais c’est un immense gâchis et une perte de temps considérable.»

Elle le rappelle, Sana est entrée sur le territoire français en juillet 2023, après avoir réussi à sortir du camp syrien de Al-Roj, avec ses deux petites filles, et est depuis considérée en situation irrégulière. «Elle n’a pas pu commencer à travailler, pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses filles. Celles-ci ont été placées, même si elle les voit toutes les semaines, et que tous les rapports la décrivent comme une excellente mère», raconte l’avocate, qui déplore : «Elle a très mal vécu d’être une charge pour l’Etat français.»

Sana a choisi de vivre dans le Nord car c’est là où elle a grandi, à Roubaix, avec une mère algérienne radicalisée qui lui a refusé l’accès à la nationalité française. Elle avait alors 13 ans. «C’est à ce moment-là que sa mère la déscolarise, l’envoile et lui interdit de sortir», précise Marie Dosé.

«Ma cliente a survécu à cette violence administrative»

L’avocate a du mal à comprendre l’obstination préfectorale dans cette affaire : l’ancien préfet du Nord, Georges-François Leclerc, aujourd’hui directeur de cabinet de Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, avait défendu sa position en personne devant la Commission d’expulsion des étrangers. Une implication rarissime. Celle-ci n’avait pas cillé et avait émis un avis défavorable à l’expulsion. Comme il n’était que consultatif, le préfet était passé outre en publiant l’arrêté le 10 octobre 2023, aussitôt suspendu par le tribunal administratif de Lille.

Déjà, à cette époque, celui-ci estimait qu’un doute sérieux concernait la menace que représenterait Sana, qui justifierait son obligation de quitter le territoire français. «On aurait pu croire qu’avec un nouveau préfet, des écrits de la Défenseure des droits en notre faveur, ils auraient lâché, soupire Marie Dosé. Pas du tout. L’avocate de la préfecture a soutenu à l’audience que quand ces femmes provenant de Syrie arrivent en France, on ne sait pas qui elles sont et qu’il est normal qu’on ne prenne pas de risques.»

Un principe de précaution que n’a pas suivi le tribunal administratif. Il souligne dans son jugement : «Si elle n’a pas condamné expressément l’organisation terroriste auprès de laquelle elle a vécu plusieurs années, elle a, à de nombreuses reprises, pris ses distances et exprimé son hostilité à l’égard de son milieu d’origine et de cette période de sa vie.» Il rajoute : «Il ne ressort d’aucune pièce du dossier qu’elle entretiendrait d’autres relations, depuis son retour en France, avec des personnes membres de l’Etat islamique ou proches de ce mouvement.» La préfecture, contactée, n’a pas commenté pas cette décision. Marie Dosé, l’avocate de Sana, conclut : «Ma cliente a survécu à cette violence administrative. Mais ses enfants et elle avaient besoin de tout, sauf de cela.»

(1) Le prénom a été modifié.

«Envoyé spécial» sur les enfants de jihadistes français : «Je ne suis pas un monstre, je ne suis pas un vampire»

A voir sur France 2

Dans le remarquable documentaire «Fils de jihadistes : l’impossible retour ?», diffusé jeudi 11 avril sur France 2, quatre jeunes détenus d’une prison du nord-est syrien racontent leur parcours et leur vie depuis la chute du «califat» de Daech.
Dans le camp de Roj (nord-est de la Syrie), où sont détenus des proches de jihadistes, le 8 octobre. (Delil Souleiman /AFP)

par Luc Mathieu , Libération du 10/04/24

Ils avaient 9 ans, ou à peine 10, lorsque leurs parents français les ont emmenés en Syrie. C’était aux alentours de 2015, lorsque l’Etat islamique venait de déclarer son «califat» et attirait des milliers de jihadistes étrangers. Adem, Youssef, Elias et Hamza sont aujourd’hui détenus dans le centre de réhabilitation d’Orkesh, à côté de Qamichli, dans le nord-est syrien. C’est dans cette prison que les journalistes Guillaume Lhotellier et Chris Huby ont pu, après des années de négociations avec les autorités kurdes, les filmer pour la première fois à visage découvert. En a résulté un remarquable documentaire, Fils de jihadistes : l’impossible retour ? – sobre et précis, sans emphase ni jugement –, qui permet de retracer leur parcours et d’entendre ces quatre jeunes que les autorités françaises aimeraient bien oublier en Syrie.

