Conférence de presse 14 Mai 2018

Madame Roy-Burin

Madame Roy-Burin rappelait que le collectif est venu, dans un contexte où l’actualité est encore véhémente sur les questions relatives aux djihadistes français partis en Syrie. Certains, du fait de cette actualité, leur ont même demandé de ne pas faire cette conférence. Simplement, comme elle le soulignait: « L’heure est grave, on veut parler de nos petits enfants, de nos souffrances, ce qui est arrivé est horrible et il ne faut pas que ça continue mais voilà, on n’y est pour rien. Il faut trouver des solutions et c’est aussi pourquoi on est réuni ».

Pour la présenter, Madame Roy-Burin est la maman d’un jeune parti en Syrie et, a priori, mort sur zone irako-syrienne.

Ce collectif représente des familles qui, pour certaines, ne peuvent ou ne veulent pas parler. Mais au jour de la conférence, ils se sont armés de courage, et consentent à faire entendre leur voix. Les parents des enfants partis en Syrie ont souhaité parler des drames familiaux qu’ils vivent, touchés par la radicalisation violente de l’un de leurs enfants partis en zone irako-syrienne. Or ces derniers ont eu ou ont pu avoir des enfants, aujourd’hui bloqués dans ces zones de conflit d’une particulière dangerosité.

Madame Roy-Burin rappelle que la situation des enfants dans les conflits a déjà été posée en temps de guerre. Par exemple lors de la Seconde Guerre Mondiale, les enfants ont pris le maquis pour combattre Pétain. D’autres ont vécu la guerre sans la faire. Une phrase a une résonnance toute particulière pour elle : « après la guerre, les enfants ont fait l’objet de toutes les attentions, pour guérir les hommes il faut soigner les enfants ».

Les parents vivant cette situation sont les premiers touchés par l’idéologie djihadiste qui a volé le cerveau des enfants partis. La propagande djihadiste s’enracine dans le salafisme, idéologie ancienne qui arrive à séduire, tenter la jeunesse. Néanmoins, Madame Roy-Burin met en exergue que les recruteurs, les prédicateurs, les idéologues, sont aussi chez nous, en France, et pas seulement en Syrie ou en Irak. Le problème existe depuis longtemps et, aujourd’hui, on feint de le découvrir.

Que fait vraiment la France pour éviter son déploiement ?

Ce sont 1700 jeunes français qui sont partis en Syrie en zone de guerre, certains sont décédés comme le fils de Madame Roy-Burin, mais sa mort, leur mort, n’est pas reconnue officiellement. Triste record de la France, premier contingent européen de Daesh : 20 000 radicalisés en France, soit 10 fois plus que ceux qui sont partis. Il y aurait aujourd’hui, près de 1 200 français, encore sur zone, comprenant évidemment les « tous petits ».

« Agissons, prenons les bonnes décisions, n’ayons pas peur », déclame pour terminer sa prise de parole, Madame Roy-Burin.

Thierry, époux de Madame Roy-Burin

Thierry est l’un des papas du collectif qui essaie de rester debout malgré le drame qui a touché sa famille.

En effet, son fils s’est converti à l’islam à l’âge de 20 ans. Il est parti en cachette rejoindre la Syrie en septembre 2014. Avec son épouse, il s’est attaché à lui donner la meilleure éducation avec une ouverture d’esprit la plus large possible. Sa mort fut annoncée en janvier 2016, mais les circonstances restent, aujourd’hui encore, inconnues. Elle n’est pas reconnue par la France…

Le collectif est né de la volonté de soutenir les familles et d’agir. Le point commun de tous les parents est qu’ils sont tous victimes d’une idéologie mortifère, qui a entrainé leurs enfants dans une zone de guerre, pour les sacrifier en première ligne, au nom de cette idéologie. Cette situation nous amène à nous sentir proches des victimes d’exactions barbares, qui se sont exprimées en France, en Europe, dans le monde, au nom d’un extrémisme religieux.

Il regrette aussi que de nombreux responsables politiques, tous bords confondus, aient choisi de ne pas dénoncer ce qui doit l’être pendant toutes ces années pour ménager leur électorat. Il met également en avant la trop timide implication, selon lui, des responsables religieux ou communautaires, sans doute par peur de représailles.

La résultante de l’ensemble de ces phénomènes, est l’état de solitude dans laquelle ces familles se sont trouvées et l’utilisation de leur douleur à des fins mercantiles. Elles portent, selon ses mots : « les stigmates d’une vindicte populaire ». Il regrette que les familles soient considérées comme : « des familles défaillantes dans l’éducation de leurs enfants, ou au pire, compatissante à cette idéologie extrémiste ».

