Le billet politique de Thomas Legrand publié le 20 septembre 2022 à 8h30
Article réservé aux abonnés de libération
Si nous avons peur de rapatrier nos enfants des camps kurdes du nord de la Syrie au point d’en laisser croupir 200 dans des conditions déplorables, c’est que les terroristes, même physiquement détruits, gagnent encore.
Emmanuel Macron était l’un des premiers en 2016 à s’émouvoir de la volonté de François Hollande de rétablir la déchéance de nationalité, serait-il sur le point de le faire ? Pourquoi la France rechigne-t-elle à rapatrier les petits Français, toujours retenus dans les camps Kurdes du nord de la Syrie ? C’est un mystère. Serions-nous dans un tel état de délabrement moral, si peu sûrs de nos valeurs, que nous aurions peur de nos propres enfants jusqu’à nier leur droit à être protégés par leur pays ? Si nous avons peur de nos enfants au point d’en laisser croupir 200 dans des conditions déplorables, c’est que les terroristes, même physiquement détruits, gagnent encore, car ce qu’ils veulent c’est que nous doutions de nous-mêmes, de notre société de liberté. Cela veut dire que leur vraie cible (valeurs démocratiques, principes humanistes) est atteinte.
Une humiliation que Paris s’est infligée tout seul
A plusieurs visiteurs, en juin, Emmanuel Macron avait pourtant bien confirmé, sur le ton de l’évidence, que la France allait rapatrier les femmes et les enfants français de jihadistes. Je l’ai moi-même entendu parler ainsi lors d’une rencontre avec des journalistes à l’Elysée avant l’été. La seule difficulté propre à retarder le retour, disait-il alors, était d’ordre sécuritaire mais «pas d’inquiétudes nos services sont le coup». Question de semaines tout au plus. Seulement, le constat est là : depuis 2019, seuls quelques dizaines d’enfants ont été rapatriés et pris en charge par leurs familles ou des structures adaptées. Une trentaine cet été. Personne ne sait sur quels critères certains ont été rapatriés alors que la plupart végètent encore dans divers camps kurdes du nord de la Syrie. Certains sont nés sur place. D’autres y sont morts. Certains sont avec leurs mères d’autres non. La plupart n’ont plus de père. Ce sont des Français mineurs en détresse. Plus ils restent dans cette situation indigne, plus leurs traumatismes seront difficiles à traiter, de retour en France. Charlotte Caubel, la secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance, ne disait pas autre chose jeudi sur France Inter : «Ces enfants doivent être rapatriés, ce sont des victimes.» Mais alors ? Chaque jour compte, d’autant que l’influence de l’Etat islamiste regagne du terrain au sein de certains camps.
La France traîne, procrastine, pétoche. La Cour européenne des droits de l’homme exige, dans un avis du 14 septembre, que chaque demande de retour fasse l’objet d’un examen individuel. Avec la possibilité d’un contrôle du juge. Cet avis est une humiliation que Paris s’est infligée tout seul. Les juges européens rappellent un principe de base de la démocratie : Ce n’est pas à l’autorité administrative ou politique de décider seule, en toute opacité, quel citoyen en danger a le droit ou non d’être rapatrié. Le silence du gouvernement, sorte de fait du prince, sur les raisons du retour de certains (peu) et du non-retour d’autres (la plupart) est incompréhensible. Aucun de nos voisins européens ne procède ainsi. 2 000 femmes et enfants étrangers, prisonniers dans des camps kurdes en Syrie, sont déjà rentrés chez eux. Les Kurdes d’ailleurs ne demandent qu’à être délestés de leurs prisonniers mineurs et de leurs mères.
Le risque doit pouvoir être pris
Alors pourquoi la France fait-elle figure de puissance trouillarde quand le Tadjikistan, par exemple, a rapatrié l’ensemble de ses ressortissants ? Est-ce la peur d’exciter l’extrême droite, de se voir critiquer par les polémistes de la presse bollorisée ? Certes, notre droit – et heureusement – ne permet pas de maintenir en prison des adultes sans preuve de leur participation à des actions terroristes ou à des crimes à l’étranger. Certains magistrats redouteraient le retour des femmes de jihadistes. Mais le risque, minime, de faire revenir, dans le lot, des femmes (moins de 100) dont on ne sait pas quel est l’état d’esprit vis-à-vis de la France, doit pouvoir être pris.
Le terrorisme islamiste agit en douce en France. Non plus, pour l’instant, à coups de gilets explosifs ou de camions lancés sur la foule mais en nous faisant douter de nos convictions démocratiques, en nous incitant à établir une surveillance de masse, en nous persuadant qu’il faut avoir peur les uns des autres. Ceux qui s’en sortent politiquement dans cette ambiance post-traumatique des attentats sont ceux qui, comme les islamistes, détestent les libertés : l’extrême droite. En leur donnant des gages via une pusillanimité qui se paie par le sacrifice de 200 enfants par nature innocents et par circonstance victimes, la France est bien moche.