Les quatre Français ont aujourd’hui une vingtaine d’années et disent leur épuisement. Adem est l’un des fils de Fabien Clain, l’un des jihadistes français les plus dangereux, responsable entre autres de la propagande du groupe et qui a revendiqué les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis. Fabien Clain est mort à Al-Baghouz, là où s’est joué début 2019 la dernière bataille entre l’EI et les forces kurdes et occidentales. Son fils a survécu mais a été blessé gravement à une jambe, mal soignée. Hamza a des éclats d’obus dans la tête. La médecin qui l’ausculte dit qu’il aurait besoin de cinq opérations chirurgicales mais qu’ils ne peuvent pas les pratiquer en Syrie. Youssef, blessé à Al-Baghouz, raconte qu’il a «la mémoire cassée» et des idées suicidaires.

Ils blâment leurs parents qui les ont emmenés en Syrie sans rien leur demander, ni les prévenir. «J’en veux à mon père. Il a ramené d’autres [Français] qui n’ont pas survécu», dit Adem. Il affirme n’avoir jamais combattu ou tenu une arme. Hamza, lui, a été l’un de ces «lionceaux du califat», ces enfants et adolescents de 9 à 15 ans qui ont nourri la propagande de Daech et parfois participé à des combats. «J’espère que je n’ai tué personne mais je n’en sais rien, dit-il. Ce n’est pas un jeu la guerre, ce n’est pas comme sur un téléphone où quand tu perds tu peux recommencer. Là, si tu perds, tu ne reviens pas.»

Ils vivent désormais «en dehors du monde», enfermés 16 heures par jour, sans radio ni accès à Internet. «J’ai l’impression d’être en mode “pause”, j’attends que quelqu’un appuie sur “lecture” pour commencer ma vie», dit Adem. Ils suivent des cours de maths, d’arabe et d’anglais, dispensés par des femmes non voilées. L’une des professeures explique qu’ils font des progrès, que l’idée n’est pas de les confronter frontalement à leur idéologie, mais qu’ils s’en distancient par eux-mêmes.

Depuis leur prison, les quatre Français comprennent la peur et le rejet qu’ils peuvent engendrer dans leur pays d’origine, tout en refusant d’être assimilés à leurs parents, le plus souvent morts, et à l’idéologie de ces derniers. «Je ne suis pas un monstre, je ne suis pas un vampire, je n’ai pas envie de ça», dit Youssef.«Nous sommes quatre gamins qui demandent à rentrer dans notre pays»,résume Adem.

Plusieurs dizaines de jeunes, originaires d’une vingtaine de pays, sont aujourd’hui détenus à Orkesh. Le responsable du centre se plaint de la faiblesse des financements des pays étrangers. Il craint que l’EI, toujours actif en Syrie, attaque la prison.

Enfants de jihadistes en Syrie : «Ils n’ont rien choisi et pourtant ils se retrouvent là, loin de leur pays, blessés et gravement malades»

Interview par  Luc Mathieu / Libération du 4 mars 2024

Les avocats Marie Dosé et Matthieu Bagard ont accompagné des représentants du Collectif des familles unies en Syrie auprès de femmes et d’enfants de jihadistes qui n’ont toujours pas été rapatriés par la France. Ils alertent sur leur situation qui se dégrade.

Au camp de Roj, dans lequel sont regroupées des familles de jihadistes, dans le nord-est de la Syrie, le 8 octobre 2023. (Delil Souleiman/AFP)

Malgré plusieurs condamnations, notamment par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, la France refuse de rapatrier les enfants et leurs mères qui sont toujours détenus dans les camps pour familles de jihadistes de l’Etat islamique du nord-est de la Syrie. Pour la première fois, l’avocate Marie Dosé et le coprésident de l’association Avocats sans frontières Matthieu Bagard se sont rendus avec des représentants du Collectif des familles unies dans celui de Roj et dans le centre d’Orkech, où sont détenus au moins quatre adolescents français. Selon nos informations, des agents de la DGSI ont interrogé ces quatre Français à deux reprises, dont la dernière fois en janvier 2023. Ils leur avaient alors assuré qu’ils seraient rapatriés.