Les familles ont pleinement conscience de la nécessité d’une approche par tous les acteurs de la société, politiques, professionnels, administrations, familles et religieux, pour trouver des solutions consensuelles, évolutives et pérennes autour d’une table. C’est la raison pour laquelle ils ont décidé de se réunir en un collectif laïc et républicain, respectueux des différences philosophiques, politiques et religieuses. Toutes les origines sociales y sont représentées, parents de garçons ou filles, morts ou encore vivants, certains en prison en France ou à l’étranger, ils sont unis dans la souffrance en quête de propositions.

Aujourd’hui, ils demandent fermement à ce que l’on arrête ce poison idéologique et que l’on parle des empoisonneurs au lieu de ne parler que des empoisonnés – leurs enfants.

Le collectif demande plusieurs choses :

  1. Des peines planchers plus lourdes pour les recruteurs, rabatteurs et idéologues.
  2. Une alternative à la seule posture répressive anti-terroriste, qu’ils comprennent malgré tout. Il faut comprendre en amont, résister à la peur, à la haine, pour restaurer l’espoir et la fraternité. Leurs enfants, ils ne le nient pas, ont des comptes à rendre à la France. Pas seulement aux syriens et aux irakiens. Il convient de nommer toute la chaîne de responsabilité et d’avoir une justice équitable.

Aujourd’hui, il y a urgence de rapatrier des très jeunes français innocents des agissements de leurs parents, qui n’ont pas choisi cette situation de guerre. En effet, on ne juge pas un parent sur ce qu’auraient pu faire ses enfants et, on ne juge non plus un enfant sur ce qu’auraient pu faire ses parents, et ce, encore plus lorsqu’ils sont le fruit d’une propagande et d’un lavage de cerveau. Nous n’avons aucun droit pour juger et abandonner des innocents dont le seul crime est de ne pas avoir choisi le lieu de leur naissance et de leur destinée.

Le Président Macron a rappelé dernièrement la nécessité de solidarité entre les générations, pour assurer notre cohésion sociale. Le collectif profite de cette occasion pour rappeler, selon les mots de Robert Debré, que « Les enfants, c’est notre éternité ».

Un autre parent témoigne : Lydie

Julie, sa fille unique qui a vingt ans, s’est convertie et, lorsqu’elle était en deuxième année de prépa littéraire, est partie en Allemagne pour ses études. Elle est entrée dans une mouvance radicale salafiste. Ils l’ont éduquée dans le respect des valeurs morales et républicaines. Son avenir a été brisé, elle a rencontré et a été manipulée par des recruteurs de l’Etat islamique et, malgré le signalement des parents aux autorités, elle est partie en Syrie en novembre 2014. Les parents de Julie ont 3 petits- enfants de 4 ans, 2 ans et de 3 mois. Deux sont nés sur zone. Ils font partie des 500 enfants se trouvant en zone irako-syrienne, dont les 3⁄4 ont moins de 5 ans. Après plusieurs mois de silence, Ils ont eu la chance d’avoir de leurs nouvelles. Ils étaient dans une poche tenue par Daesh. Cela signifie qu’à tout moment, ils peuvent mourir.

Le collectif rappelle, à juste titre, que ce sont des enfants innocents, traumatisés, et, qu’à cet égard, il est nécessaire de les aider et non pas les condamner à mourir par notre passivité commune alliée à celle de l’Etat. Parmi les 232 personnes qui seraient revenues en France, il y aurait 70 mineurs, dont 66 ont moins de 13 ans. Ils sont en général confiés à des familles d’accueil. Les grands-parents du collectif veulent accueillir les petits-enfants qu’ils n’ont pas pu voir grandir, les aimer et les aider à se construire dans un pays qui est le leur : « Il y a urgence à trouver ensemble des solutions, pour eux, et pour l’ensemble de notre société ».

 Témoignage de Pascale

« Ma fille était une jeune fille normale, pourrait-on même dire banale. Elle a rencontré la religion dans un centre de loisir municipal, alors adolescente, et elle s’est convertie dans une mosquée quand elle était encore mineure. Après elle s’est beaucoup isolée sur internet, elle avait des appels téléphoniques à 5h du matin.

C’est sur internet qu’elle a rencontré son conjoint avec qui elle est partie. Elle l’a rejoint dans le sud de la France où il résidait. Il y avait au sud des mosquées dites radicales, rapidement elle a porté un voile intégrale couvrant son visage.

Elle est partie en 2015 avec ses trois enfants, qui devraient pourtant être choyés au sein de notre famille par leur mamie. Lors du premier contact avec ma fille de Syrie, elle affirmait qu’elle était dans l’obligation d’être en Syrie.

