Lettre ouverte à Monsieur Emmanuel Macron, Président de la République

Paris le 14 février 2019

Monsieur le Président de la République,

Le « Collectif des Familles Unies » souhaite vous interpeller sur deux situations liées à l’évolution récente de la guerre en Syrie : la tragédie des populations civiles — et en particulier des enfants — suite à la dernière offensive contre Daesh en Syrie, et l’« option » du transfert des djihadistes français prisonniers de la Syrie vers l’Irak.

La situation dramatique des enfants suite à la dernière offensive contre Daesh

L’attaque contre le dernier bastion de Daesh en Syrie a provoqué un exode dramatique des populations civiles, et parmi elles les familles de djihadistes français et étrangers. Ces populations errent dans le froid et sous la pluie, sans protection, sans abri, sans aide, et se retrouvent entassées notamment dans le camp de Al-Hol.

La situation dans la région et dans le camp de Al-Hol, documentée par la presse et les organisations humanitaires, est dramatique, que ce soit au niveau de la sécurité, de l’alimentation, de la santé… Des centaines de civils, et parmi eux de très nombreux enfants, sont en danger de mort.

Il s’agit d’une véritable catastrophe humanitaire, et dans ce contexte ce sont les enfants qui sont le plus exposés à la violence, aux privations, aux maladies, aux intempéries… Parmi eux se trouvent des enfants français. Certains sont avec leur mère, d’autres sont seuls, ou ont été recueillis par des femmes syriennes ou étrangères.

La tragédie de ces enfants meurtris par la guerre interpelle les consciences et nécessite une action rapide de la part non seulement des organisations humanitaires, mais aussi des pays de la coalition.

Des dizaines d’enfants français en bas âge, innocents et vulnérables, croupissent dans des conditions abominables dans les camps en Syrie, dans les prisons irakiennes et pour certains d’entre eux depuis 2 ans. Ils manquent de tout et en particulier de soins, de nourriture, d’éducation… 

Cette vie dans ces camps et prisons ne peut qu’accentuer ces traumatismes dont ils souffrent. Dès le départ, nous aurions dû leur porter secours et assistance pour les réinsérer ou insérer au plus vite, et qu’ils retrouvent une vie normale. C’est une position conforme à nos valeurs, à notre Droit interne, aux exigences des conventions européennes et internationales sur les droits de l’enfant dont la France est signataire. Nous avons perdu trop de temps, il est encore temps d’inverser le cours de ce destin tragique.

Nous vous demandons, Monsieur le Président, de tout mettre en œuvre pour que ces enfants soient secourus, qu’il soit mis fin dans les meilleurs délais à leur calvaire. Nous vous demandons que les petits français soient identifiés, ceux qui sont encore avec leur mère comme les orphelins, et qu’ils soient rapatriés dans leur pays, comme tous les autres enfants français détenus dans les autres camps en Syrie, à Roj ou à Aïn-Issa, ou en Irak.

L’« option » du transfert en Irak des djihadistes français prisonniers en Syrie

Les autorités françaises ont fait état de plusieurs « options » possibles en ce qui concerne l’« explusion » des djihadistes français prisonniers en Syrie, rendue nécessaire par le retrait des troupes américaines de ce pays.

La presse et les experts, dans leurs analyses, ont évoqué une possibilité de transférer une partie de ces prisonniers de Syrie en Irak, pour y être jugés. Cette nouvelle situation constituerait un fait inédit : notre pays souverain donnerait une délégation pour sous-traiter l’administration de notre justice à un pays étranger, en contrepartie – selon certaines sources citées par l’AFP – de négociations d’armement. Pourtant la plupart de ces prisonniers, détenus par les Kurdes de Syrie, font l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par des juges français. En organisant un tel transfert, la France contribuerait à soustraire des justiciables français à la justice de notre pays. Il est inquiétant que notre État de droit puisse l’envisager.

Le pays vers lequel la France déciderait de transférer des prisonniers français, l’Irak, est un pays où la peine de mort existe et est appliquée. Décider ce transfert, c’est donc de facto condamner à mort ces prisonniers français, ou pour le moins les exposer à une condamnation à mort, ce qui est contraire à la loi française et aux conventions européennes.

Ces prisonniers, ainsi livrés à l’Irak sans aucune base légale, seraient susceptibles d’être victimes de tortures et de traitements inhumains dans les prisons irakiennes. Ils seraient jugés lors des procès inéquitables, sans véritable procédure et sans défense, comme ont pu le constater tous les observateurs et les organisations des droits de l’homme qui ont déjà assisté à des procès en Irak.

L’« option » irakienne pourrait s’avérer une solution à courte vue, comportant des risques pouvant mettre à terme en danger la sécurité de notre pays. Selon des observateurs internationaux, la situation politique et militaire en Irak est loin d’être stabilisée (influence des milices, présence persistante de groupes rebels, corruption…), et la sécurité des prisons irakiennes n’est pas démontrée, comme en témoignent les nombreuses évasions qui ont eu lieu ces dernières années (la plus spectaculaire, qui est loin d’être la seule, est l’évasion de 150 prisonniers de la prison d’Abu Ghraib en 2007).

Le « Collectif des Familles Unies » vous demande donc d’œuvrer à l’expulsion des djihadistes français prisonniers de la Syrie vers notre pays, en exécution des mandats d’arrêt internationaux émis par la justice française, afin qu’ils soient jugés dans le cadre de notre État de droit.

Cela fait plus d’un an que les autorités politiques de notre pays envisagent sous certaines conditions des « retours », cela fait aussi un an que le retour des enfants des camps syriens a été annoncé, et à ce jour aucun enfant détenu dans les camps kurdes n’a été rapatrié ; il est grand temps de mettre un terme à la tragédie de ces enfants victimes de la guerre, à l’attente angoissée des familles.

Nous restons bien sûr à votre disposition.

Nous espérons que nos demandes seront entendues, et nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de notre très haute considération.

Laisser un commentaire