Quelle est la situation humanitaire dans le camp de Roj ?

Marie Dosé : Il reste un peu plus d’une centaine d’enfants français et une quarantaine de mères. Le camp de Roj, c’est de la terre, de la poussière, et des tentes à perte de vue. Rien d’autre.

Matthieu Bagard : Et il n’y a plus d’électricité depuis plus d’un mois, à cause des bombardements turcs. La situation humanitaire est catastrophique.

Dans quel état les enfants sont-ils ? Demandent-ils à rentrer en France ?

M.D. : Les enfants ne nous ont pas quittés un seul instant, et il n’était pas sorcier de voir combien nous représentions pour eux une incroyable attraction, dans un quotidien vide d’absolument tout. Ils posent énormément de questions sur la France, sur leurs copains rapatriés, sur notre mode de vie. Ça a été très compliqué de les laisser…

M.B. : Ils étaient très joyeux, heureux de rencontrer enfin des Français. Leurs mères nous ont laissés discuter librement avec eux pendant des heures. En revanche, la plupart sont maigres et visiblement carencés. Certains ont besoin de soins, notamment dentaires, de toute urgence.

Y a-t-il encore des orphelins dans le camp ?

M.D. : A notre connaissance, un seul orphelin n’a pas été rapatrié. Sa grand-mère, qui vit elle aussi dans le camp, ne veut pas qu’il le soit.

Est-il vrai, comme l’affirme le gouvernement français, que les mères encore présentes refusent de rentrer en France ? Comment se justifient-elles ?

M.D. : Ce fut une de mes plus grosses surprises, lors de cette mission : l’accueil que nous ont réservé ces femmes. Nous ne les avons pas vues toutes, certes, mais nous avons échangé avec beaucoup d’entre elles. Je m’attendais à de la défiance, et même à de l’hostilité, or ce ne fut pas du tout le cas.

M.B. : Nous étions persuadés que leur refus d’être rapatriées avec leurs enfants était dicté par leur idéologie. En réalité, elles ont surtout peur de rentrer en France, et cela pour plusieurs raisons : la perspective d’être séparées de leurs enfants après toutes ces années passées à vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec eux, les peines d’emprisonnement évidemment très lourdes qui les attendent. Enfin, le fait que la prise en charge de leurs enfants se ferait en foyers ou en familles d’accueil, et non dans leurs propres familles. Ce sont tous ces facteurs qui, à différents degrés, les retiennent.

M.D. : Et lorsqu’on leur explique qu’il n’y a pas d’autre solution, elles l’entendent parfaitement mais ne parviennent pas vraiment à se faire une raison.

Vous avez rencontré quatre mineurs français détenus dans le centre pour adolescents d’Orkech. Comment sont-ils arrivés là ?

M.D. : Ce fut un choc immense que de les voir là, dans ce centre. Tous ont été emmenés en Syrie par leurs parents alors qu’ils avaient 10 ou 11 ans. Ils n’ont rien choisi ni voulu de cette situation, et pourtant les voilà qui se retrouvent là, loin de leur pays, de leurs familles, blessés et gravement malades.

M.B. : L’un est aveugle d’un œil et doit être opéré de toute urgence, deux ont des blessures au crâne impressionnantes, et un autre souffre d’une maladie rénale. Leurs muscles sont atrophiés et leurs blessures visibles à l’œil nu. Ils sont dans un état déplorable. La France ne peut les laisser plus longtemps là-bas.

M.D. : Tous les quatre demandent à être rapatriés au plus vite. La famille d’un de ces jeunes Français l’a d’ailleurs déjà été, mais sans lui. Pourquoi ? Pourquoi lui faire payer le choix de ses parents ? Ils nous ont suppliés de ne pas les abandonner.