J’ai eu des nouvelles régulièrement depuis son départ, et au jour de la conférence, cela fait 6 mois que la famille n’a plus de nouvelle. Nous pouvons tout imaginer. Je tenais à témoigner pour parler de nous en tant que grands-parents, nous sommes là pour accueillir nos petits enfants, les aimer, les reconnecter à la vie post-guerre et agir en concertation et avec le soutien des institutions, des autorités et des professionnels de l’enfance ».

 Intervention de Maître Martin Pradel

La raison de ce collectif c’est une forme de cri, souligne-t-il. Ces familles sont depuis très longtemps dans une difficulté extrême car elles cherchent à comprendre pour commencer, les ressorts de la radicalisation de l’un des membres de leur famille. Or, on voit bien la capacité que le débat public a eu à se désagréger, pour, dans un premier temps, regarder ces familles avec une certaine compréhension et puis, peu à peu, on a vu ce débat public se déplacer vers une forme d’accusation.

La raison de cette conférence selon Maître Pradel, c’est parce qu’on en arrive publiquement à accepter l’idée que ceux qui doivent être jugés pourraient l’être d’une manière qui serait ici, inacceptable, c’est- à-dire avec une forme d’acceptation de châtiment. Pourtant au fil de l’évolution des sociétés, la torture et la peine capitale ont été jugées comme inadmissibles.

En définitive, c’est l’acceptation du sort le plus terrible, même pour les plus petits, qui est inacceptable pour les familles.

Ces grands-parents deviennent les seuls porte-paroles de ces plus faibles, que personne ne viendra aider pour dire une chose évidente : « Ces plus petits n’ont commis aucune infraction ». Ils sont innocents d’être nés en Syrie ! Ils sont français et en tant que français, ils ont le droit à la protection de la France.

La question qui se posera n’est pas celle de la répression des actes qu’ils n’ont pas commis, mais plutôt celle de leur éducation. Or, relever ce défi ne pourra se faire qu’avec les familles.

Intervention de Maître Marie Dosé

Maître Marie Dosé défend plusieurs femmes détenues au Kurdistan syrien, 7 enfants, dont 5 ont moins de 5 ans.

Il y a 3 mois, elle a alerté les autorités compétentes pour rappeler qu’il fallait les rapatrier, que le Kurdistan syrien n’existait pas, qu’il n’y avait pas d’institutions souveraines, qu’elles étaient de toute manière détenues arbitrairement. Selon elle, ces femmes sont notre échec, elles sont notre histoire, et c’est donc à nous de les juger, sachant qu’un juge d’instruction les attend.

Les autorités françaises ont expliqué, dans une sorte de cacophonie gouvernementale, que ce serait du cas par cas, qu’elles seraient prises en charge par les autorités locales et jugées là-bas, mais dans le respect des règles du droit international.

L’opinion publique ne comprendrait pas un tel rapatriement. Elle souligne que dans ce cas, il est « préférable » de surfer sur la vague du populisme, plutôt que de faire preuve de pédagogie et d’entendre les témoignages.

Il s’agit d’une instrumentalisation : les Kurdes ne veulent pas juger ces femmes. Quand d’autres pays européens s’organisent pour le rapatriement, nous non ! Nous sommes dans de la passivité pure et simple. Les demandes qui parfois, ne concernent que les enfants, restent des lettres mortes.

Ces filles et ces fils sont nés en France, ils sont le fruit de notre échec républicain, ils ont tous été radicalisés sur le sol français, c’est bien à nous de les juger. Elle conclue de la façon suivante : « Cessons de croire qu’ils ne nous appartiennent pas ».

Intervention de Maître Vincent BRENGARTH

Il ressort deux choses des demandes des familles : que les parents puissent bénéficier des garanties et bénéficier du droit à un procès équitable et que les petits-enfants reviennent auprès de leur famille.

Le terrorisme semble pourtant faire écran à une réalité à la fois humaine et juridique. Le spectre du terrorisme présent, on devrait faire l’impasse du droit, notamment des droits internationaux (à savoir l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit en principe primer en toutes circonstances) et des droits au procès équitable.

Dans un premier temps, les avocats ont été saisis par des familles qui affirmaient que les autorités gouvernementales restaient silencieuses face à leurs demandes. C’est la presse qui a permis une transformation dans le discours public pour en arriver à cette proposition du Président du « cas par cas ». Chaque cas sera individualisé, pour décider ensuite d’un retour – ou non – sur le territoire.

Le temps passant, cette doctrine reste pourtant toujours non-appliquée. Pendant ce temps, les familles restent en attente. Parfois, elles reçoivent des messages de détresse sur WhatsApp de leur enfants et petits-enfants partis en zone irako-syrienne, qui les informent de leur état, mourant de faim. Ils risquent d’être trimballés d’un camp à un autre, et risquent de perdre la vie…

Pourtant le discours des familles reste inaudible. Leur demande est pourtant simple : qu’il soit fait application du droit.

Laisser un commentaire