Lettre ouverte du Collectif des Familles Unies / France aux membres du Parlement Européen

Paris, le 29 octobre 2019. 

Monsieur le Député européen,

Nous vous prions de trouver ci-dessous une lettre que notre Collectif entend vous transmettre. Le Collectif des Familles Unies est une association française regroupant plus d’une centaine de familles dont l’un des proches est parti en Syrie ou en Irak, et luttant contre l’idéologie qui les a faits partir vers ces zones de conflits.

Nous appelons, au nom des principes du droit, de la démocratie et du respect des droits de l’enfant, au rapatriement de tous les enfants européens, qui survivent dans les camps syriens dans des conditions épouvantables dénoncées par de nombreuses ONG,  par l’UNICEF et la Croix-Rouge. Nous appelons également, pour que ces rapatriements soient possibles et effectifs dans les meilleurs délais, au rapatriement de leurs mères, conformément à la Convention Internationale des Droits de l’enfant.

Dans une lettre ouverte aux gouvernements européens, datée du 11 septembre 2019, des professionnels de la sécurité américains (dont Brett McGurk, ancien Représentant du Président des Etats-Unis auprès de la Coalition et d’anciens responsables du Conseil de Sécurité Nationale américain) plaident, pour des raisons de sécurité et pour préserver l’avenir, pour le rapatriement des enfants dans leurs pays d’origine, mais aussi des adultes, hommes et femmes, afin de juger ces derniers dans leurs propres pays. Laisser les ressortissants européens en Syrie et en Irak, c’est préparer la résurgence de Daesh dans les années à venir. Ces responsables de la sécurité indiquent que si les pays européens ne s’engagent pas sur la voie du rapatriement, ils le paieront plus tard : « Le choix est donc clair : payez maintenant un prix relativement peu élevé ou payez plus tard le prix fort. »  (« The choice, then, is clear: pay a relatively small price now, or pay a huge price later. », cf. https://thesoufancenter.org/open-letter-from-national-security-professionals-to-western-governments/ )

Nous espérons que vous serez en mesure de porter une parole de raison et d’agir auprès des Gouvernements de l’Union Européenne afin que les conventions internationales et les principes de la Protection de l’enfance soient respectés.

Vu la gravité de cette situation inédite dans notre histoire républicaine et européenne, notre «Collectif de Familles Unies » reste à votre disposition pour être reçu par une commission du Parlement européen.

Dans cette attente, nous vous prions de croire, Monsieur le Député européen, en l’assurance de notre haute considération.

Le « Collectif des Familles Unies » / France

VA-T-ON LAISSER MOURIR DES CENTAINES D’ENFANTS EUROPÉENS EN SYRIE ?

Des centaines d’enfants européens innocents sont actuellement prisonniers avec leurs mères au nord-est de la Syrie, dans les camps de Al Hol, Roj et Aïn Issa. Ils sont contrôlés par les forces kurdes, mais le camp d’Aïn Issa est d’ores et déjà « hors contrôle ». Certains de ces enfants sont détenus depuis deux ans, d’autres depuis la chute du dernier réduit de l’Etat Islamique à Baghouz, en mars dernier. La grande majorité de ces enfants a moins de cinq ans, et la quasi-totalité moins de douze ans.

    L’offensive armée de la Turquie dans le nord-est de la Syrie plonge une nouvelle fois le pays dans le chaos : les populations civiles sont lourdement frappées par les bombardements et les combats, et les enfants prisonniers dans les camps sont de nouveau confrontés à la peur et à la violence de la guerre.Le conflit impacte l’approvisionnement en eau et en nourriture, et l’action des organisations humanitaires est entravée, certaines comme MSF ont quitté la zone. Les cessez-le-feu sont précaires, et peuvent être remis en cause à tout moment. L’avenir du Kurdistan syrien, en proie aux ambitions de la Turquie, de la Russie et de Bachar al-Asad, menacé par Daesh, est plus que jamais incertain.  Enfermés derrière des grilles et des barbelés, abrités sous des tentes de toile, les enfants et leurs mères n’ont aucune possibilité de se protéger en cas de bombardement ou de combats, risquant d’être tués ou gravement blessés à tout moment.

La situation des enfants dans les camps syriens est dramatique et représente sans doute l’une des pires catastrophes humanitaires de ces dernières années.Tous les jours, des enfants meurent dans le camp de Al Hol de malnutrition, d’accident, d’infections, de maladie, de blessures mal soignées. Leur vie quotidienne est un calvaire incessant, et ceux qui survivent sont en danger de mort. Les organisations humanitaires qui tentent d’agir dans le nord-est syrien, comme l’UNICEF ou la Croix-Rouge, tirent la sonnette d’alarme depuis des mois sur la situation de ces enfants, et en particulier sur ceux qui pourraient bénéficier de l’aide de leur pays d’origine et d’un rapatriement. L’UNICEF insiste sur le fait que les enfants étrangers détenus en Syrie « comptent parmi les enfants les plus vulnérables du monde », ajoutant  que ces enfants « vivent dans des conditions épouvantables et voient leur santé, leur sécurité et leur bien-être constamment menacés. » 

Les instances internationales, devant l’ampleur de ce désastre humanitaire dont sont victimes les enfants, se sont prononcées pour le rapatriement des enfants dans leurs pays d’origine. La Commissaire aux Droits de l’Enfant du Conseil de l’Europe a appelé les Etats européens à rapatrier leurs ressortissants mineurs, ajoutant : « Je les exhorte également à envisager le rapatriement de leurs mères, dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. » La Haute-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’homme, Michelle Bachelet,  a appelé en juin 2019 au rapatriement des familles de djihadistes, estimant que « les enfants, en particulier, ont subi de graves violations de leurs droits.»