M.B. : Les autorités françaises savent très bien où ils se trouvent, et dans quel état. Ce fut vraiment le moment le plus dur de notre mission.

Ont-ils des contacts avec leur famille ?

M.D. : L’un d’eux, gravement blessé, n’a plus aucune famille en Syrie : sa mère est morte dans le camp d’Al-Hol. Il a appris que sa sœur était rentrée en France, mais n’a aucune nouvelle d’elle depuis six ans.

M.B. : Celui dont la famille a été rapatriée ne sait plus rien d’elle non plus. Sa mère, actuellement incarcérée, ignorait même où il se trouvait. Ceux dont les familles se trouvent dans le camp Roj peuvent les appeler quatre ou cinq minutes tous les deux mois.

La France a été condamnée à de multiples reprises pour son refus de rapatrier les femmes et mineurs détenus en Syrie. Comment expliquez-vous qu’elle continue à se mettre hors la loi sur ce dossier ?

M.D. : Récemment encore, et pour la seconde fois, le Comité contre la torture des Nations unies a épinglé la France sur cette question. Il faut rappeler que tous, enfants et mères, devaient être rapatriés au début de l’année 2019, avant que le président de la République ne fasse machine arrière, au motif de la prétendue impopularité d’une telle décision. Depuis, les autorités n’en finissent plus de s’enliser, alors qu’il existe des solutions pour rapatrier tous les enfants et leurs mères, malgré les réticences de celles-ci.

M.B. : Avocats sans frontières France a transmis des observations au Comité des ministres du Conseil de l’Europe pour l’alerter sur l’attitude de la France, qui persiste à ne pas respecter l’arrêt de condamnation de la Cour européenne. En refusant de rapatrier ces enfants et leurs mères, notre pays viole ouvertement la Convention internationale des droits de l’enfant, la Convention contre la torture des Nations unies et la Convention européenne.

Que vous ont dit les autorités kurdes sur le non-rapatriement des ressortissants français ?

M.B. : Nous avons été reçus, avec les représentants du Collectif des familles unies, par le directeur des Affaires étrangères du Rojava. Il est très préoccupé par les récentes offensives turques, qui ont visé des infrastructures civiles, et nous a vivement confirmé sa volonté de voir les femmes et les enfants détenus dans les camps de Roj et Al-Hol rapatriés dans leurs pays respectifs. Et il continue bien entendu de déplorer et de nous alerter sur le manque de soutien de la communauté internationale.

M.D. : Les autorités kurdes et la direction du centre Orkesh nous ont également indiqué que des rapatriements pouvaient être organisés à partir de ce centre comme à partir du centre Houri. Nous avons très bien compris que la question des rapatriements était entre les seules mains de la France : c’est aux autorités françaises de les organiser et de les mettre en œuvre.

DANS LE NORD-EST DE LA SYRIE , AUPRÈS DES ENFANTS FRANÇAIS PRISONNIERS 

Me Matthieu Bagard, co-président d’Avocats sans frontières, Me Marie Dosé, et deux représentants du Collectif des Familles Unies se sont rendus fin février dans le Nord-Est de la Syrie. 

Communiqué du Collectif des Familles Unies du lundi 04 mars 2024

Nous avons pu rencontrer des responsables de l’Administration kurde, et avoir accès au Centre de réhabilitation Orkesh et au camp de prisonniers Roj. C’est la première fois qu’une délégation française composée d’avocats et de représentants de familles peut se rendre dans le Nord-Est syrien, visiter les camps et rencontrer des enfants, des femmes, des jeunes majeurs français qui croupissent dans des centres de détention depuis des années. Toutes les tentatives précédentes ont été bloquées à l’initiative des autorités françaises. 

