Communiqué de presse du 9 avril 2020
La tentative d’évasion de deux femmes du camp syrien de Roj a été rendue publique. Les deux femmes, l’une française et l’autre belge, sans enfant présent dans le camp, se sont enfuies à la mi-mars. Elles ont finalement été retrouvées et envoyées en prison.
Ces deux femmes étaient prisonnières dans le camp de Roj depuis plus de deux ans. A plusieurs reprises, elles ont exprimé le désir d’être rapatriées dans leurs pays respectifs pour faire face à leurs responsabilités. Toutes deux considéraient que leur départ en Syrie était la plus grande erreur de leur vie et s’étaient publiquement éloignées de l’idéologie djihadiste. Malgré cela, la France comme la Belgique ont refusé leur rapatriement, comme elles ont refusé le rapatriement de tous leurs ressortissants prisonniers en Syrie, y compris les enfants.
Ces deux femmes ne sont judiciarisées qu’en France et en Belgique. En Syrie, elles ne font l’objet d’aucune inculpation ni d’aucune procédure judiciaire, et sont donc détenues arbitrairement puisque « sans droit ni titre ». Les seuls juges saisis de leur départ en Syrie et de leurs actions en zone irako-syrienne sont des juges français et belge. Aucune juridiction locale ne peut les juger au regard du droit international et, en tout état de cause, aucune procédure judiciaire locale n’a été engagée contre elles. Le Défenseur des Droits, dans un avis émis en mai 2019, a dénoncé le caractère arbitraire de la détention subie par toutes ces femmes, qui n’ont pas le droit de rencontrer leurs familles ou leurs avocats, et par tous ces enfants dont près de trois cents sont français. Ces deux femmes se sont donc « évadées » d’une détention arbitraire aux seules fins de rejoindre le seul système judiciaire qui a décerné mandats d’arrêt contre elles : celui de leurs pays respectifs.
Les gouvernements européens cantonnent donc toutes ces mères dans un no man’s land juridique, qui ressemble chaque jour un peu plus à Guantanamo, où elles n’ont aucune possibilité de se défendre légalement. Les Européens ont sous-traité aux Forces Démocratiques Syriennes le maintien arbitraire de leurs ressortissants dans des prisons et des camps, où ils survivent dans des conditions épouvantables. Pourtant, les responsables de l’Administration Autonome du Nord-Est de la Syrie (kurde) n’ont de cesse de répéter qu’ils n’ont pas les moyens d’entretenir tant de prisonniers, et exhortent vainement les pays étrangers à rapatrier leurs ressortissants.
La crise mondiale provoquée par l’épidémie de coronavirus n’a fait qu’accentuer les tensions. Dans le camp d’Al Hol, où 60000 prisonnières et leurs enfants s’entassent, les évasions se sont multipliées ces derniers temps. La récente révolte des prisonniers dans une prison de Hassaké, la multiplication des évasions et des tentatives d’évasion démontrent largement que le statu quo entretenu notamment par les pays européens n’est plus tenable, tant sur le registre sécuritaire qu’humanitaire.
Les organisations humanitaires préviennent que l’épidémie de coronavirus, si elle gagne les camps et les prisons en Syrie, fera une hécatombe. Face à cette menace, les révoltes et les tentatives d’évasion sont susceptibles de se multiplier. La révolte d’Hasaké a sonné comme un avertissement et un appel des prisonniers à tout faire pour échapper aux mouroirs dans lesquels ils périssent. Dans les camps, les femmes et leurs enfants qui parviennent et qui parviendront à s’échapper rejoindront la Turquie dans le meilleur des cas pour revenir dans leurs pays, mais d’autres rallieront les cellules clandestines de Daesh ou seront prises par les forces de Bachar Al Asad ou d’autres milices. Dans tous les cas, et quel que soit le sort réservé à leurs parents, les enfants français et européens sont les principales victimes de cette indifférence qui confine à l’horreur et dont nos Etats démocratiques d’Europe sont entièrement responsables.
Les autorités françaises ont souvent répété, en particulier la Ministre de la Justice, que le rapatriement était préférable à la dispersion : nous y sommes. Il est temps que la France, et les autres pays européens, prennent leur responsabilité. Il est temps qu’ils s’engagent enfin à assurer la sécurité de nos pays et à respecter tant les principes fondamentaux de l’Etat de droit que les conventions internationales dont ils sont signataires. Il est temps d’organiser le rapatriement de tous les ressortissants français et européens prisonniers pour les juger dans leurs pays respectifs, et sauver des enfants innocents qui vivent depuis des années un calvaire innommable.
Le 9 avril 2020.