    Les enfants européens prisonniers dans les camps en Syrie sont privés de tous leurs droits fondamentaux : le droit à la vie et au développement ; le droit à l’identité ; le droit à être protégé contre toute forme de violence ; le droit à la santé ; le droit à l’éducation qui passe par l’école ; le droit à ne pas être détenu arbitrairement. Ils sont aussi privés du droit d’être secourus ! La Convention internationale des Droits de l’enfant précise dans son article 2 : « Les  Etats  parties  prennent  toutes  les  mesures  appropriées  pour  que  l’enfant  soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille. » Le respect de l’application de ce texte devrait être une priorité absolue des gouvernements de l’Europe démocratique. C’est exactement le contraire qui est appliqué malheureusement pour le moment : des enfants européens innocents sont condamnés à la prison et à l’exil à cause des engagements de leurs parents. 

Face à cette situation dramatique des enfants étrangers prisonniers en Syrie, certains pays ont pris leurs responsabilités : les Etats-Unis, la Russie, le Kazakhstan, le Kosovo, l’Algérie, entre autres,  rapatrient leurs ressortissants, en particulier les enfants. Les pays européens, qui ont été pionniers dans la promotion des droits de l’enfant, essayent de trouver toutes les parades juridiques et politiques possibles pour échapper aux obligations qu’ils se sont eux-mêmes fixées en matière de protection de l’enfance.Ce refus d’appliquer les conventions internationales témoigne d’un manque d’humanité sidérant envers les enfants. Certains pays se sont retranchés derrière la doctrine du « cas par cas » consistant, autant qu’on peut la comprendre, à ne rapatrier que les orphelins,créant ainsi une discrimination insupportable entre les enfants qui, par nature,  sont tous en état de très grande vulnérabilité.  

Les enfants qui ne sont pas orphelins et qui sont prisonniers avec leurs mères sont condamnés à survivre dans des conditions dramatiques dans des camps d’un pays en guerre. Emmenés par leurs parents ou nés sur zone, ces enfants sont les victimes de l’idéologie qui a conduit leurs parents à partir en zone Syro-Irakienne : ils n’ont rien choisi, ils ne sont absolument pour rien dans ces décisions néfastes. Ce sont avant tout des innocents, des victimes de Daesh et des victimes de guerre.

Malgré tous les appels des organisations humanitaires et des instances internationales, les pays européens restent pour l’instant sourds à la détresse des enfants. Les pays européens ont les capacités à rapatrier ces enfants : nous l’avons bien vu quand il s’est agi de rapatrier des orphelins. A présent, les tergiversations des pays européens pendant des mois rendent plus difficiles les conditions d’un rapatriement, mais tout est encore possible. Il suffit de le déciderCela fait des mois que les responsables kurdes réclament le rapatriement dans leurs pays des prisonniers étrangers, a fortiori des enfants. Les autorités de nos pays font le choix délibéré de laisser souffrir et mourir des enfants européens en Syrie : pour combien de temps ? Dans quel objectif ? C’est un choix incompréhensible pour les familles, les grands-parents, les oncles et les tantes de ces enfants : chaque jour supplémentaire passé dans ces camps abîme un peu plus ces enfants, déjà traumatisés par les deuils et la guerre.

    Faute d’avoir pris au bon moment les bonnes décisions, en rapatriant les ressortissants européens et en particulier les enfants, devant une évolution d’une situation largement prévisible, les pays européens sont à présent condamnés à subir. Et ce sont les enfants qui souffrent le plus du manque de courage et de l’aveuglement de nos gouvernements, qui est une véritable faillite de nos valeurs. Les enfants européens innocents prisonniers des camps de Syrie ont déjà assez souffert : ils ont vécu les bombardements, les deuils, les blessures, les maladies, la peur, les traumatismes, la vie épouvantable dans les camps, la privation d’avenir qui s’apparente à une peine de mort programmée… Ils sont de nouveau confrontés aux horreurs de la guerre, directement menacés, exposés à la mort. L’Europe démocratique, l’Europe des Droits humains, l’Europe qui a impulsé et soutenu toutes les initiatives internationales pour les droits des enfants, peut-elle se renier à ce point en abandonnant ses enfants ?

Les enfants européens ne doivent pas tomber entre les mains de Daesh, ils ne doivent pas être remis à Bachar al-Asad ou à l’Irak. Le Collectif des Familles Unies / France appelle au rapatriement immédiat des enfants européens prisonniers en Syrie et de leurs parents. Ces enfants, déjà fragilisés par l’été brûlant et l’air dangereusement pollué, ne doivent pas passer un nouvel hiver sous les tentes, confrontés aux dangers de la guerre. C’est une question d’humanité, de respect des principes fondamentaux de la protection de l’enfance. C’est, pour ce qui concerne les adultes, face aux risques de dispersion, une question de sécurité européenne.

Nous faisons appel à vous pour agir auprès des gouvernements de l’Europe pour que ces enfants soient rapatriés dans leurs pays au plus vite. C’est une question de vie ou de mort.

Le 29 octobre 2019.

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