Nous avons eu un long entretien avec M. Badran Çiya Kurd, co-président du Département des Affaires étrangères de l’Administration autonome. Nous lui avons exposé nos positions, concernant le rapatriement nécessaire de tous les ressortissants français détenus dans le nord-est de la Syrie, en particulier de la centaine d’enfants qui survivent depuis 5 ans et plus dans le camp Roj. M. Badran Çiya Kurd nous a longuement parlé de la situation dans le Nord-Est syrien, marquée par les bombardements répétés de la Turquie sur des infrastructures civiles, qui privent une grande partie de la région d’électricité et qui affectent gravement la vie de la population civile. Il a insisté sur le manque de soutien de la communauté internationale face à ces attaques de la Turquie, et nous a confirmé que l’Administration kurde demandait toujours aux pays étrangers le rapatriement de leurs ressortissants, en particulier des enfants et des femmes détenues dans les camps. Les modalités particulières des rapatriements, les conditions du transfert des femmes et des enfants, sont entre les mains de la France en ce qui concerne les ressortissants français. Cet entretien nous a confirmé que les autorités françaises ont les capacités de faire revenir en France l’intégralité des enfants et des femmes détenus dans les camps, après négociations avec les responsables de l’Administration kurde, pour qui la présence de ces femmes et enfants dans les camps est une lourde charge. Par ailleurs, la lenteur du processus de rapatriement permet à Daech de se reconstituer à l’intérieur même des camps et d’accentuer sa propagande auprès des détenues et des enfants.

Nous avons visité le centre de réhabilitation d’Orkesh, où 151 garçons étrangers de 11 à 18 ans (et un peu au-delà) sont détenus. Un autre centre du même type, le centre Houri, accueille 108 garçons. L’Administration kurde insiste sur la nécessité de créer et développer de ces centres, à cause de la radicalisation des garçons qui grandissent dans les camps. En revanche, les experts des Nations Unies et les organisations défendant les droits humains estiment que la séparation brutale des garçons et de leur mère dans les camps et leur transfert dans ce type de centres est une violation du droit international et de la Convention des droits de l’enfant. Nous avons pu rencontrer 4 des 5 garçons français qui vivent dans ce centre. Ces 4 garçons, emmenés enfants en Syrie par leurs parents, qui n’ont donc rien choisi, ont connu les camps et la prison durant plusieurs années avant d’être transférés à Orkesh. Leur état de santé est catastrophique : deux sont gravement blessés à la tête et ont le corps couvert de blessures, qui provoquent des douleurs permanentes, l’un a un bras atrophié, un autre ne voit plus que d’un œil, un troisième a de graves blessures à la jambe, un autre souffre d’une maladie du rein. Il n’y a pas dans le nord-est de la Syrie de possibilité de les soigner ou de traiter leurs blessures, et les responsables du centre nous ont confirmé que la seule solution était leur rapatriement. Ces garçons nous ont suppliés de ne pas les abandonner et de tout faire pour qu’ils soient rapatriés. La mère et la fratrie de l’un d’entre eux ont été rapatriées en France sans lui. Les autorités françaises savent où se trouvent ces garçons et dans quel état ils sont. Cette rencontre fut pour nous un choc : comment les autorités d’un État de droit peuvent-elles abandonner de jeunes Français, partis enfants en Syrie, dans un tel état alors qu’elles avaient et ont toujours la capacité de les rapatrier? C’est profondément choquant. Nous nous sommes entretenus avec les responsables du centre Orkesh qui nous ont confirmé que des rapatriements pouvaient sans difficulté aucune être organisés par les pays étrangers à partir du centre.

Le dernier jour de notre visite, nous avons eu accès durant un après-midi au camp de prisonniers Roj. Nous n’avons pu visiter que l’une des 3 sections du camp (Roj 1). Dans ce camp, situé à quelques kilomètres de la frontière irakienne, et non loin de la Turquie, s’entassent sous des tentes 1500 enfants étrangers et leurs mères. Parmi eux, plus de 100 enfants français, dont la plupart ont moins de 12 ans, qui survivent ici depuis maintenant plus de 5 ans. Des dizaines d’enfants français nous ont rapidement accompagnés dans les allées poussiéreuses du camp, se présentant, posant des questions. Nous avons pu parler longuement avec des femmes françaises qui nous ont rejoints. Leurs questionnements portaient essentiellement sur les conditions d’incarcération en France (les femmes françaises sont systématiquement placées en détention provisoire à leur retour, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays européens), les difficultés pour rencontrer leurs enfants en prison, la longueur des délais pour les familles pour visiter et prendre en charge les enfants. 

Pour les enfants, la situation dans le camp ne fait qu’empirer : il n’y a plus d’électricité depuis les bombardements turcs d’il y a un mois, l’accès à l’eau est souvent difficile, se chauffer est compliqué, il n’y a aucune offre de soins adéquate, et nous ne parlons même pas d’aide psychologique, il n’y a pas d’école (quelques cours sont dispensés dans le camp, mais aucun suivi éducatif n’est mis en place, et sûrement pas en français, alors que les petits Français constituent la population européenne la plus importante du camp). Ces enfants sont confinés dans une prison à ciel ouvert alors qu’ils ne sont coupables de rien, payant pour les fautes de leurs parents. Leur pays défend les droits de l’homme, fait de beaux discours sur la protection de l’enfance, et abandonne ses propres enfants dans un camp de prisonniers d’un pays en guerre. Cela fait 5 ans, 6 ans, que cette ignominie perdure. Pour nous, ce fut un crève-cœur de les quitter et de les laisser dans cette prison.

La situation dans le nord-est de la Syrie devrait inciter les autorités françaises à envisager un rapatriement général, et à respecter le droit international : les attaques turques rendent la situation de plus en plus instable, les milices pro-iraniennes attaquent les forces de la Coalition et les Forces Démocratiques Syriennes, et Daech est toujours actif. Un éventuel retrait américain pourrait faire tomber les camps entre les mains des troupes de Bachar Al-Assad. Est-ce que la France des droits humains veut que des petits Français deviennent les prisonniers d’Assad ?

Notre Collectif, après cette visite, demande de nouveau au Président de la République, au gouvernement français, de rapatrier les ressortissants français détenus dans le Nord-Est de la Syrie, en particulier les enfants et les garçons détenus dans le centre Orkesh. Les adultes doivent être jugés en France, et les enfants doivent être libérés : ils subissent depuis tant d’années, dans des conditions indignes, une détention arbitraire dénoncée par les Nations Unies et différentes instances internationales, et par l’ensemble des organisations de défense des droits humains. 

Nous remercions M. Badran Çiya Kurd, co-président du Département des Affaires étrangères de l’Administration Autonome du Nord et de l’Est de la Syrie, pour avoir autorisé ces visites, et pour la disponibilité de ses services.

Le 4 mars 2024.

Le Collectif des Familles Unies

Publication par le Bureau du Procureur d’un nouveau Document de politique générale relatif aux enfants

Déclaration de Karim A.A. Khan KC, Procureur de la Cour pénale internationale

children-policy

Déclaration: 8 Décembre 2023

Alors que nous sommes témoins de la souffrance des enfants dans le monde entier, mon Bureau a publié un nouveau Document de politique générale relatif aux enfants afin de remédier à leur sous‑représentation historique et à leur manque de participation dans les procédures de justice pénale internationale. Cette politique constitue une étape cruciale dans la mise en œuvre de l’objectif que je me suis fixé d’adopter une approche soucieuse du bien‑être des enfants dans les enquêtes et les poursuites, en précisant comment nous pouvons prendre en compte de manière proactive et explicite ce qu’ils ont vécu dans toutes nos affaires.

Les enfants ont le droit de participer aux procédures judiciaires qui les concernent. La position du Bureau est de porter la voix des enfants dans chaque affaire et chaque situation. L’interaction avec un enfant dépendra bien sûr de ses capacités, de son consentement et de son intérêt supérieur. Mais dans le cadre de l’affaire, mon Bureau cherchera activement et de manière déterminée à collaborer avec les enfants afin que nous puissions mieux comprendre la manière dont ils sont ciblés et affectés par les crimes relevant du Statut de Rome.

Ce nouveau Document de politique générale souligne notre position selon laquelle tous les crimes relevant du Statut de Rome peuvent viser ou toucher des enfants. Selon leurs caractéristiques personnelles, notamment l’âge, le sexe, le handicap, l’appartenance ethnique, la religion, le lieu de résidence et le niveau d’éducation, les enfants sont affectés de diverses manières par les conflits.. Contrairement à une vision traditionnelle qui veut que les enfants soient un tout homogène, notre politique vise à tenir activement compte, pour s’y adapter, des questions liées à l’intersectionnalité, aux différents stades de développement des enfants et à l’évolution de leurs capacités.

S’appuyant sur la Politique de 2016 du Bureau du Procureur relative aux enfants, la nouvelle politique intègre des recherches récentes sur le développement, la mémoire et les capacités des enfants à participer aux procédures judiciaires, ainsi que l’émergence de nouvelles technologies de nature à permettre une participation sûre.

Afin de garantir la participation des enfants en tant que victimes, survivants et témoins, la Politique souligne mon engagement à créer un environnement institutionnel qui facilite des enquêtes et des poursuites efficaces en matière de crimes visant ou touchant les enfants, notamment par le biais du recrutement, de la formation, de la collaboration externe et de mesures significatives de mise en œuvre, de suivi et d’évaluation.

En adoptant une approche axée sur les droits de l’enfant, son bien‑être et qui lui soit adaptée, nous visons à remédier à la vision centrée sur les adultes qui a prévalu jusqu’ici dans les tribunaux, où les enfants sont largement exclus du processus judiciaire. Les enquêtes que nous menons dans toutes les situations, notamment en Afghanistan, au Bangladesh / Myanmar, au Darfour, au Soudan et dans l’État de Palestine, s’intéressent notamment aux crimes visant ou touchant les enfants à l’égard desquels nous enquêtons et engageons des poursuites. Avant même le lancement de la présente Politique, nous avons progressé dans la mise en œuvre d’une telle approche, comme avec les mises en accusation pour déportation ou transfert illégal d’enfants dans le cadre de la situation en Ukraine en mars 2023.

Publié parallèlement au Document de politique générale relatif aux crimes liés au genre, et en association avec le Document de politique générale relatif au crime de persécution liée au genre de 2022, le présent document illustre notre objectif stratégique d’enrichir notre cadre réglementaire dans des domaines thématiques et de devenir un pôle d’excellence en matière de justice pénale internationale. L’année prochaine, nous lancerons des politiques relatives à la complémentarité et à la coopération, la cybercriminalité, les crimes liés à l’esclavage et les crimes contre l’environnement. Avec cette série de politiques, nous aspirons à promouvoir l’échange des enseignements tirés et des bonnes pratiques issues des efforts déployés sur le plan local et international afin d’établir les responsabilités des auteurs de crimes relevant de notre compétence.

Je tiens à saluer la Procureure adjointe Nazhat Shameem Khan et ma conseillère spéciale sur les crimes visant et touchant les enfants, Véronique Aubert, pour avoir dirigé le processus intensif d’élaboration de cette nouvelle politique. De nombreux experts du Bureau ont joué un rôle clé dans cette initiative, notamment la coordonnatrice principale chargée des crimes liés au genre et des crimes visant ou touchant les enfants, Mme Kim Thuy Seelinger. De même, 186 experts externes issus de plus d’une trentaine de pays ont partagé leur temps et leur sagesse. Je leur suis profondément reconnaissant de leurs contributions.

Alors que nous continuons à souligner l’importance de donner de la visibilité aux enfants et d’écouter leur voix, j’espère que ce nouveau Document de politique générale renforcera le travail de tous ceux qui cherchent à obtenir justice pour les enfants victimes d’atrocités dans le monde entier. Reconnaissons les torts subis par les enfants et veillons à ce que le droit les prenne sous ses ailes protectrices.

De plus amples informations sur les « examens préliminaires » et les « situations et affaires » portées devant la Cour sont disponibles ici et ici.

Source: Bureau du Procureur | Contact: OTPNewsDesk@icc-cpi.int

Il faut rapatrier les enfants prisonniers français de Syrie

Le billet de Thomas Legrand (Libérationdu 16 novembre 2023)

Dans le camp d’Al-Hol, où sont gardés des enfants et femmes de jihadistes, dans le nord-est de la Syrie, en 2021. (Delil Souleiman/AFP)

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Est-ce de l’inertie diplomatico-judiciaire, une indifférence coupable, une trouille sécuritaire ? Ou la peur de se faire traiter de laxiste par une droite qui saute sur tout ce qui peut ressembler à de la faiblesse «islamo-gauchiste» – accusation déclenchée par le moindre geste d’humanité ou de respect des droits de l’homme et des conventions signées par la France ? Pourquoi cette dernière ne se débrouille-t-elle pas pour rapatrier la centaine d’enfants français qui croupissent encore, avec leurs mères, dans les camps kurdes dans le nord de la Syrie ?

Ces enfants vivent dans des conditions déplorables, en proie à la malnutrition, à la déscolarisation et à la désocialisation autant qu’à l’endoctrinement djihadiste. Entre mars 2019 et juillet 2023, 169 mineurs ont pourtant été rapatriés avec ou sans leur mère. Ceux qui restent encore coincés dans le nord-est de la Syrie, la plupart détenus dans le camp de Roj, le sont au prétexte que leur mère ne veut pas se séparer d’eux. Ces femmes de jihadistes, ou jihadistes elles-mêmes, n’ont pas accepté le rapatriement en France pour des raisons diverses et variées : certaines sont toujours des islamistes radicales convaincues, d’autres sont dépressives, mentalement détruites ou sous emprise. Pour la plupart, elles n’acceptent pas de se séparer de leur progéniture, après des années de vie en symbiose dans cet univers carcéral à ciel ouvert que sont ces camps de misères. Elles ont, au fil des années, créé un lien fusionnel qui les empêche de comprendre que l’intérêt supérieur de leurs enfants peut différer du leur.

En France, leurs familles, souvent les grands-parents désemparés, se démènent avec leurs avocats pour que le gouvernement français fasse rapatrier leurs petits-enfants que parfois elles n’ont jamais vus. Pour cela, elles viennent d’écrire une lettre au président de la République : «Nous vous demandons de rapatrier ces enfants sur le seul critère de leur intérêt supérieur, et l’intérêt supérieur de nos petits-enfants n’est pas de survivre dans un camp de prisonniers d’un pays en guerre dans des conditions indignes.»

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Mais comment faire ? Pas question d’envoyer une mission sur place et de retirer les enfants de force des bras de leur mère avec la complicité de leurs gardiens kurdes. La seule solution envisageable, imaginée par les avocats et membres des collectifs qui soutiennent les familles d’enfants prisonniers de Syrie, c’est d’obtenir des autorités kurdes au contrôle du nord du pays qu’ils expulsent les mères et les enfants français en Irak. Et de là, les autorités françaises iraient récupérer ces familles, signifieraient aux femmes leur mise en examen pour association de malfaiteurs à caractère terroriste et les placeraient en détention provisoire une fois rapatriées en France. Les enfants seraient alors placés ou remis à leurs grands-parents. Une procédure qui paraît assez simple mais qui implique que l’on accepte de rapatrier sur le sol français des femmes possiblement encore radicalisées, contre lesquelles la justice n’aura pas forcément assez d’éléments pour les condamner à de la prison pour très longtemps.

Il faut donc pouvoir assumer politiquement ce fait, qui ne manquera pas d’être monté en épingle par tous les sécuritaires de plateaux qui monopolisent le débat public. Au-delà de la réclamation bien compréhensible des familles françaises, le rapatriement des enfants est un devoir de la France au regard des conventions internationales. La Cour européenne des droits de l’homme a produit un arrêt en septembre 2022 par lequel elle enjoignait la France à respecter sa signature de la Convention européenne des droits de l’homme. Et donc à trouver le moyen de récupérer ses nationaux mineurs, retenus en Syrie. La cour pointe aussi le fait que les pays signataires doivent faire instruire ces retours par la justice alors qu’en France c’est l’exécutif, le Quai d’Orsay, qui est en charge du dossier. Il paraît aberrant et peu digne que la France laisse encore une centaine de ses citoyens mineurs enfermés loin de chez eux dans un pays en proie à la guerre civile et qui seront, à leur majorité (ça a déjà été le cas pour certains d’entre eux) des prisonniers sans avenir ni espoir de rapatriement.